Résurgence

Il faudra s’y habituer, un effet produit son effet inverse ou sa contre-partie. Le rythme de notre époque est l’innovation, non pas celle de la modernité ouvrant vers une possible émancipation grâce à un changement inimaginable, mais désespérée comme impératif de la croissance : toujours un peu plus. La volonté de certains de retrouver un enthousiasme par la fin du salariat, par l’automatisation, par le coût marginal zéro grâce à l’impression 3D, etc. n’y fera rien.

Parallèlement à ce rythme, ce que je nomme la résurgence s’amplifie. La résurgence est le retour d’une séquence passée sous une forme transformée. Ainsi une partie du post-digital est hantée par la naissance du Web, par l’atopie dont elle fut porteuse et par sa clôture.

Visuellement, on reprend une esthétique datée (le violet, la 3D, les effets liquides Photoshop), mais on la retravaille pour la faire advenir pour la première fois dans sa pleine potentialité, comme si le passé n’avait pas été suffisant, comme si le rythme avait été trop rapide et qu’il fallait revenir encore une fois sur ce qui avait eu lieu afin qu’il puisse enfin exister dans notre imaginaire.

D’une façon générale, l’art contemporain ne cesse de revisiter depuis une dizaine d’années le modernisme, l’expressionnisme abstrait, se pastichant lui-même. On pourrait croire qu’il s’agit là de postmodernisme et d’ironie, mais je crois que c’est autre chose : l’épuisement d’une séquence de temps historique, comme si à la fin il nous fallait encore et encore y revenir, repasser sur des chemins parcourus, les revoir une nouvelle fois avant de leur dire adieu.

La résurgence est toute proche du revival musical tel qu’on a pu le voir pour les fifties, les skinheads ou les mods dans les années 80. Mais il ne s’agit plus là de culture minoritaire, puisqu’avec le réseau tout circule à la vitesse de la planète. Cette culture revisitée devient immédiatement majoritaire, ou plus exactement elle flotte pour chacun, devient l’odeur du temps, s’infiltre et suinte, à peine un parfum que l’on va ensuite retrouver dans la mode, le design et la publicité.

Nous sommes devenus infiniment nostalgiques de ce que nous aurions pu devenir. Le possible s’est étendu au passé, à ce passé qui ne passe plus.