L’espace numérique et le temps cinématographique
Le temps n’a pas été défini à l’avance. Il n’y a pas une fin, c’est-à-dire un avenir, qui a été circonscrit au début, c’est-à-dire dans l’intention d’un auteur. Ce dernier ne sait pas quand cela s’arrêtera. Il ne peut donc pas ménager ses effets, construire une progression dramatique, associer les éléments selon une certaine logique. Il ne donne pas le temps.
Le temps a lieu dans son présent. Le temps est contemporain de lui-même. On saura quand cela s’arrêtera au moment ou l’utilisateur (je le nomme ainsi pour bien signifier qui manie quelque chose) le décidera et s’en ira laissant au repos la machine. C’est un changement complet de perspective dans la temporalité de l’oeuvre car quand le spectateur sortait alors que ce n’était pas fini, il signifiait le plus souvent son désaccord, son manque d’intérêt ou une interruption. Là, l’utilisateur décide de partir et c’est cette décision qui définie la durée de l’oeuvre. La temporalité devient non seulement variable mais il y a identité entre le temps d’usage et le temps de l’objet. Il faut préciser, car il y a une durée possible (et non virtuelle) et une durée empirique qui ne se juxtaposent pas mais dont la seconde est permise par la première.
Le temps ne se donne plus mais passe dans un lieu déterminé. L’utilisateur explore des lieux, il y découvre peut être des choses, il revient sans doute sur ses pas, répète des événements. Ce qui importe c’est le renversement entre le temps et l’espace. Au siècle dernier, lorsque le spectateur regardait un film, il regardait le temps passer et il savait qu’à un moment ce temps prendrait fin indépendamment de sa volonté. Le temps était donné par le réalisateur qui enchaînait le flux de conscience au flux machinique de la projection. À présent, la durée du temps est définie par l’utilisateur. Il ne fait pas passer le temps externe, temps qui incorpore sans doute la sensation d’un destin, il navigue dans un espace. Si l’espace passe c’est parce qu’on est dans un train, pris dans un moyen de locomotion qui inscrit une différence entre le sol immobile et le véhicule mobile. L’espace ne passe donc pas comme le temps. Parce qu’avec le temps tout passe, le temps emporte tout sur son passage.
La fiction sans narration n’est pas fondée sur la construction d’une durée et d’une progression dramatique. Elle se structure grâce à l’esprit des lieux. Elle redonne à l’espace une autonomie de conception par rapport au temps. L’auteur défini des espaces et un possible de ceux-ci (c’est-à-dire une manière d’y naviguer, on peut nommer cela un espacement). L’utilisateur instancie le temps et le produit en entrant et en sortant. Du fait de cette nouvelle répartition des rôles, l’oeuvre devient strictement un possible.