La 4e mémoire, avec Y. Citton – Critique de l’Intelligence Artificielle

Critique de l’Intelligence Artificielle :
enjeux philosophiques, politiques et culturels
de l’automatisation numérique

27-28 mai 2024
Université Paris 8
Maison de la Recherche
Salle MR002

Le développement fulgurant des « intelligences artificielles génératives », qui tendent aujourd’hui à intégrer massivement l’écosystème numérique (moteurs de recherche, suite bureautique, code informatique, etc.) prépare une bifurcation technologique majeure, qui pourrait conduire, à terme, à l’automatisation des facultés d’expression et de pensée. Contrairement à ce que le vocable d’ « intelligence artificielle » pourrait laisser croire, les technologies numériques contemporaines n’apprennent pas et n’inventent pas : elles constituent des dispositifs de calculs, qui, grâce, à l’indexation (humaine) de quantités massives de données et au moyen de certaines opérations mathématiques très spécifiques, permettent de « générer » des contenus (textuels ou imagés) comparables aux contenus dits « humains » (sur l’exploitation statistique desquels ces systèmes sont fondés). S’il faut critiquer la notion d’« intelligence artificielle », c’est donc d’abord pour déconstruire les analogies entre esprits, cerveaux et ordinateurs (qui reposent sur les dualismes métaphysiques les plus classiques), afin d’ouvrir une réflexion à la fois épistémologique, anthropologique et politique au sujet de ce que nous proposerons ici de décrire comme des automates computationnels ou numériques. Une telle critique n’a pas pour but de dénoncer ou de condamner tel ou tel dispositif, mais bien de s’interroger sur les limites (théoriques comme pratiques) des technosciences numériques : durant ce colloque, nous proposons de déployer la critique selon plusieurs perspectives complémentaires.

1/ Enjeux historiques et politiques Nous nous interrogerons tout d’abord sur la genèse des technologies actuelles, qui tirent leurs origines des recherches cybernétiques amorcées dès les années 40-50, en particulier dans les laboratoires de recherche américains, contemporainement à l’engagement des Etats-Unis dans le second conflit mondial. Dans quelle mesure cet ancrage historique configure-t-il cette mutation technologique ? En quoi les impératifs de la Guerre Froide et du management néo-libéral ont-ils donné de nouvelles tournures à cette mutation ? Comment les évolutions technologiques actuelles, en particulier lesdites « intelligences artificielles génératives » fondée sur les large langage models, s’intègrent-elles aux logiques techno-économiques contemporaines, fondées sur l’économie comportementale, la « gouvernementalité algorithmique » et le « capitalisme linguistique » ? Le mythe de la « singularité technologique » masquerait-il l’automatisation de la décision et l’élimination de la politique ?

2/ Enjeux épistémologiques et philosophiques Nous tenterons aussi de déconstruire les discours idéologiques concernant les technologies numériques, en nous appuyant sur les ressources de la philosophie. Quels sont les paradigmes théoriques sous-jacents aux sciences cognitives, à la cybernétique et au champ de ce qui a été nommé, en 1956, l’ « intelligence artificielle » ? Comment les philosophes contemporains ont-il inquiéter ces présupposés ? Si un nombre croissant d’entités semblent échapper aux catégories stabilisées dans les oppositions conceptuelles traditionnelles de sujet et d’objet, de nature et de culture, de vivant et de machine, etc., comment éviter le double écueil d’une mécanisation de l’esprit, largement véhiculée par l’idéologie cognitivo- computationnaliste et de l’anthropomorphisation des dispositifs algorithmiques, largement véhiculée par l’idéologie transhumaniste ?

3/ Enjeux culturels, artistiques, linguistiques, esthétiques Enfin, nous nous demanderons comment ces nouveaux dispositifs prothétiques affectent les facultés de créativité, d’expression et de pensée : les pratiques artistiques peuvent-elles nous aider à subvertir les idéologies réductionnistes qui se concrétisent à travers les dispositifs technologiques dominants ? A quels nouveaux types de textes, d’images et de symboles serons-nous confrontés dans les années à venir ? Est-il possible d’éviter les effets d’uniformisation et de standardisation provoqués par les calculs statistiques et d’envisager une réappropriation culturelle des automates numériques ? Comment transformer les « intelligences artificielles » pour en faire des « instruments spirituels » ?