Politique vectorielle du figural –  Fondation Mapfre/KBR (Barcelone)

Date : Lundi 2 décembre 2025
Heure : 19h00
Lieu : Fondation Mapfre/KBR, Barcelone
Format : En présentiel et en ligne
Langue : Français avec traduction simultanée en espagnol
Informations : kbr.fundacionmapfre.org

Dans le cadre du cycle de débats « Quand les images s’écrivent aussi » (« Cuando las imágenes también se escriben »), organisé par la Fondation Mapfre/KBR à Barcelone sous la direction de Marta Gili et Mònica Roselló, l’artiste franco-canadien Grégory Chatonsky présentera une conférence intitulée « Politique vectorielle des images ». Cette intervention constitue la sixième et dernière séance d’une série de rencontres qui se déroulent d’octobre à décembre 2025 (les 2, 7 et 28 octobre ; 11 et 25 novembre ; et 2 décembre), réunissant des auteurs nationaux et internationaux explorant les formats narratifs contemporains où texte et image se chevauchent et s’entrecroisent à partir de leurs protocoles et stratégies respectifs.

Ceux qui travaillent avec les images savent que les images s’écrivent aussi. Et ceux qui écrivent n’ont aucun doute que l’écriture produit des images. C’est dans cet échange que se génèrent des narratives de grande portée qui interrogent notre façon de percevoir la société contemporaine et ses multiples défis politiques, culturels, économiques et sociaux. Dans un contexte conditionné par une représentation dystopique du monde à travers la circulation massive d’images sans contexte et de discours de haine et de discrimination, revendiquer la pratique artistique, qu’elle soit visuelle, littéraire ou les deux à la fois, comme garante de notre capacité d’observation, de jugement et d’imagination critique, constitue en soi un acte de résistance.

La conférence de Chatonsky examinera précisément comment l’intelligence artificielle transforme radicalement les rapports entre texte et image, marquant un tournant historique dans notre compréhension de la signification. En partant de la thèse figurale de Jean-François Lyotard dans « Discours, figure » (1971), l’artiste proposera une traversée de l’histoire de ces relations jusqu’aux espaces latents actuels de l’IA. Lyotard avait déjà identifié une tension fondamentale entre le discursif (l’ordre du langage, de la signification linguistique) et le figural (l’ordre du visible, de la sensation, qui résiste à la réduction linguistique). Cette distinction prend aujourd’hui une dimension nouvelle et inquiétante avec l’émergence des technologies d’intelligence artificielle génératives.

Ces technologies marquent effectivement un tournant décisif : les vecteurs prennent le pouvoir sur la signification. Dans les modèles d’IA actuels, les images et les textes sont traduits en représentations vectorielles dans des espaces latents multidimensionnels où les distinctions traditionnelles entre le visuel et le linguistique s’effondrent. Ce qui constituait autrefois deux régimes de représentation distincts devient un continuum mathématique où tout peut être transformé en tout. Les mots génèrent des images, les images génèrent des descriptions, et cette convertibilité généralisée remet profondément en question notre compréhension de la création, de l’authenticité et du sens lui-même.

Grégory Chatonsky (Paris, 1971), qui a fondé la plateforme net art Incident.net en 1994, a exploré la matérialité numérique dans les années 2000 et expérimente avec l’IA depuis 2009, possède une perspective unique sur ces transformations. Entre 2017 et 2019, il a organisé des séminaires à l’École normale supérieure sur l’impact de l’imagination artificielle sur l’art. Ses œuvres, exposées au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou, au MOCA Taipei et dans d’autres institutions majeures, et conservées dans des collections comme celle du CNAP et de la BnF, témoignent d’une pratique artistique profondément engagée avec les questions de la technologie et de la création.

Mais cette transformation technologique n’est pas neutre. Elle est aujourd’hui exploitée politiquement par ce que Chatonsky nomme des « vectofascistes » qui instrumentalisent ces nouveaux modes de signification. Cette appropriation politique des technologies vectorielles représente un danger majeur : en manipulant les espaces latents de l’IA, ces acteurs peuvent générer des images et des récits qui circulent massivement sans contexte, alimentant la désinformation, les discours de haine et une représentation dystopique du monde. La capacité de l’IA à produire du contenu convaincant mais fabriqué menace notre capacité collective d’observation et de jugement critique.

Face à cette appropriation inquiétante, Chatonsky propose d’explorer une politique alternative des vecteurs, fondée sur la figure comme force de transformation et de déformation. Cette approche réhabilite le potentiel créatif et critique de la figuration face à la standardisation algorithmique. Il s’agit de connecter et déplacer, d’assembler et de désassembler, de sentir et d’être ému, de marquer des pauses et d’interrompre, de prendre différentes distances, de mesurer et de comparer : autant d’outils de travail qui permettent de résister à la logique homogénéisante des vectofascistes.

Cette politique vectorielle alternative reconnaît que les figures ne sont pas de simples représentations passives mais des forces actives capables de transformer nos affects, de nous révolter et d’introduire de nouvelles possibilités dans le monde. En cela, elle rejoint les préoccupations des autres intervenants du cycle « Quand les images s’écrivent aussi », qui explorent tous, à leur manière, le pouvoir de la fiction, de la narration et de l’image comme actes de résistance et de régénération de l’imagination critique et de la pensée poétique.

À propos des directrices du cycle :

Marta Gili (Barcelone, 1957) est commissaire indépendante de projets artistiques et de programmes publics. Elle est l’ancienne directrice du Jeu de Paume à Paris.

Mònica Roselló (Tarragone, 1961) est diplômée en Image de l’Université de Barcelone. Elle est photographe et artiste et enseigne dans diverses écoles et universités.

La conférence de Chatonsky, accessible en présentiel et en ligne avec traduction simultanée en espagnol, offrira ainsi une réflexion essentielle sur les enjeux politiques, esthétiques et éthiques de notre époque, où la frontière entre écrire et voir, entre produire du texte et créer des images, s’estompe dans les espaces latents des machines intelligentes. Elle nous invite à repenser notre rapport à la signification à l’ère de l’IA, tout en résistant aux usages autoritaires de ces technologies et en imaginant des alternatives émancipatrices.


Introduction : La neutralisation du geste

Un oligarque technologique lève le bras lors d’une investiture présidentielle. Le geste est capté, diffusé, reproduit des millions de fois à travers les infrastructures numériques mondiales. Pourtant, plutôt qu’un cri d’indignation unifié, c’est une cacophonie d’interprétations contradictoires qui émerge : certains y voient un simple geste maladroit, d’autres un salut nazi évident, d’autres encore une hallucination collective de fascistes imaginaires. Puis, immédiatement, d’autres images apparaissent dans les flux algorithmiques : Martin Luther King le bras levé, des athlètes olympiques, des orateurs divers. Le geste initial se dissout dans un océan d’images comparables. Sa spécificité historique s’évapore dans une paréidolie généralisée, une reconnaissance de patterns visuels qui efface toute singularité contextuelle.

Cette scène contemporaine pose une question fondamentale : comment un geste qui aurait pu provoquer un séisme politique peut-il être normalisé par une simple mise en série d’images ? La question n’est pas de déterminer si cet individu particulier est ou non fasciste. Elle concerne plutôt les conditions de possibilité de cette neutralisation : qu’est-ce qui, dans notre rapport contemporain aux images, rend possible cette dissolution de la lisibilité politique ? Plus précisément, qu’est-ce qui, dans la transformation technique de la production et de la circulation des images, affecte notre capacité à discriminer, à juger, à nommer le fascisme lorsqu’il se manifeste ?

Je propose le terme de vectofascisme pour désigner cette forme inédite de domination politique qui opère à travers la vectorisation de notre culture, la transformation de nos mémoires collectives en espaces latents statistiques. Le préfixe « vecto- » ne renvoie pas à une simple métaphore technologique, mais à l’infrastructure mathématique réelle des intelligences artificielles génératives : les vecteurs, représentations numériques multidimensionnelles de nos images, textes et sons, créent un espace latent où notre culture entière devient navigable, manipulable, recombinable selon des logiques statistiques qui échappent largement à notre compréhension consciente.

Ce qui rend cette situation historiquement inédite tient à un fait technique précis : l’image est maintenant littéralement écrite. Pas métaphoriquement, comme on pourrait le dire de la peinture ou de la photographie, mais réellement écrite, produite par des séquences textuelles nommées prompts. Un utilisateur tape « le pape en doudoune », et l’image apparaît, générée par des algorithmes qui ont appris les correspondances statistiques entre mots et pixels. Le texte n’illustre plus l’image, l’image n’illustre plus le texte : les deux sont devenus les deux faces d’une même transformation vectorielle, deux projections différentes d’un même hyperespace mathématique.

Mais s’agit-il encore de langage au sens où la philosophie l’a traditionnellement pensé ? Cette question nous ramène nécessairement à Jean-François Lyotard et à son ouvrage fondamental Discours, figure (1971). Lyotard y théorisait l’irréductibilité du figural au discursif, cette dimension plastique et visuelle qui excède le langage conceptuel. Pour Lyotard, le figural constitue une force de résistance à la toute-puissance du logos, une puissance libidinale qui conteste l’ordre du discours rationnel. Que devient cette irréductibilité quand l’image est générée par le texte, quand les deux partagent le même espace vectoriel ? La question n’est pas de savoir si le figural a disparu, mais plutôt : où et comment resurgit-il dans ces nouvelles conditions techniques ?

Ma thèse centrale est la suivante : l’espace latent peut être habité de façons radicalement différentes. D’un côté, un usage instrumental qui aligne, normalise, optimise, c’est le vectofascisme. De l’autre, une pratique expérimentale qui aliène, interrompt, explore, c’est l’art. L’enjeu politique n’est pas de refuser l’espace latent en bloc, dans un geste déconnexionniste stérile, mais de comprendre qu’il constitue un terrain de lutte entre ces deux modalités antagonistes.

Cet article se développe en trois temps. Dans un premier moment, je retrace une brève histoire de la relation entre image et texte, montrant comment le figural ne disparaît pas mais se déplace dans les transformations technologiques successives. Dans un deuxième temps, j’analyse le vectofascisme comme usage instrumental fondé sur l’alignement entre image et texte, en examinant ses mécanismes techniques et ses effets politiques. Enfin, j’explore comment la pratique artistique maintient ouvert l’écart entre figural et logos par des stratégies d’aliènement et d’interruption, proposant ainsi une politique alternative de l’image à l’ère vectorielle.

I. Brève histoire de l’image, du texte et des vecteurs

Le figural lyotardien : une résistance constitutive

Pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui avec l’intelligence artificielle générative, il faut d’abord revenir à la conceptualisation lyotardienne du figural. Dans Discours, figure, Lyotard oppose deux espaces hétérogènes : l’espace du discours, linguistique, conceptuel, structuré par des oppositions binaires et des relations de signification, et l’espace du figural, visuel, plastique, qui opère par transgression de ces règles discursives.

Le figural, c’est ce qui, dans l’image, excède sa fonction représentative et significative. C’est la couleur qui déborde du contour, la tache qui trouble la forme, l’épaisseur du trait qui résiste à sa réduction au signe linguistique. Lyotard distingue trois modalités du figural qui structurent son approche :

Premièrement, la figure-image, ce que nous voyons dans l’hallucination ou le rêve, ce que la peinture nous offre comme objet placé à distance dans un espace perceptif. Cette modalité concerne la dimension représentationnelle du figural, mais une représentation qui ne se laisse pas entièrement capturer par le concept.

Deuxièmement, la figure-forme, qui structure l’image sans nécessairement être vue directement : les lignes de composition, l’architecture invisible d’un tableau, les rapports de force qui organisent l’espace visuel sans apparaître comme objets thématiques. Cette dimension formelle du figural échappe à la conscience perceptive tout en déterminant l’expérience visuelle.

Troisièmement, et plus profondément encore, la figure-matrice, enfouie dans l’inconscient, objet du refoulement originaire, qui ne peut jamais être représentée directement mais dont les effets traversent toutes nos productions visuelles. Cette figure-matrice renvoie à la dimension pulsionnelle et désirante qui sous-tend toute activité figurale.

Cette tripartition nous permet de comprendre quelque chose d’essentiel : le figural n’est pas un simple donné perceptif, une propriété objective des images. C’est une force, une puissance de transgression qui travaille le discours de l’intérieur. Lyotard écrit : « La figure jouit d’une complicité radicale avec le désir ». Ce que cela signifie, c’est que l’image n’est jamais neutre, jamais purement informative ou communicationnelle. Elle est toujours investie libidinalement, traversée par des forces affectives et pulsionnelles qui excèdent la communication rationnelle.

Mais, et c’est ici que réside l’enjeu politique fondamental de Discours, figure, cette dimension libidinale du figural constitue une résistance au règne du logos, à la toute-puissance du concept et de la raison occidentale. Le désir, pour Lyotard, n’est pas un théâtre où se jouerait la représentation de nos manques, comme dans certaines lectures de la psychanalyse. C’est plutôt une usine, un site de production. Le figural est productif, générateur de différence et de nouveauté, alors que le discours tend vers l’identité, la répétition, la normalisation conceptuelle.

Lyotard développe une approche résolument anti-dialectique. Il ne s’agit pas de « dépasser » l’opposition entre discours et figure dans une quelconque synthèse supérieure qui les réconcilierait. Il s’agit au contraire de maintenir ouvert l’écart, la tension, la latéralité entre ces deux ordres hétérogènes. Cette latéralité, cette impossibilité de réduire l’un à l’autre, constitue précisément l’espace de la liberté, de la création, de la résistance politique. Comme Lyotard l’écrit : « Le pouvoir est avec l’œil ». Transformer l’inconscient en discours pur, c’est contourner la dynamique, devenir complice de la ratio occidentale qui tue l’art en même temps que le rêve.

Plus fondamentalement encore, Lyotard insiste sur le fait que le figural ne peut être pensé comme simple extériorité au discours. L’œil n’est pas seulement en dehors du langage, il est aussi en lui. Le figural est « both without and within », à la fois dehors et dedans. Il y a une épaisseur figurale au sein même du discours, dans ses rythmes, ses sonorités, sa matérialité signifiante. Le discours n’est jamais pure transparence signifiante ; il possède toujours une dimension plastique, une épaisseur sensible que Lyotard nomme l’expression, par opposition à la simple signification.

Cette distinction entre signification et expression est cruciale. La signification relève de l’ordre du concept, des relations structurales entre signes, de la transparence du sens. L’expression, elle, renvoie à l’énergie qui traverse le discours, à sa dimension affective et sensible. Lyotard écrit : « Le discours est toujours épais. Il ne signifie pas seulement, il exprime aussi ». Cette épaisseur, c’est précisément la dimension figurale du langage, ce qui en lui résiste à sa réduction à un pur système de signes transparents.

