Deux déjà vu

Il y a pour ainsi dire deux déjà vu dans les créations contemporaines faisant usage du numérique.

Le premier déjà vu concerne les œuvres d’art numérique dont la forme se ressemble. Une œuvre semble interchangeable formellement avec une autre. Est-ce la faute à l’esthétique implicite des logiciels utilisés ? À une homogénéité d’époque ? Quoi qu’il en soit formellement parlant ces œuvres sont souvent interchangeables. Ce n’est pas même une absence de style, c’est l’homogénéité de celui-ci comme si la forme n’avait pas d’importance et que seule comptait l’idée, le concept, l’abstract permettant d’expliquer l’œuvre. Il y  a dans l’art numérique très peu d’artistes qui ont un style. D’où le sentiment que les artistes sont interchangeables et si leurs œuvres peuvent être intelligentes, elles semblent se limiter à un conceptualisme dont la forme plastique est indifférente. Ceci donne le plus souvent des couleurs monochromes, avec une préférence pour le blanc et le noir, une esthétique machinique et propre, des floculations de pixels et de lettres. On pourrait décliner à l’infini cette forme par défaut.

Le second déjà vu concerne les pratiques dites post-digitales. Aussi problématique que soit ce concept, il se signale par de grandes différences de forme. Là aussi les images semblent déjà vues, les sons déjà entendus. Souvent un sentiment de répétition. Mais c’est pour de toutes autres raisons, car ces œuvres s’inspirent, à la manière d’un post-pop art, d’un fond culturel déjà existant présupposant que l’œuvre n’est pas un monde clôt, mais qu’avant et qu’après elle il y a quantités d’autres objets de perception. Dans ce flot de perceptions, il s’agit de sélectionner, de fragmenter, d’extraire pour recomposer une seconde peau. La répétition n’est plus ici passive, elle est réflexive, elle parle de la répétition elle-même. C’est pourquoi ces œuvres sont infiniment plus inventives et généreuses d’un point de vue formel que les œuvres d’art numérique dont l’esthétique par défaut n’est pas même problématisée comme telle. Cette richesse contextuelle met en cause la souveraineté de l’oeuvre, son autonomie. Il y a sans doute un troisième déjà vu qui consiste dans ces oeuvres post-digitales qui tentent de singer superficiellement un style sans comprendre que celui-ci relève d’une réflexion sur le contexte.

Dans le premier cas de déjà vu la répétition est identique. Dans le second cas, la répétition se met à distance d’elle-même et est différentielle car elle parle de l’afflux incessants des données et des images, de notre contexte d’époque : “Voici l’histoire que j’aurais aimé raconter : que la répétition s’évade de la répétition pour se répéter. Qu’en cherchant à se faire oublier, elle fixe son oubli, et ainsi répète son absence. » (Jean-François Lyotard, L’inhumain)