Terrorisme et corrélationnisme
L’un des réflexes de la doxa chomskyienne consiste à penser le terrorisme comme le pur résultat du colonialisme occidental. Chaque attentat est expliqué selon cette causalité simple : au regard de la brutalité de l’Occident qui déclenche des guerres en dehors de son territoire, il serait logique que cette violence revienne, à la manière d’un symptôme, dans l’espace même de l’Occident. On développe ensuite un long raisonnement sur les fantasmes identitaires de souveraineté et d’auto-immunité, et on croit tenir là un raisonnement critique.
Le second réflexe, immédiatement après une attaque terroriste, est de contester la mise en place de politiques de surveillance et de contrôle tel que l’état d’urgence. Le problème ne serait pas la violence terroriste, mais la réaction disproportionnée des états occidentaux face à celle-ci qui entraîne dans son sillage toute la population déjà victime de politiques discriminatoires. L’acte terroriste devient secondaire au regard de la violence sourde et beaucoup plus massive de cette répression légale qui se place en amont et en aval de l’acte.
Si cette méthode critique peut et doit être utilisée pour analyser la causalité et l’impact des relations entre l’Occident et le reste du monde, elle ne doit pas devenir l’unique approche et exclure d’autres modalités d’explication. En effet, isolée, elle constitue une causalité inversée et réductionniste qui produit un déterminisme unilatéral. Si le terrorisme est en partie le résultat de la violence occidentale, il est aussi le résultat d’une dynamique interne. Si les états occidentaux utilisent le terrorisme comme prétexte pour mettre en place des politiques répressives, ils réagissent aussi à une violence externe. Le problème, comme souvent, est de construire des causalités simplistes sans boucle rétroactive qui séparent les objets et qui constituent leur relation a posteriori. Il faut considérer ces relations comme antérieures aux objets et constituantes ceux-ci, si tout du moins on considère ces relations aussi comme des boucles à l’intérieur des objets en cours de formation.
Par ailleurs, on peut réfuter le caractère simpliste de cette approche critique parce qu’elle est corrélationniste. Elle est en effet incapable de considérer également ces attaques terroristes comme externes ou comme se déplaçant à la frontière de l’interne et de l’externe. Quand je dis « aussi », je ne veux pas signifier qu’elles ne sont qu’externes, elles sont externes, internes et relationnelles. Le corrélationnisme réduit B à A, le matérialisme relationnel envisage à égalité les éléments de la relation A et B sans qu’une sphère ne fasse disparaître une autre. Le fait de réduire le terrorisme à un effet de la politique occidentale est analogue à un corrélationnisme naïf et constitue peut-être une forme d’impéralisme conceptuel : l’en-dehors de l’Occident est réduit à n’être qu’un résultat de son intériorité. Derrière l’anticolonialisme on continue encore à coloniser, derrière la compréhension on continue à contrôler et à subsumer, c’est-à-dire à ne laisser aucune place au différend.
ps : Je repense au film de Bruno Dumont, Hadewijch (2009), qui justement n’est pas réductionniste et rend sensible les dimensions internes et externes de ces événements.