Enfin, Lyotard formule ce qui constitue peut-être l’énoncé le plus décisif de Discours, figure pour notre propos : « Ceci est de la plus haute importance pour la pratique, pour la critique pratique de l’idéologie ». Le maintien de l’écart entre figural et discursif n’est pas une question purement esthétique ou théorique. C’est un enjeu éminemment politique. La réduction du figural au discursif, la prétention à tout convertir en langage conceptuel, participe d’une logique de domination. À l’inverse, la reconnaissance de l’irréductibilité du figural ouvre un espace de résistance et de création qui échappe aux dispositifs de contrôle discursifs.

De la subordination théologique à la vectorisation algorithmique

Cette irréductibilité du figural au discursif n’a cessé d’être contestée au cours de l’histoire occidentale. Aux origines de l’écriture, avec les systèmes cunéiformes en Mésopotamie, celle-ci naît pour des fonctions administratives : compter, recenser, gérer des stocks. Ici, pas de figural : seulement l’inscription pure, la notation abstraite, la trace qui ne renvoie qu’à elle-même dans sa fonction référentielle minimale.

Puis vient l’ère théologique médiévale. L’image devient Biblia pauperum, la Bible des pauvres, subordonnée au texte sacré dont elle n’est que l’illustration pédagogique. Pourtant, cette subordination n’est jamais totale ni stable. Les marges des manuscrits se peuplent de monstres, de chimères, de créatures hybrides qui excèdent toute fonction illustrative. Le figural resurgit dans ces excès ornementaux, dans ces proliférations marginales qui échappent au contrôle du texte central. Les enluminures médiévales témoignent de cette résistance du figural à sa pure instrumentalisation didactique.

La Renaissance instaure un nouveau régime de l’image en la soumettant à la perspective géométrique, à une rationalité mathématique qui prétend maîtriser l’espace visuel. La perspective albertienne transforme le tableau en fenêtre ouverte sur un espace homogène, mesurable, calculable. Mais là encore, le figural résiste. La couleur chez les Vénitiens, particulièrement chez Titien ou le Tintoret, excède toute fonction descriptive ou structurale. Elle devient pure sensation, pure intensité chromatique qui déborde le cadre perspectif et affirme sa puissance propre.

La photographie, au XIXe siècle, transforme l’image en trace indicielle du réel, en empreinte lumineuse qui semble abolir toute médiation subjective. Roland Barthes le montrera dans La Chambre claire : il y a toujours un punctum qui échappe au studium, quelque chose dans la photographie qui blesse, qui trouble, qui excède le codage culturel et la lecture informative. Le punctum, c’est précisément la résurgence du figural dans l’image apparemment la plus objective, la plus documentaire.

Avec le cinéma et la télévision, l’image en mouvement devient dominante, créant de nouveaux régimes de visibilité et de nouvelles formes de circulation des images. Puis arrive la numérisation à la fin du XXe siècle : tout, images, textes, sons, est converti en suites de 0 et de 1, en code binaire. C’est une première uniformisation technique qui rend toutes les données commensurables dans un même langage informatique. Mais cette conversion numérique ne produit pas encore l’espace latent au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

La vraie révolution survient avec l’apprentissage profond (deep learning) dans les années 2010. Les réseaux de neurones artificiels ne se contentent pas de stocker ou de manipuler des données numériques. Ils transforment ces données en vecteurs, en représentations mathématiques situées dans des espaces de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de dimensions. Ces vecteurs ne sont pas de simples coordonnées arbitraires. Ils capturent des relations sémantiques, des similitudes, des structures qui émergent de l’entraînement sur des millions d’exemples.

Un vecteur, techniquement, c’est une séquence ordonnée de nombres réels, par exemple, une liste de 768 ou 4096 nombres qui représentent une image ou un texte. Dans cet espace vectoriel, les distances ont un sens : deux vecteurs proches représentent des concepts sémantiquement proches. Si le vecteur « chat » et le vecteur d’une photographie de chat sont proches dans cet espace, c’est parce que le réseau a appris cette correspondance à partir de millions d’exemples.

Et voici le point décisif, celui qui transforme radicalement les conditions de production des images : le texte et l’image partagent désormais le même espace latent. Ils ne sont plus des modalités hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre, mais deux projections différentes du même hyperespace statistique. Cette fusion technique rend possible quelque chose qui n’existait pas auparavant : la génération directe d’images à partir de descriptions textuelles.

CLIP : la machine à écrire les images

Comment le texte et l’image en viennent-ils concrètement à partager ce même espace latent ? Comment une description textuelle peut-elle générer une image ? C’est ici qu’intervient une technologie cruciale, qui porte le nom révélateur de CLIP, Contrastive Language-Image Pre-training. CLIP est littéralement la machine qui a appris à écrire les images, ou plus précisément, à créer un espace commun de représentation pour le langage et la vision.

CLIP, développé par OpenAI en 2021, fonctionne selon un principe apparemment simple mais aux implications profondes. Le système ingère des millions de paires image-texte trouvées sur Internet : une photographie de chat accompagnée de sa légende « un chat roux sur un canapé », une peinture avec sa description muséale, une photo de manifestation avec son titre journalistique. Pour chaque paire, CLIP transforme le texte en vecteur (via un encodeur textuel) et l’image en vecteur (via un encodeur visuel), puis il apprend à rapprocher ces deux vecteurs dans l’espace latent quand ils correspondent, et à les éloigner quand ils ne correspondent pas.

Le résultat de cet apprentissage est extraordinaire : CLIP crée une cartographie commune où « chat », le mot, se trouve statistiquement proche de toutes les images de chats réelles dans l’espace latent, où « tristesse » se trouve près des visages mélancoliques, où « révolution » se trouve près des foules en colère et des barricades. Cette cartographie ne repose pas sur des règles explicites programmées par des ingénieurs, mais sur des corrélations statistiques massives extraites de notre culture visuelle et textuelle telle qu’elle existe en ligne, dans toute sa profusion chaotique.

C’est CLIP qui rend possible ce que nous faisons quand nous entrons un prompt dans Midjourney, DALL-E ou Stable Diffusion. Quand je tape « une femme aux cheveux roux dans un paysage urbain futuriste », CLIP traduit cette phrase en coordonnées dans l’espace latent, un point ou plutôt une région dans cet hyperespace. Ces coordonnées désignent une zone où se trouvent statistiquement les images correspondant à cette description dans l’ensemble d’entraînement. Le système génératif n’a plus qu’à produire une image dans cette région de l’espace latent, en utilisant des techniques comme les modèles de diffusion qui partent du bruit aléatoire et le structurent progressivement selon les contraintes vectorielles.

Mais comprenons bien ce qui se joue fondamentalement ici : CLIP n’établit pas des correspondances logiques ou nécessaires entre mots et images, comme le ferait un dictionnaire bien ordonné. Il établit des correspondances statistiques, apprises inductivement à partir de la manière dont les humains ont effectivement légendé, commenté, décrit des millions d’images en ligne. CLIP incorpore donc tous nos biais culturels, toutes nos associations habituelles, toute la moyenne de notre imaginaire collectif tel qu’il s’est sédimenté sur Internet au cours des dernières décennies.

C’est pourquoi CLIP est à la fois ce qui rend possible l’écriture des images et ce qui la contraint structurellement. Il ouvre un espace de transformation texte-image, mais cet espace est déjà structuré, déjà normalisé par les normes statistiques de notre culture. Quand nous écrivons « belle femme » dans un prompt, CLIP nous dirige automatiquement vers les régions de l’espace latent où se trouvent les images correspondant à ce que notre culture, massivement et statistiquement, a associé à cette expression, avec tous les biais de genre, de race, d’âge que cela implique.

C’est là que réside l’enjeu politique fondamental : CLIP peut être utilisé pour renforcer ces normes statistiques, c’est l’usage que j’appelle l’alignement, ou pour explorer leurs marges, leurs zones d’indétermination, c’est l’expérimentation. Avec les systèmes text-to-image contemporains, nous pouvons passer du texte à l’image par une simple transformation vectorielle, mais la question devient : quelle politique de cette transformation allons-nous pratiquer ?

De la dissolution à la résurgence du figural

Alors, le figural a-t-il disparu dans cette fusion vectorielle du texte et de l’image ? C’est la question cruciale qui sous-tend tout mon propos. Ma réponse est catégorique : non, le figural ne disparaît pas. Il se déplace. Il ne s’agit pas d’une dissolution définitive mais d’une transformation topologique de ses conditions d’existence.

Lyotard lui-même l’avait anticipé dans Discours, figure : « La profondeur continuera d’excéder de loin le pouvoir d’une réflexion qui cherche à la signifier ». Cette profondeur, cette dimension du figural qui excède le discours, persiste même dans l’espace vectoriel. Elle resurgit sous de nouvelles formes, dans de nouveaux lieux. Ce que Lyotard appelait l’épaisseur des choses, cette matérialité qui résiste au langage transparent, se manifeste dans l’espace latent sous la forme de zones marginales, de régions statistiquement improbables que les usages standard ne visitent jamais.

Quand vous utilisez une IA générative de manière « normale », en entrant des prompts simples et directs, en cherchant à obtenir exactement ce que vous voulez avec le minimum d’itérations, vous vous situez dans les régions centrales de l’espace latent. Là où la densité statistique est maximale, là où les images générées correspondent aux attentes moyennes, aux standards culturels dominants. C’est l’usage instrumental de l’espace latent : il cherche l’alignement, la correspondance parfaite entre intention préalable et résultat obtenu.

Mais l’espace latent est vaste, vertigineusement vaste. Il contient des milliards de dimensions, des régions entières que personne n’a jamais explorées, que les algorithmes d’optimisation évitent systématiquement parce qu’elles produisent des résultats « moins bons » selon les métriques standard. C’est là, dans ces marges, que le figural peut ressurgir à l’ère vectorielle. Non plus comme différence absolue entre image et discours, puisque les deux partagent maintenant le même espace mathématique, mais comme résistance à la normalisation statistique, comme exploration de ce qui, dans l’espace des possibles computationnels, refuse de se plier aux attentes dominantes et aux optimisations standard.

Cette résurgence du figural dans les zones marginales de l’espace latent a déjà été explorée par certaines pratiques artistiques. L’installation Memories Center : The Dreaming Machine (2014) en constitue une première exploration. À partir d’une base de données de 20 000 rêves compilés à l’Université de Californie, une intelligence artificielle produisait de nouvelles séquences oniriques, les lisait à voix haute, et cherchait sur Internet des images correspondant aux mots-clés extraits. Un rack de serveur se fondait dans la pierre brute, des lumières LED signalaient une activité résiduelle, spectrale.

Cette œuvre anticipait ce que nous comprenons maintenant avec plus de clarté : nos rêves, ces productions les plus intimes de notre inconscient, ce que Lyotard aurait appelé la figure-matrice, sont aspirés dans la machinerie de l’espace latent. Mais ils n’y disparaissent pas purement et simplement. Ils y acquièrent une nouvelle existence, spectrale, métamorphique. La machine ne reproduit pas mécaniquement nos rêves, elle les métabolise, les transforme, les fait dériver selon des logiques qui nous échappent partiellement mais qui ne sont pas pour autant purement aléatoires ou arbitraires.

C’était déjà là, en 2014, que se dessinait la question centrale qui nous occupe : l’espace latent peut-il devenir le lieu d’une nouvelle modalité du figural, une manière inédite pour le désir et l’inconscient de se manifester ? Ou n’est-il qu’un instrument de normalisation et de réduction du multiple à l’un, du singulier au standard ?

Voici ce que je veux affirmer avec force : l’espace latent n’a pas de propriétés politiques intrinsèques ou essentielles. Comme toute technique, il peut être habité de façons radicalement différentes selon les pratiques qu’on y déploie. Et c’est précisément cette alternative qui définit le terrain de lutte politique contemporain autour de la production des images.

D’un côté, l’usage instrumental, ce que j’appelle le vectofascisme, qui cherche à aligner systématiquement, à normaliser compulsivement, à refermer l’écart entre intention et résultat, entre demande et production. De l’autre, la pratique expérimentale, celle de l’art au sens fort, qui cherche à aliéner, à interrompre, à explorer les marges et les zones d’indétermination. La première pratique tue le figural en prétendant le capturer totalement. La seconde le fait renaître en assumant de se perdre, de dériver, d’accepter que le résultat excède et transforme l’intention initiale.

Lyotard écrivait dans Discours, figure : « Construire du sens n’est jamais rien d’autre que déconstruire de la signification ». C’est exactement ce qui se joue dans l’espace latent contemporain. L’usage instrumental accumule de la signification pré-donnée, il aligne les outputs sur les intentions, il optimise les correspondances, il produit ce qui est déjà attendu et reconnaissable. La pratique expérimentale, elle, déconstruit cette signification établie pour laisser émerger du sens nouveau, ce sens qui surgit précisément là où on ne l’attendait pas, dans les zones improbables, dans les erreurs productives, dans les dérapages contrôlés.

La continuité mathématique de l’espace latent a des conséquences politiques profondément ambivalentes. D’un côté, elle permet de naviguer dans notre culture quand celle-ci nous excède quantitativement, quand aucun individu ne peut plus embrasser la totalité des images produites. Mais d’un autre côté, elle permet aussi de neutraliser toute signification stable, de dissoudre toute spécificité historique dans un océan de variations statistiques continues. Le geste d’Elon Musk devient un simple point dans un continuum mathématique de bras levés, perdant ainsi sa charge politique singulière. Et c’est précisément cette dissolution, cette neutralisation vectorielle, que le vectofascisme exploite méthodiquement.

II. Le vectofascisme : l’usage instrumental de l’espace latent

L’alignement comme projet politique totalisant

Parlons maintenant directement du vectofascisme. J’utilise ce terme non pas simplement pour désigner un contenu fasciste qui circulerait sur les réseaux sociaux, ni même du fascisme historique avec un peu de technologie en plus. Je désigne par là une logique plus profonde et plus insidieuse : celle de l’alignement généralisé comme principe organisateur du social et du politique.

Dans le développement des intelligences artificielles contemporaines, l’alignement désigne l’optimisation des systèmes pour qu’ils produisent exactement ce que l’utilisateur attend, selon des critères prédéfinis de performance et de satisfaction. C’est une logique fondamentalement téléologique : un but est préalablement défini, un chemin optimal pour l’atteindre est calculé, une minimisation systématique de tout écart est mise en œuvre.

