Du choix politique des oeuvres dans les médias / The political choice of works in the media
La plupart des articles de presse qui portent sur les intelligences artificielles génératives d’image ou de textes font la part, belle à certains tests et certaines œuvres, et semblent systématiquement en occulter d’autres. Ainsi, pour le texte, le journaliste va souvent poser une question naïve à chatGPT pour en tirer la possibilité ou l’impossibilité de la littérature artificielle, ou il va choisir des images inductives qui semblent reproduire le mauvais goût de l’époque. Pourquoi ce choix et quelle en est la signafication ?
Il faut remarquer que la spécificité de l’IA c’est que des artistes contemporains de la scène internationale comme Trevor Paglen, Hito Steyerl, Pierre Huyghe, Fabien, Giraud et Raphaël Sibony, et d’autres encore, s’en sont rapidement emparés. Ainsi, pour le dernier duo d’artiste, dès 2007 ou 2008, ils réalisent des œuvres avec et ouvrent un ambitieux cycle de film expérimentaux qui tente de reconstruire une histoire de l’externalisation de la rationalité. Ce n’est que vers 2018, avec la démocratisation des outils, que de nombreux artistes numériques et designers créatifs vont commencer à produire en très grande quantité des images que certains vont vendre en NFT. La caractéristique de cette production, c’est, si on peut se permettre de l’évaluer, une certaine naïveté esthétique qui semble décontextualisée de l’histoire de l’art, du contexte de surproduction des images à partir de la révolution industrielle, des modes de narration qui se sont développées au fil des décennies. On est souvent plus du côté de l’illustration que d’un travail esthétique au sens complet du terme. Ne reste plus qu’un outil qui produit des images automatiquement avec un effet de surprise, d’étonnement, d’innovation.
Pourquoi les médias de masse ne font jamais référence à des œuvres souvent antérieures et dont le contenu est beaucoup plus profond et intéressant, tant plastiquement, qu’intellectuellement ? Deux raisons me semble-t-il : la première c’est la mise à niveau idéologique de ce que diffusent les médias de masse à ce qu’ils anticipent des goûts de la masse que le plus souvent, ils méprisent, valorisant par la même des images qui ne donnent pas à penser au sens véritable du terme, mais qu’ils ne font que reproduire les clichés du déjà pensé. C’est pourquoi ces productions créatives sont le plus souvent kitsch et de mauvais goût, avec un sentiment de déjà-vu qui n’est pas questionné comme tel. La grande différence entre ces productions diffusées par les médias de masse et celles qui sont occultées, c’est que les premières ne sont que des images isolées, tandis que les secondes rentrent dans des installations complexes, dont les images génératives ne sont qu’un élément. Ce contexte plus étendu, nous indique que l’usage dans l’art contemporain des IA ne consiste pas en l’enthousiasme fasciné d’un nouvel outil au service de la créativité humaine, mais d’un questionnement sur une époque déterminée par l’induction statistique. La seconde raison de cette diffusion et de cette occultation, est que ces images de qualité médiocre d’un point de vue esthétique sont les meilleures illustrations possibles du propos des articles de presse. Dans ceux-ci, il s’agit d’amener la réflexion au niveau moyen des lieux communs sur l’IA et le remplacement, la crise des métiers dit culturels ou créatif, autant d’idées convenues. Si les articles de presse devaient parler des autres artistes, alors il faudrait rentrer dans un tissu d’idées et de perceptions complexes, contre-intuitives, élaborant des fictions inattendues, exigeant une profondeur, une mise en contexte, un temps dont ces textes sont incapables parce qu’il faut à tout prix communiquer sans expliquer, aller vite et pensez vite.
Par là, on peut en tirer la conclusion que le choix de certaines œuvres au détriment d’autres n’est pas sans conséquence sur la qualité de la réflexion qu’on propose au débat public, et qu’en voulant être compréhensible d’avance, en souhaitant communiquer des idées sans avoir à les construire patiemment, en utilisant les images pour les commenter et les illustrer sans jamais les regarder, on empêche le débat public et politique d’atteindre un certain niveau de problématisation et de réflexion.
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Most press articles about image- or text-generating artificial intelligence focus on certain tests and works, and seem to systematically overlook others. In the case of text, for example, the journalist will often ask chatGPT a naive question to determine the possibility or impossibility of artificial literature, or choose inductive images that seem to reproduce the bad taste of the time. Why this choice, and what is its significance?
It’s worth noting that the specificity of AI is that contemporary artists on the international scene such as Trevor Paglen, Hito Steyerl, Pierre Huyghe, Fabien, Giraud and Raphaël Sibony, and others, have been quick to seize upon it. Thus, for the latter artist duo, as early as 2007 or 2008, they made works with and opened an ambitious experimental film cycle that attempts to reconstruct a history of the externalization of rationality. It wasn’t until 2018, with the democratization of tools, that many digital artists and creative designers began to produce images in very large quantities, some of which were sold as NFT. The characteristic of this production is, if we may be so bold as to assess it, a certain aesthetic naivety that seems decontextualized from the history of art, from the context of image overproduction starting with the industrial revolution, and from the modes of narration that have developed over the decades. We’re often more on the side of illustration than aesthetic work in the full sense of the term. All that’s left is a tool that automatically produces images with an effect of surprise, astonishment and innovation.
Why don’t the mass media ever refer to works that often precede them, and whose content is far more profound and interesting, both plastically and intellectually? Two reasons, it seems to me: the first is the ideological levelling of what the mass media broadcast to what they anticipate to be the tastes of the masses, which they more often than not despise, thereby valorizing images that don’t make you think in the true sense of the term, but merely reproduce the clichés of the already thought. As a result, these creative productions are often kitschy and tasteless, with a sense of déjà-vu that is not questioned as such. The big difference between these mass-media productions and those that are obscured is that the former are merely isolated images, while the latter are part of complex installations, of which the generative images are only one element. This broader context suggests that the use of AIs in contemporary art is not a fascinated enthusiasm for a new tool at the service of human creativity, but a questioning of an era determined by statistical induction. The second reason for this dissemination and concealment is that these aesthetically mediocre images are the best possible illustrations of the purpose of the press articles. In these articles, the aim is to bring reflection down to the average level of commonplaces on AI and replacement, the crisis of the so-called cultural or creative professions, so many conventional ideas. If press articles were to talk about other artists, then we’d have to enter into a web of complex, counter-intuitive ideas and perceptions, elaborating unexpected fictions, requiring depth, contextualization and time that these texts are incapable of because it’s vital to communicate without explaining, to go fast and think fast.
This leads to the conclusion that the choice of certain works over others is not without consequence for the quality of the reflection we propose to public debate, and that by wanting to be understandable in advance, by wishing to communicate ideas without having to patiently construct them, we prevent public and political debate from reaching a certain level of problematization and reflection.