Réalismes
Il y a deux formes de réalisme. Un réalisme producteur et un réalisme reproducteur.
Ce dernier suppose que toute oeuvre est fondée sur une réalité préalable qui, si elle est inaccessible, constitue le paradigme de la (re)production qui intervient tel un second terme. Elle sera plus ou moins ressemblante, on pourra mettre en avant la distorsion qu’elle introduit et son étrangeté mais dans tout les cas elle est hiérarchiquement soumise à un paradigme et à une origine qui en défini la légitimité. Cette conception du réalisme trouve sa racine historique dans la critique adressée par Platon aux artistes dans la République. Quelque forme qu’elle prenne, elle reste idéaliste et ressentimentale.
L’autre réalisme est producteur, formateur, configurateur. Il ne présuppose pas une réalité préexistante et subsistante, il en produit. La langue allemande a ce beau terme pour dire ce mouvement: bildend qui à voir avec l’imagination en tant que production d’images. Cette imagination formatrice est, au coeur même du milieu artistique critique, dévalorisée comme s’écartant de la vérité. Le réalisme imaginaire désigne cette forme particulière de réalisme et il nous semble que l’opposition que certains aujourd’hui dressent entre l’enregistrement (chrono)photographique et le numérique repose exactement sur cette distinction entre les deux formes de réalisme. D’un côté, un réalisme référentiel qui laisse penser que l’enregistrement est enregistrement de quelque chose et qu’ainsi l’enregistrement dans sa lecture permet d’avoir accès à nouveau à son référent (mais de quel référent parle-t-on au juste? Une réflexion lumineuse?). De l’autre côté une production performative de nouveaux mondes possibles, plaçant la pensée discursive non pas à l’origine mais au second plan. À partir du moment ou ce monde est ouvert, elle peut le penser sans faire référence à une origine référentielle et faire l’effort de construire une méthodologie adaptée à ce qui est artistiquement produit, effort que la discursivité n’aime pas offrir. Le réalisme imaginaire est empirique, tandis que le réalisme référentiel est ressentimental. Le premier excentre la discursivité d’elle-même (elle n’est ni la source ni la fin de ce qu’elle pense). Le second réalisme la place dans une position d’autorité.