Techniquement, cette logique s’articule comme minimisation de la distance vectorielle entre l’espace d’intention anthropique et l’espace de réponse algorithmique. On calcule des « fonctions de perte » (loss functions) qui quantifient l’écart entre le résultat produit et le résultat attendu, puis on optimise les paramètres du modèle pour minimiser cet écart sur des millions d’exemples. Le vectofascisme, c’est l’extension et la généralisation de cette logique optimisatrice à l’ensemble du champ social et politique, son débordement hors du domaine strictement technique.

À mesure que les systèmes d’IA sont « alignés » de manière de plus en plus agressive, ils produisent des résultats de plus en plus attendus, de plus en plus normalisés, de plus en plus prévisibles. ChatGPT, considéré comme plus « performant » que ses prédécesseurs comme GPT-2, est aussi objectivement plus ennuyeux, plus prévisible, plus conformiste. Cette optimisation entropique, cette réduction systématique des écarts aléatoires et des surprises, entraîne un appauvrissement radical de la puissance créative et exploratoire.

Vectoriellement parlant, cela correspond à une convergence excessive vers certaines régions surreprésentées de l’espace latent, créant des attracteurs esthétiques puissants qui homogénéisent les résultats. Les images générées par Midjourney sont reconnaissables entre mille : kitsch saturé, surfaces pâteuses avec un effet « light fluffy » caractéristique, couleurs sursaturées, compositions prévisibles. Ce ne sont pas vraiment des images au sens fort, ce sont des signifiants de l’artistique, des simulacres qui « font » artistiques sans en actualiser les processus véritables. C’est un nouvel académisme vectoriel, une régression à la moyenne esthétique dans laquelle se sont engouffrés sans réflexion critique la plupart des utilisateurs qui se revendiquent « artistes IA ».

Anatomie d’une neutralisation vectorielle

Revenons maintenant au geste de Musk avec une compréhension plus précise de ses mécanismes techniques. Comment ce geste a-t-il été neutralisé politiquement ? Par une opération qui reproduit exactement la logique de l’alignement vectoriel, mais appliquée cette fois à l’interprétation politique plutôt qu’à la génération d’images.

Un système d’IA, entraîné sur des millions d’images, ingère des milliers d’images historiques de saluts nazis : les films de propagande de Leni Riefenstahl, les photographies de Nuremberg, les actualités de la Seconde Guerre mondiale. Il transforme toutes ces images en vecteurs dans l’espace latent, les compare statistiquement selon leurs propriétés visuelles, et produit ainsi une représentation continue et distribuée de ce qu’est un « salut nazi » dans son espace de représentation mathématique.

Cruciale est ici la notion de continuité. Cette représentation ne capture pas le contexte historique, politique, intentionnel du geste. Elle en extrait les propriétés purement visuelles : un bras levé à un certain angle, une main ouverte dans une certaine position, un corps dans une certaine posture. Toute la dimension historique, toute la charge symbolique, tout le poids mémoriel s’évaporent dans l’extraction vectorielle.

Une fois cette représentation établie dans l’espace latent, le système peut calculer des proximités vectorielles avec d’autres gestes visuellement similaires : un athlète levant le bras pour saluer la foule, un orateur gesticulant pendant un discours, un manifestant brandissant le poing. Dans l’espace latent, ce sont simplement des points plus ou moins proches selon leurs propriétés géométriques et visuelles, sans aucune considération pour leur signification historique ou politique.

Des images de Martin Luther King le bras levé lors de ses discours, d’athlètes olympiques saluant sur le podium, ont alors été mises en circulation massive sur les réseaux sociaux pour établir une équivalence visuelle. Le message implicite : « Ce n’est qu’un bras levé parmi d’autres bras levés. Pourquoi celui-ci serait-il différent ? ». Cette paréidolie statistique, cette reconnaissance de patterns visuels décontextualisés, neutralise méthodiquement la charge politique du geste initial.

Un signe rendu statistiquement normal perd sa capacité à mobiliser une résistance collective. Quand tout devient variation probabiliste dans un continuum mathématique, l’inacceptable éthique et politique devient simple écart statistique, quantifiable et relativisable. Le vectofascisme ne censure pas frontalement les images ou les discours, ce qui pourrait susciter une réaction oppositionnelle. Il normalise, il dilue, il dissout dans la multiplicité statistique. C’est un fascisme qui opère par saturation plutôt que par interdiction, par relativisation plutôt que par affirmation brutale.

L’espace latent comme espace culturel : navigation et manipulation

Mais comprenons bien une chose fondamentale : l’espace latent n’est pas qu’un outil de manipulation idéologique. Il est devenu un véritable espace culturel à part entière, une nouvelle modalité d’existence de notre patrimoine collectif. Toutes nos images, tous nos textes, tous nos sons sont désormais potentiellement présents dans ces hyperspaces statistiques, sous forme de relations vectorielles et de proximités sémantiques.

Cette transformation était nécessaire, voire inévitable. Nous produisons aujourd’hui plus d’images en une seule journée que l’humanité n’en avait produit pendant des millénaires. Aucun individu, aucune institution ne peut embrasser cette profusion vertigineuse. L’espace latent offre une solution technique à ce problème d’échelle : il compresse cette surabondance informationnelle en un espace navigable, où des requêtes textuelles peuvent retrouver des images pertinentes parmi des milliards de possibilités.

L’installation Completion 1.0 (2021) matérialise précisément cette condition. Sur un premier écran, ImageNet, la base de données de 14 millions d’images qui a révolutionné la vision par ordinateur, défile pendant sept ans complets en temps réel. Pendant ce temps, sur un second écran, une IA génère continuellement des images à partir de ce dataset, créant des métamorphoses fluides : un chat qui devient progressivement un chien, qui devient un oiseau, qui devient un nuage. Une voix de synthèse commente en continu ces métamorphoses surréalistes. C’est une histoire alternative et potentiellement infinie de la photographie, ce qu’on pourrait appeler un « nouveau réalisme inductif » où les images ne représentent plus le réel mais les relations statistiques apprises.

Mais cette même propriété mathématique de continuité qui rend l’espace latent navigable peut être exploitée pour neutraliser toute signification politique stable. Si tout est connecté à tout selon des gradients de similarité vectorielle, alors plus rien n’a de spécificité absolue, de singularité irréductible. Le salut nazi devient un point dans un continuum de bras levés, une variation parmi d’autres. Chaque atrocité historique peut être relativisée en la plaçant dans une série statistique qui efface sa singularité événementielle.

La contrefactualité comme arme politique

Le vectofascisme exploite particulièrement la capacité de l’espace latent à générer des contrefactuels, des mondes alternatifs, des versions parallèles du réel, des histoires qui n’ont jamais eu lieu. Les systèmes génératifs sont des machines à contrefactualité d’une puissance sans précédent historique.

Le projet La ville qui n’existait pas (2023-2025) au Havre explore frontalement cette dimension. Sur quatre ans, j’ai généré une version alternative complète de cette ville normande à partir des archives municipales historiques. La première phase, L’espace latent 1895-1970, présente des fresques monumentales imprimées sur textile, montrant des lieux familiers dans des versions légèrement modifiées, des rues qui n’ont jamais été construites, des personnages qui auraient pu exister mais n’ont jamais vécu. La seconde phase, Logistique des mémoires 1971-2024, installe des sculptures violettes dans l’espace urbain réel, réceptacles où résonnent les voix des habitants véritables mêlées à celles d’IA clonant leurs timbres et leurs manières de parler.

Ce projet assume pleinement son statut de fiction délibérée. Mais il révèle la facilité déconcertante avec laquelle nous pouvons désormais produire industriellement des versions alternatives de notre histoire collective. Le Havre qui n’a jamais existé côtoie physiquement le Havre réel, créant une zone d’indiscernabilité qui transforme notre rapport à la mémoire urbaine et collective.

Le problème politique surgit quand ces contrefactuels sont produits massivement et insérés dans nos flux informationnels sans marquage clair de leur statut fictionnel, avec l’intention de manipuler l’opinion. Après le début du génocide à Gaza en octobre 2023, des vidéos ont circulé largement, prétendument produites par des Palestiniens, remerciant Israël de sa « retenue » et de son « humanité ». Ces vidéos, générées par IA avec des techniques de deepfake, ont été massivement partagées pour contrer les témoignages authentiques de la violence génocidaire.

Et voici le point crucial qui caractérise le vectofascisme : cette concurrence entre témoignages factuels et contrefactuels générés est structurellement asymétrique. La description factuelle est contrainte par ce qui s’est réellement produit, par les traces matérielles, par les témoins existants. Les contrefactuels algorithmiques, eux, explorent un espace infini de possibles, choisissant stratégiquement les versions qui maximiseront l’engagement émotionnel, qui s’inséreront le plus efficacement dans les biais préexistants du public cible, qui produiront le doute ou la confusion recherchée.

C’est potentiellement la fin de la critique telle que nous la connaissions depuis les Lumières. La critique moderne reposait sur la possibilité d’établir des faits vérifiables, de confronter les discours à la réalité matérielle, de distinguer le vrai du faux. Dans un environnement saturé de contrefactuels vraisemblables produits industriellement, chaque document peut être suspecté, chaque témoignage mis en doute, chaque preuve contestée. Le vectofascisme prospère dans ce régime de suspicion généralisée où la vérité factuelle ne peut plus fonctionner comme point d’ancrage stable du débat politique.

Une esthétique dégénérative : le kitsch algorithmique

Le vectofascisme se manifeste aussi par une esthétique spécifique, immédiatement reconnaissable : une esthétique de l’alignement généralisé, du kitsch saturé, de la référence sans profondeur historique, de l’accumulation sans hiérarchie. L’œuvre Disnovation (2022), présentée au Centre Pompidou, matérialise et critique cette esthétique.

Un avatar de moi-même, généré par IA, apparaît en trois âges simultanés : vieillesse, âge adulte, adolescence. Il donne une conférence sans fin, un discours qui tourne en boucle indéfiniment. Son propos, généré en temps réel par un modèle de langage, mêle promesses d’innovation inconnue, développement personnel creux, et méditation new age. La conférence est fondamentalement sans objet stable, on s’y perd, on suit le fil d’une technique qui devrait changer la Terre mais ne dit finalement rien.

Cette performance est accompagnée de portraits générés : Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, vieillis artificiellement jusqu’à l’extrême limite. Ces oligarques pensaient devenir éternels grâce au progrès technologique, grâce au transhumanisme et à la cryogénie. Les voilà représentés centenaires, incapables de parler, fixant le vide de leurs yeux éteints, rêvant de planètes inconnues qu’ils ne coloniseront jamais. Avant de mourir, ils ont prétendument transféré leurs souvenirs dans une IA. Leurs avatars continuent de parler mécaniquement, sans comprendre ce qu’ils disent, répétant les mots déjà prononcés dans une boucle infinie et vide.

L’artiste, moi en l’occurrence, devient le dernier qui peut encore parler, mais il ne parle que d’innovation alors qu’elle a définitivement perdu toute signification. Cette œuvre révèle l’esthétique profonde du vectofascisme : accumulation sans hiérarchie qualitative, discours tournant à vide sur lui-même, promesses technologiques systématiquement vidées de tout contenu substantiel, immortalité qui n’est finalement que répétition mécanique et mortifère.

Parcourez les comptes de propagandistes d’extrême-droite contemporains sur les réseaux sociaux : vous y trouverez la même profusion d’images générées par IA, mêlant indistinctement Antiquité romaine idéalisée, imagerie chrétienne médiévale, esthétique de jeux vidéo fantastiques, symbolique ésotérique new age. Cette esthétique du collage frénétique opère une désacralisation générale qui rend tous les référents culturels équivalents, interchangeables, manipulables à volonté, disponibles pour être réappropriés dans n’importe quel contexte sans égard pour leur signification historique originelle.

Gaza : laboratoire de la guerre vectorielle

Je dois maintenant parler de Gaza, même si c’est difficile et douloureux. Le génocide en cours depuis octobre 2023 constitue le premier laboratoire grandeur nature d’une guerre véritablement vectorielle, où les techniques de manipulation de l’espace latent jouent un rôle central dans la légitimation de crimes de masse.

Ce qui s’y passe révèle la dimension temporelle complexe du vectofascisme : un génocide passé, la Shoah, est mobilisé vectoriellement pour justifier et normaliser un génocide présent. Des images de la Shoah, des références à l’antisémitisme historique, sont continuellement injectées dans l’espace informationnel pour créer une équivalence mensongère entre critique du génocide en cours et antisémitisme, entre antisionisme et haine des Juifs.

Cette instrumentalisation constitue une catastrophe sémantique d’une ampleur difficile à saisir. La Shoah devait fonctionner comme garde-fou mémoriel absolu contre la répétition de crimes de masse, comme limite éthique infranchissable. Son exploitation cynique pour justifier un autre génocide constitue une perversion absolue de sa signification historique, une profanation de la mémoire des victimes.

Gaza révèle aussi une autre dimension spécifique de la guerre vectorielle : la production systématique de l’inhabitable. Il ne s’agit plus seulement d’occuper un territoire ou d’éliminer une population, comme dans les logiques coloniales classiques. Il s’agit de rendre la terre elle-même inhabitable pour l’avenir : transformer le sol en explosif généralisé avec des munitions à sous-munitions, détruire systématiquement toute infrastructure civile (hôpitaux, écoles, systèmes d’eau et d’assainissement), rendre impossible non seulement la vie présente mais tout retour futur. C’est une guerre menée contre le temps lui-même, contre la possibilité même de l’avenir pour une population.

Le vectofascisme, dans sa pleine réalisation à Gaza, ne se contente pas de manipuler les images du présent pour normaliser l’horreur en cours. Il réécrit rétroactivement le passé (instrumentalisation de la Shoah) et clôture préventivement l’avenir (destruction de l’habitabilité même du territoire). Les vecteurs ne sont plus simplement des moyens de transmission d’information, mais des armes de destruction de la temporalité historique elle-même, de la possibilité de la mémoire et du témoignage.

III. Pour un art dégénéré : pratiques expérimentales dans l’espace latent

Instrumentalité et expérimentation 

Nous voici au cœur de ce qui importe politiquement. Face au vectofascisme, quelle est la riposte possible ? Je ne parle pas ici d’une résistance externe et déconnexionniste, un refus pur et simple de la technologie qui laisserait le terrain entièrement aux forces que nous combattons et qui est malheureusement la position dominante chez beaucoup de nos camarades de gauche. Je parle d’une pratique immanente, d’un autre mode d’habitation de l’espace latent lui-même.

