La revanche des abstractions
“Contemporary Art has historically been the cesspool of dishonest and self interested use and abuse of scientific and humanistic discourses. That much is probably given. However, nothing in the history of this sham has been worse than how the words Speculation and Future have been recently appropriated by curators and artists from their original philosophical/theoretical sources and incorporated in the dead corpus of the actually existing Contemporary Art.” (11:49 – Bronx – 08-06-2015 – Facebook)
On commence à entendre ici et là des théoriciens prononcer un jugement sans appel sur l’intérêt des artistes et des commissaires pour les « nouvelles » théories qui confinerait à l’effet de mode et à la réappropriation stupide, sortant de son contexte certaines idées simplifiées.
S’il n’y a pas lieu de contester qu’en de nombreux cas le suivisme fait rage (mais le milieu artistique n’en a pas le privilège, le milieu théorique en a aussi sa part), on peut toutefois s’interroger sur les présupposés d’un tel jugement disciplinaire qui semble reconduire une certaine « haine » de l’art consistant à penser qu’il y a l’original (la théorie) et la copie (l’art). Dans ce cadre, les concepts seraient antérieurs aux œuvres, la matière serait tout au plus une application d’idées préexistantes.
On peut sourire face à cette hiérarchie qui semble, de façon fort naïve, reconduire la logique platonicienne accordant aux Formes Idéales l’autorité sur toutes les autres choses, dont les œuvres d’art. On peut aussi s’amuser de voir ainsi le retour de la soumission de l’art à un ordre idéal qui a historiquement produit la division entre arts mécaniques et libéraux. On peut rester pensif quant à cette posture d’autorité qui, comme par hasard, donne la priorité à la discipline de celui qui prononce la critique et qui est, pour le moins, dupe de lui-même.
On pourrait tout aussi bien démontrer que :
- la notion de spéculation n’est pas sans rapport avec la fiction comme régime général de l’art,
- le futur quant à lui n’a eu de cesse d’interroger les artistes,
- ceux-ci n’ont pas attendu les théoriciens pour mettre en oeuvre la solitude des objets et l’importance de la technique dans son caractère fondamental,
- Internet est considéré depuis plus d’une décennie comme ayant des influences sur l’ontologie et l’existence,
- les artistes ont été hantés par la fin des civilisations et de l’espèce humaine,
- l’histoire de l’art depuis Vasari n’est sans doute que l’histoire de cette extinction du passé qui pose la possibilité d’une extinction à venir,
- nombreux sont ceux qui se sont confrontés dans leurs recherches à l’ahumain ou au devenir non humain, etc.
Bref, critiquer le milieu de l’art par qu’il s’approprierait sans réflexion les théories actuelles, c’est effectuer une analyse superficielle de ce qui doit être considéré comme une convergence dont le plan est historial et dont les origines ne sont pas seulement théoriques, mais relèvent également du champ propre à l’art. Plutôt que de produire des hiérarchies qui ne témoignent que de la position que souhaite se donner le destinateur, il faudrait se réjouir d’une convergence dans laquelle chacun, selon sa logique propre, a construite, et d’être ému du caractère fort temporaire de ces horizons communs qui déjà s’effritent.