Le visage et la norme
Si les variations de visages sont si problématiques à générer avec un réseau de neurones, c’est que la reconnaissance du visage remplit une fonction fondamentale dans notre apprentissage visuel. Les visages se détachent d’un fond, le monde, qui restera pour cette raison un arrière-plan.
On peut remarquer qu’en générant artificiellement des visages, on hésite entre la répétition d’une normalité au réalisme ennuyeux et la variation d’un visage devenu trop rapidement et facilement monstrueux et chaotique. Mais qu’est-ce qui nous dérange dans ce désordre ? Pourquoi n’est-il pas satisfaisant esthétiquement ? Et pourquoi le considérons-nous comme un effet simpliste ?
Si le monstre est un écart par rapport à la norme et si on suppose que la norme est fonction de la genèse d’une cognition, alors le réalisme des images générées par un réseau de neurones dépend d’une reconnaissance surdéterminée par notre genèse. De sorte que sans que les réseaux de neurones artificiels et le développement du cerveau humain puissent être identifiés, il y a entre eux un étrange effet de ressemblance et d’appareillement basé sur leur processus respectif au fil d’une temporalité (nous apprenons à voir selon certains cadres, cadres qui viennent ensuite déterminés notre façon de regarder et d’envisager toutes choses).
J’aimerais revenir sur l’idée que dans la genèse cognitive, les visages se détachent d’un fond qui restera pendant plusieurs mois flou pour le nourrisson. Sans vouloir naturaliser par là même une certaine relation au monde, il est difficile de laisser de côté la possibilité que cette expérience fondatrice soit sans conséquence dans notre relation au monde : ce qui est d’abord familier ce sont les visages, leurs expressions, source première et inépuisable de mimétisme. Le monde est d’abord indistinct, comme si la mise au point n’avait pas été faite, puis apparait lentement, se détache à partir des premières formes humaines. De sorte que le monde non humain sera considéré comme un arrière-plan, comme quelque chose derrière sur lequel nous nous découpons. Ce n’est pas la première et seule cause de notre relation anthropocentrée et instrumentale au monde, mais sans doute ceci y participe.
If face variations are so problematic to generate with a neural network, it is because face recognition performs a fundamental function in our visual learning. Faces stand out from a background, the world, which for this reason will remain a background.
One can notice that by artificially generating faces, one hesitates between the repetition of a boringly realistic normality and the variation of a face that becomes too quickly and easily monstrous and chaotic. But what bothers us in this disorder? Why is it not aesthetically satisfying? And why do we consider it a simplistic effect?
If the monster is a deviation from the norm and if we suppose that the norm is a function of the genesis of a cognition, then the realism of the images generated by a neural network depends on a recognition overdetermined by our genesis. So that without being able to identify artificial neural networks and the development of the human brain, there is a strange effect of resemblance and fitting between them based on their respective process over a temporality (we learn to see according to certain frameworks, frameworks which then come to determine our way of looking and of considering all things).
I would like to come back to the idea that in the cognitive genesis, the faces stand out from a background that will remain blurred for several months for the infant. Without wanting to naturalize a certain relation to the world, it is difficult to leave aside the possibility that this founding experience is without consequence in our relation to the world: what is at first familiar are the faces, their expressions, primary and inexhaustible source of mimicry. The world is at first indistinct, as if the focus had not been made, then slowly appears, detaches itself from the first human forms. So that the non-human world will be considered as a background, as something behind which we cut ourselves. This is not the first and only cause of our anthropocentric and instrumental relation to the world, but it undoubtedly contributes to it.