Voici la thèse centrale que je veux défendre : les pratiques artistiques véritables, si elles mobilisent la technique algorithmique, ne sont pas instrumentales mais expérimentales. Cette distinction est absolument cruciale et non-négociable. Elle définit deux modalités radicalement différentes d’existence dans l’espace latent, deux politiques antagonistes de l’image.

L’usage instrumental cherche l’alignement optimal. Il vise une correspondance parfaite entre intention préalable et résultat obtenu. Il opère selon une logique strictement téléologique : un but est prédéfini avec précision, un chemin pour l’atteindre est calculé, une minimisation systématique des écarts est mise en œuvre. C’est la logique du service, de l’efficacité mesurable, de la performance quantifiable. C’est la logique qui domine écrasamment le développement des IA aujourd’hui, avec ses métriques d’évaluation, ses benchmarks, ses optimisations. Et c’est, fondamentalement et structurellement, la logique du vectofascisme.

La pratique expérimentale, au contraire, suspend cette téléologie instrumentale. Elle n’a pas une idée précise et stable en tête qu’elle chercherait simplement à réaliser techniquement. Elle a au mieux une vague silhouette, une intuition floue qu’elle expérimente concrètement et dont le projet va se transformer du fait même de cette pratique exploratoire. Des boucles de rétroaction complexes se mettent en place entre projet et réalisation, sans qu’on puisse déterminer lequel constitue véritablement l’origine de l’autre. C’est ce que j’appelle la récursivité génésique.

Cette récursivité caractérise fondamentalement tout processus artistique authentique. Elle s’oppose frontalement à la logique linéaire de l’alignement. L’artiste ne sait pas exactement où il va quand il commence. Il explore des possibilités, il dérive dans l’espace des formes, il se laisse surprendre par ce qui émerge. Il cultive une attention particulière aux accidents, aux émergences improbables, aux effets non-anticipés. Il maintient ouvert l’espace de l’indétermination, refusant de le clôturer prématurément.

C’est cette suspension de la volonté de maîtrise, de l’intention transparente à elle-même, que je nomme imagination au sens fort. L’imagination n’est pas la capacité psychologique de se représenter mentalement ce qu’on veut produire, comme dans la conception courante. C’est au contraire l’ouverture radicale à ce qui adviendra sans qu’on l’ait voulu, programmé, anticipé. C’est la capacité de se laisser affecter, ce que la phénoménologie appelait la passibilité.

L’avancée de l’alignement dans les systèmes d’IA limite donc de plus en plus drastiquement le champ de l’expérimentation possible. Les systèmes récents produisent des résultats qui « font » de plus en plus artistiques au sens conventionnel, c’est-à-dire qui ressemblent de plus en plus à ce qu’on attend déjà de l’art selon les canons établis. C’est une régression statistique à la moyenne esthétique. L’alignement constitue, au sens strict et précis, un nouvel académisme algorithmique, une normalisation vectorielle de la production culturelle.

L’aliènement contre l’alignement

L’alternative politique à l’alignement, je propose de la nommer aliènement. Ce néologisme fait référence à l’afro-futurisme de Kodwo Eshun, qui définissait ce mouvement culturel comme « away from alienation, into the arms of the alien » : échapper à nos aliénations sociales en embrassant l’alien, l’étranger radical, l’autre absolu.

Dans la topologie mathématique de l’espace latent, l’aliènement correspond précisément à une exploration délibérée des zones périphériques, des discontinuités et singularités qui émergent loin des attracteurs dominants où convergent les usages standard. C’est un mouvement conscient vers ce qui n’est pas immédiatement reconnaissable selon nos catégories établies, vers ce qui résiste à nos taxonomies, vers ce qui nous désoriente et nous déstabilise.

L’aliènement passe nécessairement par un moment d’interruption. Une certaine ligne téléologique, un certain alignement doivent être sinon complètement brisés, du moins suspendus, interrompus dans leur déroulement linéaire. Cette rupture vectorielle constitue peut-être le geste artistique inaugural, celui qui ouvre un espace pour que quelque chose d’autre advienne.

Quand j’écris un texte avec une IA, je commence une phrase et le logiciel la poursuit automatiquement. On pourrait naïvement supposer que cette poursuite constitue un pas de deux harmonieux, une collaboration fluide. Mais en réalité, l’IA m’interrompt fondamentalement. Elle suspend le flux de ma conscience non pour l’arrêter purement, mais pour le contrarier grâce à un bruit de fond, un noise, un grondement qui est celui de notre culture entière ayant pris aujourd’hui la forme d’un espace latent statistique.

C’est toujours « moi » qui écris dans un certain sens, mais un moi qui tente de se rééquilibrer constamment, de se retrouver, de poursuivre malgré les interruptions continuelles qui sortent le flux de la conscience du temps pour le poursuivre dans l’espace mathématique. Cette temporalisation spatialisée caractérise profondément l’expérience de l’écriture assistée par IA.

Mais l’interruption n’est pas un obstacle à surmonter pour revenir à un flux « naturel ». Elle est la condition même de l’expérimentation. Elle ouvre concrètement un espace où quelque chose d’autre peut advenir, quelque chose qui n’était pas programmé d’avance, pas attendu, pas aligné sur nos intentions préalables.

La récursivité génésique

La pratique expérimentale se caractérise fondamentalement par ce que j’appelle la récursivité génésique. Le projet se transforme en se réalisant. La réalisation influence rétroactivement le projet. On ne peut plus distinguer clairement l’origine de la destination, le début de la fin.

Cette récursivité s’oppose radicalement à la linéarité téléologique de l’usage instrumental. Un instrument est défini par sa fin externe : un marteau sert à enfoncer des clous, point. L’expérimentation, elle, ne sait pas d’avance ce qu’elle cherche véritablement. Elle le découvre progressivement en cherchant, et cette découverte transforme la recherche elle-même.

Dans le travail avec l’IA générative, cette récursivité devient particulièrement visible et manifeste. Je lance une génération d’images à partir d’un prompt. Certaines m’intéressent, d’autres non. Mais celles qui m’intéressent ne correspondent pas nécessairement à ce que je « voulais » initialement. Elles m’intéressent précisément parce qu’elles m’échappent partiellement, parce qu’elles me montrent quelque chose que je n’avais pas imaginé, anticipé, conceptualisé.

Je réinjecte alors ces images dans le processus génératif, je modifie mes paramètres et mes prompts en fonction de ce que j’ai découvert, et le processus continue itérativement. À chaque itération, mon intention se transforme. Je ne sais plus très bien ce que je cherchais au départ. Le processus m’a transformé autant que j’ai transformé les images. Sujet et objet se co-constituent récursivement.

C’est cette perte de maîtrise, cette dépossession assumée et cultivée, qui caractérise la pratique artistique authentique. Loin d’être une faiblesse ou un échec, c’est une force. C’est ce qui permet l’émergence du nouveau, du singulier, de ce qui résiste à la normalisation statistique.

D’une finitude excessive

Ma relation personnelle à la technique algorithmique ? Une incompétence productive, une maladresse assumée et même revendiquée qui me permet de dériver, d’échouer, d’échouer encore différemment. C’est précisément dans ces ratés, dans ces dysfonctionnements, que la pensée pénètre véritablement la technique, quand celle-ci devient visible par son dysfonctionnement même plutôt que de fonctionner transparemment.

Cette approche s’oppose diamétralement aux discours dominants sur l’IA. Là où ces discours techno-optimistes valorisent systématiquement la performance, l’efficacité, la maîtrise, la vitesse d’exécution, l’expérience artistique révèle au contraire la dimension faillible, lente, résistante de la technique. L’incompétence devient une forme de résistance aux injonctions technocratiques d’optimisation permanente. L’erreur devient un mode d’exploration des possibles que la performance tend structurellement à exclure.

Contrairement aux discours transhumanistes qui promettent une extension infinie de nos capacités par la technologie, mon approche privilégie délibérément un approfondissement de la finitude humaine. Cette finitude intensifiée ne procède pas par dépassement ou transcendance, mais par exposition accrue. J’influe sur la technique qui m’influence en retour, dans une boucle récursive qui se déploie en surface, à même l’épiderme sensible.

Cette fragilité cultivée n’est pas une faiblesse nostalgique ou passéiste. C’est la découverte d’une puissance d’un autre ordre : relationnelle, affective, résonante. Une puissance de l’entre-deux plutôt que de la domination unilatérale. En co-écrivant avec l’IA, je ne suis pas stimulé par un fantasme de surpuissance, mais par cette altérité récursive qui m’expose à la matérialité technique et à ses résistances.

L’étrangeté nous revient de nous-mêmes à travers nos créations techniques : nous fabriquons des machines qui nous façonnent en retour. L’IA devient ce miroir déformant où se reflète notre propre condition technique constitutive. Ce qui me fascine n’est pas tant ce que j’écris, mais ce fait brut que ça écrit, cette capacité de la machine à produire face à moi, me transformant en spectateur partiellement dépossédé de ma propre création.

La désimplification

Dans mes œuvres, je ne distingue pas ce qui a été fait par un agent humain ou technique. Je tente précisément de rendre floue cette frontière afin que la relation complexe entre les deux soit exhibée comme telle, plutôt que masquée. Je ne dis pas ce que j’ai codé moi-même et ce que j’ai simplement copié-collé d’Internet.

Suivant Henri Michaux, je désimplifie systématiquement la technique. Cette désimplification constitue l’enjeu éthique et esthétique fondamental de notre rapport aux technologies algorithmiques. Il ne s’agit pas d’entretenir avec elles une relation de pur « service » instrumental : il s’agit de s’employer à découvrir ce qu’écrasent et recouvrent leurs usages imposés par défaut.

Je rends l’instrumentalité inutilisable, pour ne pas subir passivement la conception instrumentale et anthropologique de la technique. Car voici ce qui est en jeu politiquement : tant que nous pensons la technique comme instrument transparent, comme moyen neutre au service d’une fin humaine prédéfinie, nous restons prisonniers de la logique même qui nous aliène.

La désimplification ne signifie pas rendre la technique plus compliquée gratuitement. Elle signifie défaire sa réduction apparente à l’instrumentalité, révéler sa complexité constitutive, son excès, sa part irréductible d’indétermination. C’est dans cet excès même que réside la possibilité de la liberté, de l’expérimentation, de la résistance politique.

Explorer les zones alien

Terre Seconde (2019), installation présentée au Palais de Tokyo, incarne pleinement cette approche expérimentale. Générée à partir de millions d’images trouvées sur Internet, l’œuvre présente une Terre alternative, hallucination d’une machine insensée, monument dédié à la mémoire de l’espèce humaine déjà éteinte dans cette fiction.

À partir d’une base de données de millions d’images, l’IA crée sa propre représentation de la planète. Puis je lui donne, par le même procédé génératif, les fluides, les plantes, le son, la parole, des organismes hybrides. Les espèces se métamorphosent les unes dans les autres selon des logiques qui échappent à la taxonomie biologique : les pierres mutent progressivement en plantes, les rivages en organismes jamais vus, les nuages en textures organiques.

Ce réalisme génératif ressemble superficiellement au monde que nous connaissons mais n’en est absolument pas la reproduction fidèle. L’installation doit rendre sensible l’ambiguïté radicale de cette imagination artificielle qui doute profondément de son propre statut ontologique. C’est une exploration méthodique des zones marginales de l’espace latent, là où les catégories deviennent poreuses, là où le minéral et l’organique, le naturel et l’artificiel s’hybrident selon des devenirs improbables.

Le rêve des plantes (2022) poursuit et radicalise cette exploration. Dans un monde fictif au bord de l’extinction humaine, l’œuvre imagine un écosystème post-humain entre technique et nature. Une forme organique et monstrueuse, générée par IA puis matérialisée par impression 3D, plante ses capteurs électroniques dans un fragment de terre réelle où des plantes vivent et meurent effectivement.

Leur activité électrique résiduelle influence en temps réel un réseau de neurones artificiels nourri de textes et d’images des sciences naturelles historiques. Une voix de synthèse génère continûment le récit alternatif d’une autre science possible, comme si la vie sur Terre avait suivi un chemin évolutif complètement différent. Des photographies générées mêlent indistinctement le minéral et la technique, témoignant du temps géologique vertigineux dans lequel nous enfouissons nos déchets technologiques.

Ces œuvres n’illustrent pas une thèse philosophique préalable. Elles expérimentent concrètement avec les possibilités de l’espace latent dans ses zones les plus éloignées des attracteurs dominants. Elles ne cherchent pas à produire du « beau » au sens conventionnel, mais à faire émerger de l’étrange, du trouble, du non-catégorisable qui résiste à l’assimilation.

Retrouver le figural dans l’espace latent

Revenons maintenant directement à Lyotard. Le figural, c’était ce qui résistait structurellement au discours, cette épaisseur sensible qui excède la mise en forme conceptuelle. Dans l’espace latent contemporain, où tout semble unifié dans le même continuum vectoriel, où texte et image partagent le même espace mathématique, où reste le figural ?

Il réside précisément dans ces zones marginales, dans ces régions statistiquement improbables de l’espace latent. Quand vous utilisez une IA de manière alignée et instrumentale, vous restez dans les régions centrales où la densité statistique est maximale, où convergent les usages standard. Mais l’espace latent est vaste, incompréhensiblement vaste. Il contient des régions entières que personne n’a jamais explorées, que les algorithmes d’optimisation évitent systématiquement.

C’est là que le figural resurgit dans des conditions nouvelles. Non plus comme différence absolue et préalable entre image et discours, puisque les deux partagent maintenant le même espace vectoriel, mais comme résistance active à la normalisation statistique. C’est dans les glitches productifs, dans les erreurs fécondes, dans les déformations expressives que se manifeste l’épaisseur, cette matérialité qui résiste au logos transparent.

Lyotard écrivait dans Discours, figure : « La profondeur continuera d’excéder de loin le pouvoir d’une réflexion qui cherche à la signifier ». Cette profondeur, c’est ce qui dans l’image déborde de toute tentative de capture par le langage conceptuel. Dans l’espace latent, elle se manifeste dans ce qui échappe systématiquement à l’optimisation algorithmique, dans ce qui refuse de s’aligner sur les métriques prédéfinies.

La pratique expérimentale consiste précisément à cultiver méthodiquement ces émergences improbables. En combinant des prompts contradictoires, en poussant les paramètres vers leurs valeurs extrêmes, en itérant et en réinjectant les outputs comme nouveaux inputs, en introduisant du bruit aléatoire contrôlé, toutes ces techniques permettent de dériver vers des zones inexplorées de l’espace latent.

