Du mode d’existence des images automatiques

Je nomme image automatique toutes les images automatiquement produites, c’est-à-dire dont la production est entreprise par un automate, par exemple les images satellitaires ou les images de surveillance. C’est un phénomène qui date d’une cinquantaine d’années et qui a émergé dans le sillage des images-instruments, en particulier le radar, telles que décrite par Lev Manovich.

Nous n’avons pas encore pleinement pensé les conséquences matérielles, esthétiques et ontologiques de ces images d’un genre nouveau. Ces images en effet sont produites sans personne derrière, ceci veut dire que même s’il y a eu une personne qui a construit une machine et qui en a programmé le cycle, il n’y a personne au moment de la prise de vue. Or, auparavant il y avait toujours au moins une personne qui regardait l’image et c’était celle qui l’avait faites. Il y avait simultanéité de la prise et de la vue. La caméra vidéo montée sur la caméra cinématographique aura été le symptôme de cette voyance de l’image comme mode d’existence.

À présent, il existe des images qui personne n’a (encore) vu. Du fait de l’automatisation de la prise de vue, il y a une disjonction entre l’ontologie de l’image et son esthétique. Une image peut être sans avoir été perçu, c’est-à-dire sans exister. Le robot Curiosity par exemple nous envoie des images qui ont déjà été prises et il faut se représenter l’émotion d’une telle présence des images, prises et ensuite seulement entreprises par la perception humaine. Nous les découvrons alors qu’elles existaient déjà. Les archéologues aujourd’hui travaillent avec le crowd sourcing, puisque l’amateur peut observer les images prises par satellite et rendues disponibles par Google Maps et y découvrir du fait de certaines irrégularités visibles des vestiges souterrains. Les images de Google Maps n’ont toujours pas été vu en totalité et pourtant elles sont disponibles, la disponibilité devant s’entendre ici comme l’être de l’image non encore perçue. Il y a en ce sens une donation des images automatiques. À ce titre, les projets de Google de panoramas (Streetview) et d’automobile sans conducteur, laisse présager d’une couverture totale du monde sans que personne n’ai pu esthétiquement en faire le tour. Il y a donc une totalité de l’image qui excède la totalisation transcendantale. Cet excès n’est pas nouveau dans l’ordre de la physis, mais il l’est dans l’ordre des artifices de la tekhné.

Devons-nous à partir de là estimer que l’être des images ne correspond plus à leur existence transcendantale, c’est-à-dire à leur perception effective ? Les images seraient-elles devenues des inexistants attendant de devenir existantes par le biais de notre perception ? Mais avons-nous la garantie que ce que nous nommons l’existence des images ne puissent se réaliser que par notre perception ? N’y-a-t-il pas, non plus seulement un être, mais une existence autonome des images ?

Pour étayer cette hypothèse, il nous faut d’abord nous délivrer de l’anthropomorphisme spontané nous faisant croire qu’une chose n’existe que par nous et pour nous. Il nous donc considérer la possibilité d’une solitude des images. Qu’est-ce qui pourrait prouver cette idée pour le moins étrange d’une existence, et non pas seulement d’un être, autonome des images ? Il me semble que la mise en réseau automatisé des images est le principal argument en faveur de cette existence solitaire. En effet, les images ne sont pas seulement captées automatiquement, elles circulent aussi automatiquement et sont traduites automatiquement. Cette traduction, qu’il faut rapprocher des thèses de Michel Serres et de Gilbert Simondon sur la transduction, consiste par exemple en ce que l’image prise par un automate est envoyée sur un serveur. Elle est ensuite traitée par des logiciels pour en extraire certaines données quantitatives. Une alerte est lancée à un agent humain pour vérification de la qualité de ces données. La traduction automatisée des images produit un continuum entre les quantités objectives et les qualités perceptives. La vérification humaine doit-elle être considérée comme le dernier mot, la machine pouvant toujours se tromper comme on aime à le penser, ou n’est-elle qu’une manière de rattraper la solitude des images par une pratique anthropomorphique en bout de chaîne ?