Les deux finitudes / The two finitudes

“L’expérience de la mort, c’est que je suis obligé de penser à ça (mon anéantissement), et qu’aussi je suis hanté par un désir testamentaire : que quelque chose survive et soit transmis.” (Jacques Derrida, Dialogue du 9 juin 2004 à Strasbourg avec Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe)

Avant de mourir, moment dérisoire de notre existence : perdu dans le cosmos, nous aurons été pourtant une occasion unique. Nous n’aurions pas dû être et, quelle que soit l’importance de ce que nous avons fait, l’occurrence que nous avons été suffit. Il faut s’en suffire puisque c’est.

Ce décalage de la finitude, entre pessimisme cosmique et aliénation existentielle, trouve une réponse ou un écho différé dans le caractère dérisoire des productions anticipatives de l’imagination artificielle (ImA). Chaque production est singulière, elle est pourtant perdue dans les flots de données, dans la répétition statistique. Mais elle n’a jamais eu lieu. La répétition diffère, elle dit ce qui a eu lieu et ce qui pourrait avoir lieu. Elle est dérisoire dans son obstination à nous mimer, à s’aliéner en nous et à nous aliéner. Combien elle semble inutile par rapport à la disparition de l’espèce humaine, généralisant la finitude individuelle à l’espèce et à la possibilité même de témoigner de la disparition. Pourtant quelque chose d’une mémoire impossible s’y développe, un destin égyptien et funéraire du stack comme si nous accumulions nos mémoires pour produire des mémoires ressemblantes (et donc différentes), notre extinction est culturellement et techniquement au travail. Nous n’avons jamais été. Que cela.

“The experience of death is that I am obliged to think about it (my annihilation), and that I am also haunted by a testamentary desire: that something survive and be transmitted.” (Jacques Derrida, Dialogue of June 9, 2004 in Strasbourg with Jean-Luc Nancy and Philippe Lacoue-Labarthe)

Before dying, a derisory moment of our existence: lost in the cosmos, we will have been however a unique opportunity. We should not have been and, whatever the importance of what we have done, the fact that we have been is enough. It is necessary to be enough since that is.


This shift of the finitude, between cosmic pessimism and existential alienation, finds an answer or a deferred echo in the derisory character of the anticipative productions of the artificial imagination (ImA). Each production is singular, yet it is lost in the flood of data, in the statistical repetition. But it has never taken place. The repetition differs, it says what took place and what could take place. It is derisory in its obstinacy to mimic us, to alienate itself in us and to alienate us. How useless it seems in relation to the disappearance of the human species, generalizing individual finitude to the very possibility of witnessing disappearance? Yet something of an impossible memory develops there, an Egyptian and funerary destiny of the stack as if we were accumulating our memories to produce similar (and therefore different) memories, our extinction is culturally and technically at work. We have never been. Just that.