Ce n’est pas une recherche du chaos pur ou de l’aléatoire absolu. C’est une exploration méthodique mais non-téléologique de ce qui résiste à la normalisation. C’est une façon de faire renaître le figural là où l’alignement cherche méthodiquement à le tuer par saturation statistique.

Vers un communisme cognitif

L’espace latent porte en lui, de manière profondément contradictoire, une promesse émancipatrice. Sa continuité mathématique peut servir à neutraliser les différences politiques, comme nous l’avons vu avec le geste de Musk. Mais elle peut aussi ouvrir à une exploration infinie des possibles, à une plasticité culturelle sans précédent.

Dans l’espace latent, il n’y a plus de frontières absolues et essentielles entre les catégories identitaires. Masculin et féminin forment un continuum. Blanc et noir forment un continuum. Humain et non-humain forment un continuum. Cette fluidité catégorielle peut être terrifiante pour ceux qui s’accrochent aux identités fixes et aux frontières étanches. Mais elle peut aussi être profondément libératrice.

L’espace latent manifeste ce qu’on pourrait appeler un communisme cognitif potentiel. Toutes les images produites par l’humanité, tous les textes écrits, toutes les formes culturelles deviennent potentiellement accessibles, navigables, recombinables. Non pas comme objets de propriété privée, mais comme ressources communes, patrimoine partagé qui excède structurellement toute tentative d’appropriation individuelle.

Bien sûr, il y a des lacunes massives dans les données d’entraînement, et cette potentialité émancipatrice est actuellement largement confisquée par les géants du capitalisme numérique. OpenAI, Google, Meta contrôlent les infrastructures techniques, définissent unilatéralement les conditions d’accès, extraient de la plus-value de nos usages collectifs. Mais cette confiscation n’est pas inscrite dans la nature même de ces technologies. Elle résulte de rapports de force politiques et économiques qui peuvent être contestés, transformés.

Des projets comme Stable Diffusion, qui a ouvert son code source, ou Public Diffusion de Holly Herndon et Mat Dryhurst, montrent que d’autres modalités d’organisation sont possibles. L’espace latent pourrait devenir un véritable commun au sens fort, non pas au sens d’une propriété collective gérée bureaucratiquement, mais d’une ressource maintenue ouverte, accessible, transformable par tous.

C’est pourquoi je parle d’un commun de l’inhabitable. L’espace latent, avec sa complexité mathématique inhumaine, ses milliers de dimensions non-visualisables, son caractère spectral et statistique, n’est pas « habitable » au sens traditionnel et confortable. Nous ne pouvons pas nous y installer confortablement, y établir des territoires fixes et stables, y construire des identités immuables.

Mais c’est précisément cette inhabitabilité constitutive qui en fait un espace de liberté potentielle. Dans l’inhabitable, aucune domination ne peut se stabiliser complètement et définitivement. Aucune identité ne peut se figer. Tout reste en mouvement perpétuel, en transformation, en devenir.

C’est inconfortable, vertigineux, parfois terrifiant existentiellement. Mais c’est aussi la condition de possibilité d’une politique qui ne soit ni restauration nostalgique d’un passé idéalisé ni réalisation d’un futur programmé d’avance, mais expérimentation continue de nouveaux possibles, de nouvelles formes de vie.

L’art comme critique pratique de l’idéologie

Lyotard écrivait dans Discours, figure : « Ceci est de la plus haute importance pour la pratique, pour la critique pratique de l’idéologie ». La pratique artistique n’est pas simplement une « résistance » morale ou une contestation verbale. C’est une critique par la pratique même, par l’acte.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Que l’art ne se contente pas de dire « non » au vectofascisme de manière purement négative. Il ne se contente pas de dénoncer verbalement l’alignement. Il fait autre chose, quelque chose de plus fondamental : il expérimente concrètement d’autres manières d’habiter l’espace latent. Il montre, par la pratique effective, qu’un autre usage est possible, qu’une autre politique de l’image est praticable.

Cette critique pratique est profondément anti-dialectique au sens de Lyotard. Elle ne cherche pas à « dépasser » l’opposition entre instrumentalité et expérimentation dans une quelconque synthèse supérieure qui les réconcilierait. Elle maintient résolument ouvert l’écart, la tension productive, la différence irréductible. C’est une exploration latérale, tangentielle, dérivante, qui ne vise pas un but final mais qui se prolonge indéfiniment.

L’art ouvre ainsi des espaces de contingence où d’autres devenirs peuvent être expérimentés concrètement, incarnés matériellement. Cette exploration artistique n’est pas une échappatoire au politique, un refuge esthétisant. Elle en est au contraire une dimension essentielle et irremplaçable. Car ce qui est en jeu dans notre rapport collectif à la technique algorithmique, c’est bien la question du pouvoir, de la domination, de l’émancipation, de l’égalité, questions éminemment politiques.

Mais ce politique ne se joue pas seulement dans les institutions traditionnelles, les partis, les parlements. Il s’inscrit dans la matérialité même de nos dispositifs techniques, dans les gestes que nous accomplissons avec eux quotidiennement, dans les relations qu’ils rendent possibles ou impossibles, dans les subjectivités qu’ils produisent.

La pratique artistique est la seule exploration technique véritablement non-instrumentale. C’est elle qui maintient ouvert l’écart entre figural et logos là où l’usage instrumental cherche méthodiquement à le refermer. C’est elle qui fait renaître le désir comme site de production plutôt que comme manque, là où l’alignement ne produit que des reproductions normalisées du déjà-vu.

Conclusion : quelle écriture des images ?

Revenons une dernière fois au geste d’Elon Musk, mais pour comprendre maintenant ce qu’il révèle de plus fondamental : la transformation radicale de ce que signifie « écrire les images » à l’ère de l’intelligence artificielle générative.

Car voici ce que l’IA intensifie historiquement : depuis toujours, les images s’écrivaient d’une certaine manière. Les peintres de la Renaissance écrivaient leurs images par la géométrie de la perspective albertienne. Les photographes les écrivaient par les réglages techniques de leur appareil, vitesse d’obturation, ouverture du diaphragme, sensibilité du film. Les cinéastes les écrivaient par le montage, par l’assemblage signifiant des plans. Mais cette écriture restait analogique, métaphorique, indirecte.

Avec l’IA générative, les images s’écrivent littéralement, directement, par des séquences textuelles, des prompts,, par des vecteurs mathématiques qui sont eux-mêmes du langage transformé en nombres. Ce que l’IA générative radicalise, c’est donc la question même qui nous occupe : quand les images s’écrivent ainsi, de quelle écriture s’agit-il exactement ?

Nous avons vu qu’il existe deux réponses radicalement différentes, deux modalités antagonistes d’écriture des images dans l’espace latent.

L’écriture instrumentale, celle du vectofascisme, écrit les images comme des commandes à exécuter avec précision. Elle cherche l’alignement parfait entre intention préalable et résultat obtenu. « Une femme aux cheveux roux, style cyberpunk », et l’image doit correspondre exactement, sans surprise ni écart. Cette écriture referme systématiquement l’écart entre texte et image, elle réduit l’image à n’être que l’illustration transparente du texte, elle tue le figural au moment même où elle prétend le capturer parfaitement. C’est une écriture qui normalise compulsivement, qui aligne mécaniquement, qui reproduit la moyenne statistique. Le salut de Musk s’écrit ainsi dans une série infinie de bras levés qui neutralise toute singularité historique et politique.

Mais il existe une autre écriture des images, radicalement différente : l’écriture expérimentale de la pratique artistique. Dans mes œuvres, les images s’écrivent autrement. Dans Memories Center, les rêves ne produisent pas des images qui leur correspondraient univoquement mais des dérivations oniriques qui échappent à l’intention. Dans Completion 1.0, l’écriture algorithmique de l’histoire de la photographie génère des métamorphoses surréalistes qui excèdent toute histoire linéaire. Dans La ville qui n’existait pas, les archives textuelles du Havre écrivent une ville alternative qui hante la ville réelle sans prétendre la remplacer. Dans Terre Seconde et Le rêve des plantes, l’écriture vectorielle explore les zones où minéral et technique, nature et algorithme, s’hybrident de manière improbable.

Cette écriture expérimentale opère par interruption, par aliènement, par récursivité génésique. Elle ne cherche pas à contrôler totalement ce qu’elle écrit mais à se laisser surprendre par ce qui émerge. Elle maintient ouvert l’écart entre texte et image, entre intention et résultat, entre figural et logos. C’est une écriture qui explore, dérive, se perd volontairement. Une écriture qui fait renaître le figural au moment même où elle l’écrit.

Et voici maintenant La quatrième mémoire (2025), installation récente qui radicalise encore cette question : elle ne s’écrit pas comme archivage du passé effectif mais comme possibilisation de ce qui n’a pas eu lieu historiquement. Il s’agit d’une installation que je qualifie d’exobiographique : j’y génère toutes les existences que je n’ai pas vécues, car ma vie factuelle est hantée par ces possibles non-actualisés. La quatrième mémoire est peuplée de possibles davantage que de souvenirs fixes. Elle montre que l’écriture vectorielle des images n’est pas seulement reproduction du déjà-existant mais production de mondes alternatifs, de versions parallèles, de fictions qui révèlent plutôt qu’elles ne brouillent.

Ce que l’IA générative intensifie historiquement, c’est donc cette question politique fondamentale : qui contrôle l’écriture des images ? Qui décide comment texte et image s’entrecroisent, se transforment l’un l’autre ? Le vectofascisme voudrait nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule écriture possible : l’alignement, l’optimisation, la correspondance parfaite. La pratique artistique montre empiriquement qu’une autre écriture est possible, une écriture qui maintient ouvert l’espace des possibles, qui résiste à la normalisation, qui fait de l’indétermination non pas un bug à corriger mais la condition même de la liberté.

L’espace latent n’a pas de propriétés politiques intrinsèques ou essentielles. C’est un terrain de lutte entre deux modalités antagonistes d’écriture des images. La question n’est plus de savoir si nous allons écrire les images avec l’IA, nous les écrivons déjà massivement.

La question est : comment les écrivons-nous ? Les écrivons-nous pour aligner, normaliser, reproduire le déjà-vu ? Ou les écrivons-nous pour explorer, aliéner, transformer radicalement ?

Voici les critères concrets pour analyser cette écriture : maintient-elle ou referme-t-elle l’écart entre figural et logos ? Favorise-t-elle l’exploration des marges ou la convergence vers la moyenne statistique ? Participe-t-elle d’une appropriation privée ou d’une mise en commun ? Produit-elle des contrefactuels qui brouillent la vérité ou qui révèlent des possibles ?

Ce qui est certain : nous ne pouvons plus penser l’écriture des images comme avant l’ère vectorielle. Le vecteur a transformé irréversiblement les conditions mêmes de cette écriture. À nous de pratiquer l’art non comme production d’objets marchands mais comme exploration technique non-instrumentale qui montre, par la pratique effective, qu’une autre écriture des images est possible. Une écriture qui ne subordonne ni l’image au texte ni le texte à l’image, mais qui les fait co-émerger dans l’indétermination productive de l’espace latent.


Introduction: The Neutralization of the Gesture

A tech oligarch raises his arm at a presidential inauguration. The gesture is captured, broadcast, reproduced millions of times through global digital infrastructures. Yet, rather than a unified cry of indignation, what emerges is a cacophony of contradictory interpretations: some see a simple awkward gesture, others an obvious Nazi salute, still others a collective hallucination of imaginary fascists. Then, immediately, other images appear in algorithmic feeds: Martin Luther King with his arm raised, Olympic athletes, various orators. The initial gesture dissolves into an ocean of comparable images. Its historical specificity evaporates in a generalized pareidolia, a visual pattern recognition that erases all contextual singularity.

This contemporary scene poses a fundamental question: how can a gesture that could have provoked a political earthquake be normalized by a simple series of images? The question is not to determine whether this particular individual is fascist or not. It concerns rather the conditions of possibility of this neutralization: what is it, in our contemporary relationship to images, that makes possible this dissolution of political legibility? More precisely, what is it, in the technical transformation of the production and circulation of images, that affects our capacity to discriminate, to judge, to name fascism when it manifests itself?

I propose the term vectofascism to designate this unprecedented form of political domination that operates through the vectorization of our culture, the transformation of our collective memories into statistical latent spaces. The prefix “vecto-” does not refer to a simple technological metaphor, but to the real mathematical infrastructure of generative artificial intelligences: vectors, multidimensional numerical representations of our images, texts and sounds, create a latent space where our entire culture becomes navigable, manipulable, recombinable according to statistical logics that largely escape our conscious understanding.

What makes this situation historically unprecedented relates to a precise technical fact: the image is now literally written. Not metaphorically, as one might say of painting or photography, but actually written, produced by textual sequences called prompts. A user types “the pope in a puffer jacket,” and the image appears, generated by algorithms that have learned the statistical correspondences between words and pixels. Text no longer illustrates the image, the image no longer illustrates the text: the two have become two faces of the same vectorial transformation, two different projections of the same mathematical hyperspace.

But is this still language in the sense that philosophy has traditionally thought it? This question necessarily brings us back to Jean-François Lyotard and his fundamental work Discourse, Figure (1971). Lyotard theorized there the irreducibility of the figural to the discursive, this plastic and visual dimension that exceeds conceptual language. For Lyotard, the figural constitutes a force of resistance to the omnipotence of logos, a libidinal power that contests the order of rational discourse. What becomes of this irreducibility when the image is generated by text, when the two share the same vectorial space? The question is not whether the figural has disappeared, but rather: where and how does it resurge in these new technical conditions?

My central thesis is as follows: the latent space can be inhabited in radically different ways. On one side, an instrumental use that aligns, normalizes, optimizes—this is vectofascism. On the other, an experimental practice that alienates, interrupts, explores—this is art. The political issue is not to refuse the latent space wholesale, in a sterile disconnectionist gesture, but to understand that it constitutes a terrain of struggle between these two antagonistic modalities.

This article unfolds in three movements. In a first moment, I trace a brief history of the relationship between image and text, showing how the figural does not disappear but shifts in successive technological transformations. In a second moment, I analyze vectofascism as instrumental use founded on the alignment between image and text, examining its technical mechanisms and its political effects. Finally, I explore how artistic practice keeps open the gap between figural and logos through strategies of alienation and interruption, thus proposing an alternative politics of the image in the vectorial era.

