La fin de l’art par l’IA / The end of art by AI

La fin de l’art fait son grand retour prophétique. Face aux IA génératives, certains imaginent une double transformation : une clôture qui serait simultanément une ouverture, un paradoxe qui mérite d’être examiné en profondeur.

D’un côté, la clôture s’annonce car l’automatisation de la mimèsis rendrait l’art superflu (une redondance déjà pressentie depuis longtemps dans l’histoire de l’art). De l’autre, une ouverture se dessine à travers la démocratisation radicale de la création, chaque individu devenant potentiellement un explorateur de l’espace latent, capable d’en extraire des découvertes inédites. Cette universalisation de la création rendrait obsolète la figure même de l’artiste comme exception.

Ce discours, pourtant, n’est qu’une répétition. Il manifeste un affect récurrent qui perçoit chaque transformation technologique comme une fin, dans sa double acception de finalité et de terminaison, nourrissant l’espoir paradoxal d’une conclusion définitive.

Historiquement, le Web et la photographie amateur ont suscité des réactions similaires. L’histoire nous a montré la naïveté de ces prophéties.

L’automatisation de la mimèsis et la vectorisation du patrimoine culturel dans l’espace latent de l’IA pourraient, contre toute attente, produire des effets diamétralement opposés. Cet espace rend explicites les lieux communs esthétiques, les exposant à notre conscience critique avec une clarté sans précédent. N’expérimentons-nous pas déjà cette sensation croissante du déjà-vu, que les productions de l’IA amplifient tout en la rendant plus manifeste, plus dérangeante ?

La production du singulier, de l’anomique, de l’impossible – même dans les interstices silencieux des formes et des matériaux – devient un défi croissant. Nous sommes submergés par ces productions automatiques, ces identités éphémères aussi intenses que fugaces, qui constituent le bruit de fond de notre époque.

Créer encore nécessite désormais une capacité rare : celle d’établir des relations de réciprocité entre l’espace latent culturel machinique et l’espace latent culturel organique (contingent) de l’artiste. C’est en influençant et en étant influencé par les programmes que l’artiste peut conférer une dimension historiale au présent, à ce flux et reflux constant qui caractérise notre contemporanéité numérique.

Ainsi, l’autonomisation de la ressemblance pourrait paradoxalement rendre la production artistique plus rare, plus précieuse, plus intense et plus nécessaire. Car l’art reste, à notre connaissance, l’unique tentative de créer un rapport non instrumental à la technique, c’est-à-dire un rapport qui échappe aux objectifs prévisibles et à la reproduction du connu qui clôture l’avenir. Ceux qui recyclent le pop art et les stratégies du métadiscours en pensant que la récursivité culturelle est l’horizon ultime de l’IA font fausse route. La production artistique constitue l’unique et fragile entreprise qui ne vise pas simplement à utiliser la technique, mais à expérimenter avec elle de manière désorientée, cherchant à tisser des liens inextricables entre l’existence et ses instruments.


The end of art is making a prophetic comeback. Faced with generative AIs, some imagine a double transformation: a closure that would simultaneously be an opening, a paradox that deserves to be examined in depth.

On the one hand, closure is in the offing, as the automation of mimesis would render art superfluous (a redundancy long sensed in the history of art). On the other hand, the radical democratization of creation would open up the world, with each individual potentially becoming an explorer of latent space, capable of extracting unprecedented discoveries. This universalization of creation would render obsolete the very figure of the artist as exception.

This discourse, however, is merely a repetition. It manifests a recurring affect that perceives each technological transformation as an end, in the double sense of finality and termination, nurturing the paradoxical hope of a definitive conclusion.

Historically, the Web and amateur photography have elicited similar reactions. History has shown us the naivety of such prophecies.

The automation of mimesis and the vectorization of cultural heritage in the latent space of AI could, against all odds, produce diametrically opposed effects. This space makes aesthetic commonplaces explicit, exposing them to our critical awareness with unprecedented clarity. Aren’t we already experiencing this growing sensation of déjà-vu, which AI productions amplify while making more manifest, more disturbing?

The production of the singular, the anomic, the impossible – even in the silent interstices of forms and materials – is becoming a growing challenge. We are overwhelmed by these automatic productions, these ephemeral identities as intense as they are fleeting, which constitute the background noise of our times.

To create again now requires a rare ability: that of establishing reciprocal relationships between the latent machinic cultural space and the latent organic (contingent) cultural space of the artist. It is by influencing and being influenced by programs that the artist can lend a historical dimension to the present, to the constant ebb and flow that characterizes our digital contemporaneity.

In this way, the empowerment of resemblance could paradoxically make artistic production rarer, more precious, more intense and more necessary. For art remains, as far as we know, the only attempt to create a non-instrumental relationship with technology, i.e. a relationship that escapes predictable objectives and the reproduction of the known that closes off the future. Those who recycle pop art and think that cultural recursivity is the ultimate horizon of AI are mistaken. Artistic production is the only fragile enterprise that doesn’t simply aim to use technology, but to experiment with it in a disorientated way, seeking to weave inextricable links between existence and its instruments.