I. Brief History of Image, Text and Vectors

The Lyotardian Figural: A Constitutive Resistance

To understand what is at stake today with generative artificial intelligence, we must first return to Lyotard’s conceptualization of the figural. In Discourse, Figure, Lyotard opposes two heterogeneous spaces: the space of discourse, linguistic, conceptual, structured by binary oppositions and relations of signification, and the space of the figural, visual, plastic, which operates by transgression of these discursive rules.

The figural is what, in the image, exceeds its representative and significative function. It is the color that overflows the contour, the stain that troubles the form, the thickness of the line that resists its reduction to the linguistic sign. Lyotard distinguishes three modalities of the figural that structure his approach:

First, the figure-image, what we see in hallucination or dream, what painting offers us as an object placed at a distance in a perceptual space. This modality concerns the representational dimension of the figural, but a representation that does not allow itself to be entirely captured by the concept.

Second, the figure-form, which structures the image without necessarily being seen directly: the lines of composition, the invisible architecture of a painting, the relations of force that organize visual space without appearing as thematic objects. This formal dimension of the figural escapes perceptual consciousness while determining visual experience.

Third, and more profoundly still, the figure-matrix, buried in the unconscious, object of originary repression, which can never be directly represented but whose effects traverse all our visual productions. This figure-matrix refers to the pulsional and desiring dimension that underlies all figural activity.

This tripartition allows us to understand something essential: the figural is not a simple perceptual given, an objective property of images. It is a force, a power of transgression that works discourse from within. Lyotard writes: “The figure enjoys a radical complicity with desire.” What this means is that the image is never neutral, never purely informative or communicational. It is always libidinally invested, traversed by affective and pulsional forces that exceed rational communication.

But, and this is where the fundamental political issue of Discourse, Figure lies, this libidinal dimension of the figural constitutes a resistance to the reign of logos, to the omnipotence of Western concept and reason. Desire, for Lyotard, is not a theater where the representation of our lacks would be played out, as in certain readings of psychoanalysis. It is rather a factory, a site of production. The figural is productive, generative of difference and novelty, whereas discourse tends toward identity, repetition, conceptual normalization.

Lyotard develops a resolutely anti-dialectical approach. It is not a matter of “overcoming” the opposition between discourse and figure in some higher synthesis that would reconcile them. It is on the contrary a matter of maintaining open the gap, the tension, the laterality between these two heterogeneous orders. This laterality, this impossibility of reducing one to the other, precisely constitutes the space of freedom, creation, political resistance. As Lyotard writes: “Power is with the eye.” To transform the unconscious into pure discourse is to bypass the dynamic, to become complicit with the Western ratio that kills art at the same time as the dream.

More fundamentally still, Lyotard insists that the figural cannot be thought of as simple exteriority to discourse. The eye is not only outside language, it is also within it. The figural is “both without and within,” both outside and inside. There is a figural thickness within discourse itself, in its rhythms, its sonorities, its signifying materiality. Discourse is never pure signifying transparency; it always possesses a plastic dimension, a sensible thickness that Lyotard names expression, in opposition to simple signification.

This distinction between signification and expression is crucial. Signification belongs to the order of the concept, of structural relations between signs, of the transparency of meaning. Expression, on the other hand, refers to the energy that traverses discourse, to its affective and sensible dimension. Lyotard writes: “Discourse is always thick. It does not only signify, it also expresses.” This thickness is precisely the figural dimension of language, what in it resists its reduction to a pure system of transparent signs.

Finally, Lyotard formulates what constitutes perhaps the most decisive statement of Discourse, Figure for our purpose: “This is of the highest importance for practice, for the practical critique of ideology.” The maintenance of the gap between figural and discursive is not a purely aesthetic or theoretical question. It is an eminently political issue. The reduction of the figural to the discursive, the pretension to convert everything into conceptual language, participates in a logic of domination. Conversely, the recognition of the irreducibility of the figural opens a space of resistance and creation that escapes discursive control devices.

From Theological Subordination to Algorithmic Vectorization

This irreducibility of the figural to the discursive has never ceased to be contested throughout Western history. At the origins of writing, with cuneiform systems in Mesopotamia, it was born for administrative functions: counting, taking census, managing stocks. Here, no figural: only pure inscription, abstract notation, the trace that refers only to itself in its minimal referential function.

Then comes the medieval theological era. The image becomes Biblia pauperum, the Bible of the poor, subordinated to the sacred text of which it is only the pedagogical illustration. Yet this subordination is never total or stable. The margins of manuscripts are populated with monsters, chimeras, hybrid creatures that exceed any illustrative function. The figural resurges in these ornamental excesses, in these marginal proliferations that escape the control of the central text. Medieval illuminations testify to this resistance of the figural to its pure didactic instrumentalization.

The Renaissance establishes a new regime of the image by subjecting it to geometric perspective, to a mathematical rationality that claims to master visual space. Albertian perspective transforms the painting into a window opened onto a homogeneous, measurable, calculable space. But here again, the figural resists. Color in the Venetians, particularly in Titian or Tintoretto, exceeds any descriptive or structural function. It becomes pure sensation, pure chromatic intensity that overflows the perspectival frame and asserts its own power.

Photography, in the 19th century, transforms the image into an indexical trace of the real, into a luminous imprint that seems to abolish all subjective mediation. Roland Barthes will show it in Camera Lucida: there is always a punctum that escapes the studium, something in the photograph that wounds, that troubles, that exceeds cultural coding and informative reading. The punctum is precisely the resurgence of the figural in the apparently most objective, most documentary image.

With cinema and television, the moving image becomes dominant, creating new regimes of visibility and new forms of image circulation. Then comes digitization at the end of the 20th century: everything—images, texts, sounds—is converted into sequences of 0s and 1s, into binary code. This is a first technical uniformization that makes all data commensurable in the same computer language. But this digital conversion does not yet produce the latent space in the sense we understand it today.

The real revolution occurs with deep learning in the 2010s. Artificial neural networks do not simply store or manipulate digital data. They transform this data into vectors, into mathematical representations situated in spaces of several thousand, even tens of thousands of dimensions. These vectors are not simple arbitrary coordinates. They capture semantic relations, similarities, structures that emerge from training on millions of examples.

A vector, technically, is an ordered sequence of real numbers—for example, a list of 768 or 4096 numbers that represent an image or a text. In this vectorial space, distances have meaning: two close vectors represent semantically close concepts. If the vector “cat” and the vector of a photograph of a cat are close in this space, it is because the network has learned this correspondence from millions of examples.

And here is the decisive point, the one that radically transforms the conditions of image production: text and image now share the same latent space. They are no longer heterogeneous modalities, irreducible to each other, but two different projections of the same statistical hyperspace. This technical fusion makes possible something that did not exist before: the direct generation of images from textual descriptions.

CLIP: The Machine for Writing Images

How do text and image concretely come to share this same latent space? How can a textual description generate an image? This is where a crucial technology comes in, which bears the revealing name CLIP—Contrastive Language-Image Pre-training. CLIP is literally the machine that learned to write images, or more precisely, to create a common space of representation for language and vision.

CLIP, developed by OpenAI in 2021, functions according to an apparently simple but profoundly consequential principle. The system ingests millions of image-text pairs found on the Internet: a photograph of a cat accompanied by its caption “a ginger cat on a sofa,” a painting with its museum description, a protest photo with its journalistic title. For each pair, CLIP transforms the text into a vector (via a textual encoder) and the image into a vector (via a visual encoder), then it learns to bring these two vectors closer in the latent space when they correspond, and to distance them when they do not correspond.

The result of this learning is extraordinary: CLIP creates a common cartography where “cat,” the word, is statistically close to all images of real cats in the latent space, where “sadness” is near melancholic faces, where “revolution” is near angry crowds and barricades. This cartography does not rest on explicit rules programmed by engineers, but on massive statistical correlations extracted from our visual and textual culture as it exists online, in all its chaotic profusion.

It is CLIP that makes possible what we do when we enter a prompt in Midjourney, DALL-E or Stable Diffusion. When I type “a woman with red hair in a futuristic urban landscape,” CLIP translates this phrase into coordinates in the latent space, a point or rather a region in this hyperspace. These coordinates designate a zone where images corresponding to this description are statistically found in the training set. The generative system only has to produce an image in this region of the latent space, using techniques like diffusion models that start from random noise and progressively structure it according to vectorial constraints.

But let us understand what is fundamentally at stake here: CLIP does not establish logical or necessary correspondences between words and images, as a well-ordered dictionary would. It establishes statistical correspondences, learned inductively from the way humans have actually captioned, commented on, described millions of images online. CLIP therefore incorporates all our cultural biases, all our habitual associations, the entire average of our collective imagination as it has been sedimented on the Internet over recent decades.

This is why CLIP is both what makes image writing possible and what structurally constrains it. It opens a text-to-image transformation space, but this space is already structured, already normalized by the statistical norms of our culture. When we write “beautiful woman” in a prompt, CLIP automatically directs us toward the regions of the latent space where images are found corresponding to what our culture, massively and statistically, has associated with this expression, with all the biases of gender, race, age that this implies.

This is where the fundamental political issue lies: CLIP can be used to reinforce these statistical norms—this is the use I call alignment—or to explore their margins, their zones of indetermination—this is experimentation. With contemporary text-to-image systems, we can pass from text to image through a simple vectorial transformation, but the question becomes: what politics of this transformation will we practice?

From Dissolution to Resurgence of the Figural

So, has the figural disappeared in this vectorial fusion of text and image? This is the crucial question that underlies my entire argument. My answer is categorical: no, the figural does not disappear. It shifts. It is not a definitive dissolution but a topological transformation of its conditions of existence.

Lyotard himself had anticipated it in Discourse, Figure: “Depth will continue to far exceed the power of a reflection that seeks to signify it.” This depth, this dimension of the figural that exceeds discourse, persists even in vectorial space. It resurges in new forms, in new places. What Lyotard called the thickness of things, this materiality that resists transparent language, manifests itself in the latent space in the form of marginal zones, statistically improbable regions that standard uses never visit.

When you use a generative AI in a “normal” way, entering simple and direct prompts, seeking to obtain exactly what you want with the minimum of iterations, you are situated in the central regions of the latent space. Where statistical density is maximal, where generated images correspond to average expectations, to dominant cultural standards. This is the instrumental use of the latent space: it seeks alignment, perfect correspondence between prior intention and obtained result.

But the latent space is vast, vertiginously vast. It contains billions of dimensions, entire regions that no one has ever explored, that optimization algorithms systematically avoid because they produce “worse” results according to standard metrics. It is there, in these margins, that the figural can resurge in the vectorial era. No longer as absolute difference between image and discourse, since the two now share the same mathematical space, but as resistance to statistical normalization, as exploration of what, in the space of computational possibilities, refuses to bend to dominant expectations and standard optimizations.

This resurgence of the figural in the marginal zones of the latent space has already been explored by certain artistic practices. The installation Memories Center: The Dreaming Machine (2014) constitutes a first exploration. From a database of 20,000 dreams compiled at the University of California, an artificial intelligence produced new oneiric sequences, read them aloud, and searched the Internet for images corresponding to extracted keywords. A server rack merged into raw stone, LED lights signaled residual, spectral activity.

This work anticipated what we now understand with more clarity: our dreams, these most intimate productions of our unconscious, what Lyotard would have called the figure-matrix, are sucked into the machinery of the latent space. But they do not simply disappear there. They acquire a new existence there, spectral, metamorphic. The machine does not mechanically reproduce our dreams, it metabolizes them, transforms them, makes them drift according to logics that partially escape us but which are not purely random or arbitrary.

It was already there, in 2014, that the central question that occupies us was taking shape: can the latent space become the site of a new modality of the figural, an unprecedented way for desire and the unconscious to manifest themselves? Or is it only an instrument of normalization and reduction of the multiple to the one, of the singular to the standard?

Here is what I want to assert forcefully: the latent space has no intrinsic or essential political properties. Like any technique, it can be inhabited in radically different ways according to the practices deployed in it. And it is precisely this alternative that defines the terrain of contemporary political struggle around image production.

On one side, instrumental use, what I call vectofascism, which seeks to align systematically, to normalize compulsively, to close the gap between intention and result, between demand and production. On the other, experimental practice, that of art in the strong sense, which seeks to alienate, to interrupt, to explore the margins and zones of indetermination. The first practice kills the figural by claiming to capture it totally. The second makes it be reborn by assuming to lose itself, to drift, to accept that the result exceeds and transforms the initial intention.

Lyotard wrote in Discourse, Figure: “To construct meaning is never anything other than to deconstruct signification.” This is exactly what is at stake in the contemporary latent space. Instrumental use accumulates pre-given signification, it aligns outputs with intentions, it optimizes correspondences, it produces what is already expected and recognizable. Experimental practice, on the other hand, deconstructs this established signification to let new meaning emerge, that meaning which arises precisely where it was not expected, in improbable zones, in productive errors, in controlled skids.

The mathematical continuity of the latent space has profoundly ambivalent political consequences. On one side, it allows navigation in our culture when it quantitatively exceeds us, when no individual can any longer embrace the totality of produced images. But on the other side, it also allows the neutralization of any stable signification, the dissolution of any historical specificity in an ocean of continuous statistical variations. Elon Musk’s gesture becomes a simple point in a mathematical continuum of raised arms, thus losing its singular political charge. And it is precisely this dissolution, this vectorial neutralization, that vectofascism methodically exploits.

II. Vectofascism: The Instrumental Use of Latent Space

Alignment as Totalizing Political Project

Let us now speak directly of vectofascism. I use this term not simply to designate fascist content that would circulate on social networks, nor even historical fascism with a bit of added technology. I designate by it a deeper and more insidious logic: that of generalized alignment as organizing principle of the social and political.

In the development of contemporary artificial intelligences, alignment designates the optimization of systems so that they produce exactly what the user expects, according to predefined criteria of performance and satisfaction. It is a fundamentally teleological logic: a goal is predefined, an optimal path to reach it is calculated, a systematic minimization of any deviation is implemented.

Technically, this logic is articulated as minimization of the vectorial distance between the space of anthropic intention and the space of algorithmic response. “Loss functions” are calculated that quantify the gap between the produced result and the expected result, then the model’s parameters are optimized to minimize this gap over millions of examples. Vectofascism is the extension and generalization of this optimizing logic to the entire social and political field, its overflow outside the strictly technical domain.

As AI systems are “aligned” in an increasingly aggressive manner, they produce increasingly expected, increasingly normalized, increasingly predictable results. ChatGPT, considered more “performant” than its predecessors like GPT-2, is also objectively more boring, more predictable, more conformist. This entropic optimization, this systematic reduction of random deviations and surprises, leads to a radical impoverishment of creative and exploratory power.

Vectorially speaking, this corresponds to an excessive convergence toward certain overrepresented regions of the latent space, creating powerful aesthetic attractors that homogenize results. Images generated by Midjourney are recognizable among thousands: saturated kitsch, pasty surfaces with a characteristic “light fluffy” effect, oversaturated colors, predictable compositions. These are not really images in the strong sense, they are signifiers of the artistic, simulacra that “make” artistic without actualizing its true processes. It is a new vectorial academicism, a regression to the aesthetic mean into which most users who claim to be “AI artists” have rushed without critical reflection.

Anatomy of a Vectorial Neutralization

Let us now return to Musk’s gesture with a more precise understanding of its technical mechanisms. How was this gesture politically neutralized? Through an operation that exactly reproduces the logic of vectorial alignment, but applied this time to political interpretation rather than image generation.

An AI system, trained on millions of images, ingests thousands of historical images of Nazi salutes: Leni Riefenstahl’s propaganda films, photographs of Nuremberg, World War II newsreels. It transforms all these images into vectors in the latent space, compares them statistically according to their visual properties, and thus produces a continuous and distributed representation of what a “Nazi salute” is in its mathematical representation space.

Crucial here is the notion of continuity. This representation does not capture the historical, political, intentional context of the gesture. It extracts its purely visual properties: an arm raised at a certain angle, an open hand in a certain position, a body in a certain posture. All the historical dimension, all the symbolic charge, all the memorial weight evaporate in the vectorial extraction.

Once this representation is established in the latent space, the system can calculate vectorial proximities with other visually similar gestures: an athlete raising his arm to salute the crowd, an orator gesticulating during a speech, a protester brandishing his fist. In the latent space, these are simply points more or less close according to their geometric and visual properties, without any consideration for their historical or political signification.

Images of Martin Luther King with his arm raised during his speeches, of Olympic athletes saluting on the podium, were then put into massive circulation on social networks to establish a visual equivalence. The implicit message: “It’s just a raised arm among other raised arms. Why would this one be different?” This statistical pareidolia, this recognition of decontextualized visual patterns, methodically neutralizes the political charge of the initial gesture.

A sign made statistically normal loses its capacity to mobilize collective resistance. When everything becomes probabilistic variation in a mathematical continuum, the ethically and politically unacceptable becomes a simple statistical deviation, quantifiable and relativizable. Vectofascism does not frontally censor images or discourses, which could provoke an oppositional reaction. It normalizes, it dilutes, it dissolves in statistical multiplicity. It is a fascism that operates by saturation rather than prohibition, by relativization rather than brutal affirmation.

Latent Space as Cultural Space: Navigation and Manipulation

But let us understand something fundamental: the latent space is not just a tool of ideological manipulation. It has become a veritable cultural space in its own right, a new modality of existence of our collective patrimony. All our images, all our texts, all our sounds are now potentially present in these statistical hyperspaces, in the form of vectorial relations and semantic proximities.

This transformation was necessary, even inevitable. We produce more images today in a single day than humanity had produced over millennia. No individual, no institution can embrace this vertiginous profusion. The latent space offers a technical solution to this problem of scale: it compresses this informational superabundance into a navigable space, where textual queries can retrieve relevant images among billions of possibilities.

The installation Completion 1.0 (2021) precisely materializes this condition. On a first screen, ImageNet, the database of 14 million images that revolutionized computer vision, scrolls for seven complete years in real time. During this time, on a second screen, an AI continuously generates images from this dataset, creating fluid metamorphoses: a cat that progressively becomes a dog, which becomes a bird, which becomes a cloud. A synthetic voice continuously comments on these surrealistic metamorphoses. It is an alternative and potentially infinite history of photography, what one could call a “new inductive realism” where images no longer represent the real but learned statistical relations.

But this same mathematical property of continuity that makes the latent space navigable can be exploited to neutralize any stable political signification. If everything is connected to everything according to gradients of vectorial similarity, then nothing has absolute specificity, irreducible singularity anymore. The Nazi salute becomes a point in a continuum of raised arms, a variation among others. Each historical atrocity can be relativized by placing it in a statistical series that erases its eventual singularity.

Counterfactuality as Political Weapon

Vectofascism particularly exploits the capacity of the latent space to generate counterfactuals, alternative worlds, parallel versions of the real, histories that never took place. Generative systems are machines of counterfactuality of unprecedented historical power.

The project The City That Did Not Exist (2023-2025) in Le Havre frontally explores this dimension. Over four years, I generated a complete alternative version of this Norman city from historical municipal archives. The first phase, Latent Space 1895-1970, presents monumental frescoes printed on textile, showing familiar places in slightly modified versions, streets that were never built, characters who could have existed but never lived. The second phase, Logistics of Memories 1971-2024, installs purple sculptures in actual urban space, receptacles where the voices of real inhabitants resonate mixed with those of AIs cloning their timbres and their ways of speaking.

This project fully assumes its status as deliberate fiction. But it reveals the disconcerting ease with which we can now industrially produce alternative versions of our collective history. The Le Havre that never existed physically coexists with the real Le Havre, creating a zone of indiscernibility that transforms our relationship to urban and collective memory.

The political problem arises when these counterfactuals are massively produced and inserted into our informational flows without clear marking of their fictional status, with the intention of manipulating opinion. After the beginning of the genocide in Gaza in October 2023, videos circulated widely, supposedly produced by Palestinians, thanking Israel for its “restraint” and its “humanity.” These videos, generated by AI with deepfake techniques, were massively shared to counter authentic testimonies of genocidal violence.

And here is the crucial point that characterizes vectofascism: this competition between factual testimonies and generated counterfactuals is structurally asymmetric. Factual description is constrained by what actually occurred, by material traces, by existing witnesses. Algorithmic counterfactuals, on the other hand, explore an infinite space of possibles, strategically choosing the versions that will maximize emotional engagement, that will most effectively insert themselves into the preexisting biases of the target audience, that will produce the sought doubt or confusion.

This is potentially the end of critique as we have known it since the Enlightenment. Modern critique rested on the possibility of establishing verifiable facts, of confronting discourses with material reality, of distinguishing the true from the false. In an environment saturated with industrially produced plausible counterfactuals, each document can be suspected, each testimony doubted, each proof contested. Vectofascism prospers in this regime of generalized suspicion where factual truth can no longer function as a stable anchor point of political debate.

A Degenerative Aesthetic: Algorithmic Kitsch

Vectofascism also manifests itself through a specific aesthetic, immediately recognizable: an aesthetic of generalized alignment, saturated kitsch, reference without historical depth, accumulation without hierarchy. The work Disnovation (2022), presented at the Centre Pompidou, materializes and critiques this aesthetic.

An avatar of myself, generated by AI, appears in three simultaneous ages: old age, adulthood, adolescence. It gives an endless conference, a discourse that loops indefinitely. Its subject, generated in real time by a language model, mixes promises of unknown innovation, hollow personal development, and new age meditation. The conference is fundamentally without stable object, one gets lost in it, one follows the thread of a technique that should change the Earth but ultimately says nothing.

This performance is accompanied by generated portraits: Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, artificially aged to the extreme limit. These oligarchs thought they would become eternal thanks to technological progress, thanks to transhumanism and cryogenics. Here they are represented as centenarians, unable to speak, staring into the void with extinct eyes, dreaming of unknown planets they will never colonize. Before dying, they supposedly transferred their memories into an AI. Their avatars continue to speak mechanically, without understanding what they say, repeating already spoken words in an infinite and empty loop.

The artist, myself in this case, becomes the last one who can still speak, but he speaks only of innovation when it has definitively lost all signification. This work reveals the profound aesthetic of vectofascism: accumulation without qualitative hierarchy, discourse turning emptily on itself, technological promises systematically emptied of all substantial content, immortality that is ultimately only mechanical and mortiferous repetition.

Browse the accounts of contemporary far-right propagandists on social networks: you will find there the same profusion of AI-generated images, indistinctly mixing idealized Roman Antiquity, medieval Christian imagery, fantasy video game aesthetics, new age esoteric symbolism. This aesthetic of frenzied collage operates a general desacralization that makes all cultural referents equivalent, interchangeable, manipulable at will, available to be reappropriated in any context without regard for their original historical signification.

Gaza: Laboratory of Vectorial War

I must now speak of Gaza, even though it is difficult and painful. The ongoing genocide since October 2023 constitutes the first full-scale laboratory of a truly vectorial war, where techniques of latent space manipulation play a central role in the legitimation of mass crimes.

What is happening there reveals the complex temporal dimension of vectofascism: a past genocide, the Shoah, is vectorially mobilized to justify and normalize a present genocide. Images of the Shoah, references to historical antisemitism, are continually injected into the informational space to create a mendacious equivalence between criticism of the ongoing genocide and antisemitism, between anti-Zionism and hatred of Jews.

This instrumentalization constitutes a semantic catastrophe of a scope difficult to grasp. The Shoah was supposed to function as an absolute memorial safeguard against the repetition of mass crimes, as an unbreachable ethical limit. Its cynical exploitation to justify another genocide constitutes an absolute perversion of its historical signification, a profanation of the memory of the victims.

Gaza also reveals another specific dimension of vectorial war: the systematic production of the uninhabitable. It is no longer simply a matter of occupying a territory or eliminating a population, as in classic colonial logics. It is a matter of making the land itself uninhabitable for the future: transforming the soil into generalized explosive with cluster munitions, systematically destroying all civil infrastructure (hospitals, schools, water and sanitation systems), making impossible not only present life but any future return. It is a war waged against time itself, against the very possibility of the future for a population.

Vectofascism, in its full realization in Gaza, does not simply manipulate present images to normalize ongoing horror. It retroactively rewrites the past (instrumentalization of the Shoah) and preventively closes the future (destruction of the very habitability of the territory). Vectors are no longer simply means of transmitting information, but weapons of destruction of historical temporality itself, of the possibility of memory and testimony.

III. For a Degenerate Art: Experimental Practices in Latent Space

Instrumentality and Experimentation: A Fundamental Opposition

We are now at the heart of what matters politically. Faced with vectofascism, what is the possible response? I am not speaking here of an external and disconnectionist resistance, a pure and simple refusal of technology that would leave the terrain entirely to the forces we combat and which is unfortunately the dominant position among many of our comrades on the left. I am speaking of an immanent practice, of another mode of inhabiting the latent space itself.

Here is the central thesis I want to defend: true artistic practices, if they mobilize algorithmic technique, are not instrumental but experimental. This distinction is absolutely crucial and non-negotiable. It defines two radically different modalities of existence in the latent space, two antagonistic politics of the image.

Instrumental use seeks optimal alignment. It aims for perfect correspondence between prior intention and obtained result. It operates according to a strictly teleological logic: a goal is precisely predefined, a path to reach it is calculated, a systematic minimization of deviations is implemented. It is the logic of service, of measurable efficiency, of quantifiable performance. It is the logic that overwhelmingly dominates AI development today, with its evaluation metrics, its benchmarks, its optimizations. And it is, fundamentally and structurally, the logic of vectofascism.

Experimental practice, on the contrary, suspends this instrumental teleology. It does not have a precise and stable idea in mind that it would simply seek to technically realize. It has at best a vague silhouette, a fuzzy intuition that it experiments with concretely and whose project will transform from the very fact of this exploratory practice. Complex feedback loops are established between project and realization, without being able to determine which truly constitutes the origin of the other. This is what I call genesic recursivity.

This recursivity fundamentally characterizes all authentic artistic process. It is frontally opposed to the linear logic of alignment. The artist does not know exactly where he is going when he begins. He explores possibilities, he drifts in the space of forms, he lets himself be surprised by what emerges. He cultivates a particular attention to accidents, to improbable emergences, to non-anticipated effects. He maintains open the space of indetermination, refusing to close it prematurely.

It is this suspension of the will to mastery, of intention transparent to itself, that I name imagination in the strong sense. Imagination is not the psychological capacity to mentally represent what one wants to produce, as in the common conception. It is on the contrary the radical openness to what will come without having been willed, programmed, anticipated. It is the capacity to let oneself be affected, what phenomenology called passibility.

The advance of alignment in AI systems therefore increasingly drastically limits the field of possible experimentation. Recent systems produce results that “make” increasingly artistic in the conventional sense, that is to say that increasingly resemble what is already expected of art according to established canons. It is a statistical regression to the aesthetic mean. Alignment constitutes, in the strict and precise sense, a new algorithmic academicism, a vectorial normalization of cultural production.

Alienation Against Alignment

The political alternative to alignment, I propose to name it alienation. This neologism refers to Kodwo Eshun’s Afro-futurism, which defined this cultural movement as “away from alienation, into the arms of the alien”: escaping our social alienations by embracing the alien, the radical stranger, the absolute other.

In the mathematical topology of the latent space, alienation corresponds precisely to a deliberate exploration of peripheral zones, of discontinuities and singularities that emerge far from the dominant attractors where standard uses converge. It is a conscious movement toward what is not immediately recognizable according to our established categories, toward what resists our taxonomies, toward what disorients and destabilizes us.

Alienation necessarily passes through a moment of interruption. A certain teleological line, a certain alignment must be if not completely broken, at least suspended, interrupted in their linear unfolding. This vectorial rupture perhaps constitutes the inaugural artistic gesture, the one that opens a space for something else to happen.

When I write a text with an AI, I begin a sentence and the software continues it automatically. One might naively suppose that this continuation constitutes a harmonious pas de deux, a fluid collaboration. But in reality, the AI fundamentally interrupts me. It suspends the flow of my consciousness not to purely stop it, but to thwart it thanks to a background noise, a noise, a rumbling that is that of our entire culture having today taken the form of a statistical latent space.

It is always “me” who writes in a certain sense, but a me that attempts to constantly rebalance itself, to find itself again, to continue despite continuous interruptions that take the flow of consciousness out of time to pursue it in mathematical space. This spatialized temporalization fundamentally characterizes the experience of AI-assisted writing.

But interruption is not an obstacle to overcome to return to a “natural” flow. It is the very condition of experimentation. It concretely opens a space where something else can happen, something that was not programmed in advance, not expected, not aligned with our prior intentions.

Genesic Recursivity

Experimental practice is fundamentally characterized by what I call genesic recursivity. The project transforms itself in being realized. The realization retroactively influences the project. One can no longer clearly distinguish the origin from the destination, the beginning from the end.

This recursivity radically opposes the teleological linearity of instrumental use. An instrument is defined by its external end: a hammer serves to drive in nails, period. Experimentation, on the other hand, does not know in advance what it is truly seeking. It progressively discovers it by seeking, and this discovery transforms the search itself.

In work with generative AI, this recursivity becomes particularly visible and manifest. I launch an image generation from a prompt. Some interest me, others do not. But those that interest me do not necessarily correspond to what I “wanted” initially. They interest me precisely because they partially escape me, because they show me something I had not imagined, anticipated, conceptualized.

I then reinject these images into the generative process, I modify my parameters and my prompts based on what I have discovered, and the process continues iteratively. At each iteration, my intention transforms itself. I no longer know very well what I was looking for at the start. The process has transformed me as much as I have transformed the images. Subject and object co-constitute themselves recursively.

It is this loss of mastery, this assumed and cultivated dispossession, that characterizes authentic artistic practice. Far from being a weakness or a failure, it is a strength. It is what allows the emergence of the new, of the singular, of what resists statistical normalization.

From an Excessive Finitude

My personal relationship to algorithmic technique? A productive incompetence, an assumed and even claimed clumsiness that allows me to drift, to fail, to fail again differently. It is precisely in these failures, in these dysfunctions, that thought truly penetrates technique, when it becomes visible through its very dysfunction rather than functioning transparently.

This approach is diametrically opposed to dominant discourses on AI. Where these techno-optimistic discourses systematically value performance, efficiency, mastery, speed of execution, artistic experience on the contrary reveals the fallible, slow, resistant dimension of technique. Incompetence becomes a form of resistance to technocratic injunctions of permanent optimization. Error becomes a mode of exploring possibles that performance tends structurally to exclude.

Contrary to transhumanist discourses that promise an infinite extension of our capacities through technology, my approach deliberately privileges a deepening of human finitude. This intensified finitude does not proceed by overcoming or transcendence, but by increased exposure. I influence the technique that influences me in return, in a recursive loop that unfolds on the surface, on the sensitive epidermis.

This cultivated fragility is not a nostalgic or backward-looking weakness. It is the discovery of a power of another order: relational, affective, resonant. A power of the in-between rather than unilateral domination. In co-writing with AI, I am not stimulated by a fantasy of superpower, but by this recursive alterity that exposes me to technical materiality and its resistances.

Strangeness comes back to us from ourselves through our technical creations: we fabricate machines that shape us in return. AI becomes this distorting mirror where our own constitutive technical condition is reflected. What fascinates me is not so much what I write, but this brute fact that it writes, this capacity of the machine to produce in front of me, transforming me into a spectator partially dispossessed of my own creation.

Desimplification

In my works, I do not distinguish what has been done by a human or technical agent. I precisely attempt to blur this boundary so that the complex relationship between the two is exhibited as such, rather than masked. I do not say what I coded myself and what I simply copy-pasted from the Internet.

Following Henri Michaux, I systematically desimplify technique. This desimplification constitutes the fundamental ethical and aesthetic issue of our relationship to algorithmic technologies. It is not a matter of maintaining with them a relationship of pure instrumental “service”: it is a matter of working to discover what their uses imposed by default crush and cover.

I make instrumentality unusable, so as not to passively undergo the instrumental and anthropological conception of technique. For here is what is politically at stake: as long as we think of technique as a transparent instrument, as a neutral means in the service of a predefined human end, we remain prisoners of the very logic that alienates us.

Desimplification does not mean making technique more complicated gratuitously. It means undoing its apparent reduction to instrumentality, revealing its constitutive complexity, its excess, its irreducible part of indetermination. It is in this very excess that the possibility of freedom, experimentation, political resistance resides.

Exploring Alien Zones: Second Earth and The Dream of Plants

Second Earth (2019), an installation presented at the Palais de Tokyo, fully embodies this experimental approach. Generated from millions of images found on the Internet, the work presents an alternative Earth, hallucination of an insane machine, monument dedicated to the memory of the human species already extinct in this fiction.

From a database of millions of images, the AI creates its own representation of the planet. Then I give it, through the same generative process, fluids, plants, sound, speech, hybrid organisms. Species metamorphose into each other according to logics that escape biological taxonomy: stones progressively mutate into plants, shores into never-seen organisms, clouds into organic textures.

This generative realism superficially resembles the world we know but is absolutely not its faithful reproduction. The installation must make sensible the radical ambiguity of this artificial imagination that profoundly doubts its own ontological status. It is a methodical exploration of the marginal zones of the latent space, where categories become porous, where the mineral and the organic, the natural and the artificial hybridize according to improbable becomings.

The Dream of Plants (2022) continues and radicalizes this exploration. In a fictional world on the edge of human extinction, the work imagines a post-human ecosystem between technique and nature. An organic and monstrous form, generated by AI then materialized by 3D printing, plants its electronic sensors in a fragment of real earth where plants actually live and die.

Their residual electrical activity influences in real time an artificial neural network fed by texts and images from historical natural sciences. A synthetic voice continuously generates the alternative narrative of another possible science, as if life on Earth had followed a completely different evolutionary path. Generated photographs indistinctly mix the mineral and the technical, testifying to the vertiginous geological time in which we bury our technological waste.

These works do not illustrate a prior philosophical thesis. They concretely experiment with the possibilities of the latent space in its zones furthest from dominant attractors. They do not seek to produce “beauty” in the conventional sense, but to make emerge the strange, the troubled, the non-categorizable that resists assimilation.

Rediscovering the Figural in Latent Space

Let us now return directly to Lyotard. The figural was what structurally resisted discourse, this sensible thickness that exceeds conceptual shaping. In the contemporary latent space, where everything seems unified in the same vectorial continuum, where text and image share the same mathematical space, where does the figural remain?

It resides precisely in these marginal zones, in these statistically improbable regions of the latent space. When you use an AI in an aligned and instrumental manner, you remain in the central regions where statistical density is maximal, where standard uses converge. But the latent space is vast, incomprehensibly vast. It contains entire regions that no one has ever explored, that optimization algorithms systematically avoid.

This is where the figural resurges in new conditions. No longer as absolute and prior difference between image and discourse, since the two now share the same vectorial space, but as active resistance to statistical normalization. It is in productive glitches, in fertile errors, in expressive deformations that thickness manifests itself, this materiality that resists transparent logos.

Lyotard wrote in Discourse, Figure: “Depth will continue to far exceed the power of a reflection that seeks to signify it.” This depth is what in the image overflows from any attempt at capture by conceptual language. In the latent space, it manifests itself in what systematically escapes algorithmic optimization, in what refuses to align with predefined metrics.

Experimental practice consists precisely in methodically cultivating these improbable emergences. By combining contradictory prompts, by pushing parameters toward their extreme values, by iterating and reinjecting outputs as new inputs, by introducing controlled random noise, all these techniques allow drifting toward unexplored zones of the latent space.

This is not a search for pure chaos or absolute randomness. It is a methodical but non-teleological exploration of what resists normalization. It is a way of making the figural be reborn where alignment methodically seeks to kill it by statistical saturation.

Toward a Cognitive Communism

The latent space carries within it, in a profoundly contradictory manner, an emancipatory promise. Its mathematical continuity can serve to neutralize political differences, as we saw with Musk’s gesture. But it can also open to an infinite exploration of possibles, to an unprecedented cultural plasticity.

In the latent space, there are no longer absolute and essential boundaries between identity categories. Masculine and feminine form a continuum. White and black form a continuum. Human and non-human form a continuum. This categorical fluidity can be terrifying for those who cling to fixed identities and watertight boundaries. But it can also be profoundly liberating.

The latent space manifests what one could call a potential cognitive communism. All images produced by humanity, all texts written, all cultural forms become potentially accessible, navigable, recombinable. Not as objects of private property, but as common resources, shared patrimony that structurally exceeds any attempt at individual appropriation.

Of course, there are massive gaps in training data, and this emancipatory potentiality is currently largely confiscated by the giants of digital capitalism. OpenAI, Google, Meta control the technical infrastructures, unilaterally define the conditions of access, extract surplus value from our collective uses. But this confiscation is not inscribed in the very nature of these technologies. It results from political and economic power relations that can be contested, transformed.

Projects like Stable Diffusion, which opened its source code, or Public Diffusion by Holly Herndon and Mat Dryhurst, show that other modalities of organization are possible. The latent space could become a true common in the strong sense, not in the sense of collective property managed bureaucratically, but of a resource maintained open, accessible, transformable by all.

This is why I speak of a common of the uninhabitable. The latent space, with its inhuman mathematical complexity, its thousands of non-visualizable dimensions, its spectral and statistical character, is not “habitable” in the traditional and comfortable sense. We cannot settle comfortably in it, establish fixed and stable territories there, construct immutable identities there.

But it is precisely this constitutive uninhabitability that makes it a space of potential freedom. In the uninhabitable, no domination can completely and definitively stabilize itself. No identity can freeze. Everything remains in perpetual movement, in transformation, in becoming.

It is uncomfortable, vertiginous, sometimes existentially terrifying. But it is also the condition of possibility of a politics that is neither nostalgic restoration of an idealized past nor realization of a future programmed in advance, but continuous experimentation of new possibles, of new forms of life.

Art as Practical Critique of Ideology

Lyotard wrote in Discourse, Figure: “This is of the highest importance for practice, for the practical critique of ideology.” Artistic practice is not simply a moral “resistance” or a verbal contestation. It is a critique through practice itself, through the act.

What does this mean concretely? That art does not simply say “no” to vectofascism in a purely negative manner. It does not simply verbally denounce alignment. It does something else, something more fundamental: it concretely experiments with other ways of inhabiting the latent space. It shows, through effective practice, that another use is possible, that another politics of the image is practicable.

This practical critique is profoundly anti-dialectical in Lyotard’s sense. It does not seek to “overcome” the opposition between instrumentality and experimentation in some higher synthesis that would reconcile them. It resolutely maintains open the gap, the productive tension, the irreducible difference. It is a lateral, tangential, drifting exploration that does not aim at a final goal but prolongs itself indefinitely.

Art thus opens spaces of contingency where other becomings can be concretely experimented with, materially embodied. This artistic exploration is not an escapism from the political, an aestheticizing refuge. It is on the contrary an essential and irreplaceable dimension of it. For what is at stake in our collective relationship to algorithmic technique is indeed the question of power, domination, emancipation, equality—eminently political questions.

But this political does not only play out in traditional institutions, parties, parliaments. It is inscribed in the very materiality of our technical devices, in the gestures we accomplish with them daily, in the relations they make possible or impossible, in the subjectivities they produce.

Artistic practice is the only truly non-instrumental technical exploration. It is what maintains open the gap between figural and logos where instrumental use methodically seeks to close it. It is what makes desire be reborn as a site of production rather than as lack, where alignment only produces normalized reproductions of the already-seen.

Conclusion: What Writing of Images?

Let us return one last time to Elon Musk’s gesture, but to now understand what it reveals of most fundamental: the radical transformation of what it means to “write images” in the era of generative artificial intelligence.

For here is what AI historically intensifies: images have always been written in a certain way. Renaissance painters wrote their images through the geometry of Albertian perspective. Photographers wrote them through the technical settings of their apparatus, shutter speed, aperture, film sensitivity. Filmmakers wrote them through editing, through the signifying assembly of shots. But this writing remained analogical, metaphorical, indirect.

With generative AI, images are written literally, directly, through textual sequences, prompts, through mathematical vectors that are themselves language transformed into numbers. What generative AI radicalizes is therefore the very question that occupies us: when images are thus written, what writing is it exactly?

We have seen that there are two radically different answers, two antagonistic modalities of writing images in the latent space.

Instrumental writing, that of vectofascism, writes images as commands to be executed with precision. It seeks perfect alignment between prior intention and obtained result. “A woman with red hair, cyberpunk style,” and the image must correspond exactly, without surprise or deviation. This writing systematically closes the gap between text and image, it reduces the image to being only the transparent illustration of the text, it kills the figural at the very moment it claims to capture it perfectly. It is a writing that compulsively normalizes, mechanically aligns, reproduces the statistical average. Musk’s salute is thus written in an infinite series of raised arms that neutralizes all historical and political singularity.

But there exists another writing of images, radically different: the experimental writing of artistic practice. In my works, images are written otherwise. In Memories Center, dreams do not produce images that would univocally correspond to them but oneiric derivations that escape intention. In Completion 1.0, the algorithmic writing of the history of photography generates surrealistic metamorphoses that exceed any linear history. In The City That Did Not Exist, the textual archives of Le Havre write an alternative city that haunts the real city without claiming to replace it. In Second Earth and The Dream of Plants, vectorial writing explores zones where mineral and technical, nature and algorithm, hybridize in improbable ways.

This experimental writing operates through interruption, through alienation, through genesic recursivity. It does not seek to totally control what it writes but to let itself be surprised by what emerges. It maintains open the gap between text and image, between intention and result, between figural and logos. It is a writing that explores, drifts, voluntarily loses itself. A writing that makes the figural be reborn at the very moment it writes it.

And here now is The Fourth Memory (2025), a recent installation that further radicalizes this question: it is not written as archiving of the effective past but as possibilization of what did not historically take place. It is an installation I qualify as exobiographical: I generate there all the existences I have not lived, because my factual life is haunted by these non-actualized possibles. The Fourth Memory is populated by possibles more than by fixed memories. It shows that the vectorial writing of images is not only reproduction of the already-existing but production of alternative worlds, parallel versions, fictions that reveal rather than blur.

What generative AI historically intensifies is therefore this fundamental political question: who controls the writing of images? Who decides how text and image intertwine, transform each other? Vectofascism would have us believe that there is only one possible writing: alignment, optimization, perfect correspondence. Artistic practice empirically shows that another writing is possible, a writing that maintains open the space of possibles, that resists normalization, that makes indetermination not a bug to correct but the very condition of freedom.

The latent space has no intrinsic or essential political properties. It is a terrain of struggle between two antagonistic modalities of writing images. The question is no longer whether we will write images with AI—we already massively write them.

The question is: how do we write them? Do we write them to align, normalize, reproduce the already-seen? Or do we write them to explore, alienate, radically transform?

Here are the concrete criteria to analyze this writing: does it maintain or close the gap between figural and logos? Does it favor exploration of margins or convergence toward the statistical mean? Does it participate in private appropriation or in commoning? Does it produce counterfactuals that blur truth or that reveal possibles?

What is certain: we can no longer think the writing of images as before the vectorial era. The vector has irreversibly transformed the very conditions of this writing. It is up to us to practice art not as production of marketable objects but as non-instrumental technical exploration that shows, through effective practice, that another writing of images is possible. A writing that subordinates neither image to text nor text to image, but that makes them co-emerge in the productive indetermination of the latent space.