L’infrastructure ou la superstructure : pour une nouvelle politique des auteur.ice.s d’IA

L’annonce d’un investissement de 100 milliards d’euros dans les datacenters sur le sol français soulève des questions cruciales sur la pertinence et la viabilité de cette stratégie. Le montage financier de ce projet titanesque révèle une confusion problématique entre les sphères publique et privée. Les modalités de participation de l’État et du secteur privé restent opaques, tout comme les mécanismes de retour sur investissement pour les contribuables dans une situation où on ne cesse de marteler les risques de déficit. Cette situation fait craindre une socialisation des risques au profit d’intérêts privés avec comme conséquence une accumulation du capital et une valorisation financière toujours plus grande et inégalitaire.
L’obsolescence technologique constitue un autre point critique. Les modèles d’IA actuels, basés sur une approche de force brute computationnelle, pourraient rapidement devenir dépassés. Les avancées récentes, notamment le JEPA (Joint Embedding Predictive Architecture), laissent entrevoir des approches plus efficientes nécessitant moins de puissance de calcul. Cet investissement massif dans une infrastructure potentiellement obsolète à court terme représente donc un risque majeur.
La dépendance aux ressources minières constitue un talon d’Achille stratégique. Les composants essentiels, notamment les semi-conducteurs et les terres rares, sont largement contrôlés par la Chine. Dans un contexte de tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine, l’accès à ces ressources critiques pourrait devenir problématique. L’Europe, et particulièrement la France, ne disposent pas d’alternatives viables pour sécuriser leur approvisionnement.
Sur le plan environnemental, cette stratégie apparaît en contradiction flagrante avec les objectifs de lutte contre du tournant climatique que le capitalisme sera en incapacité de planifier. Les datacenters sont des infrastructures énergivores dont l’empreinte carbone est considérable. L’extraction des ressources nécessaires à leur construction et leur fonctionnement génère également une pollution importante. Cette orientation semble ignorer l’urgence de la transition écologique et la nécessité de repenser nos modèles de développement.
La focalisation sur l’infrastructure révèle une approche technocratique qui privilégie le quantitatif sur le qualitatif. Cette vision, que l’on peut qualifier de “syndrome de la grosse voiture”, néglige les dimensions sociales et culturelles de l’innovation technologique. Elle reflète un imaginaire de la puissance qui fait écho à d’autres domaines technologiques, où la course à la performance prime sur la pertinence des usages.
Le rythme effréné de l’innovation technologique crée un décalage croissant avec le temps nécessaire à l’appropriation sociale des technologies. Chaque nouvelle avancée chasse la précédente avant même que celle-ci n’ait pu être pleinement explorée et exploitée. Cette accélération empêche une véritable maturation des usages et des pratiques, conduisant à une accumulation de technologies sous-utilisées.
Une alternative prometteuse consisterait à développer une véritable politique des auteurs d’IA, redéfinissant la technique comme une époque plutôt que comme un simple instrument soumis à la volonté de puissance. Cette approche s’éloignerait du modèle dominant de la startup et de la course à la licorne pour privilégier l’expérimentation et la création. Elle permettrait l’émergence d’une voie spécifiquement française, ancrée dans notre tradition culturelle tout en étant résolument tournée vers l’avenir.
Notre époque est marquée par l’émergence d’une “quatrième mémoire” numérique qui transforme profondément notre rapport au savoir et à la création. Cette mutation technologique s’inscrit dans un contexte de crise environnementale majeure qui menace l’existence même de notre espèce. La tension entre ces deux dimensions – le potentiel créatif de l’IA et la menace d’extinction planétaire – définit le cadre dans lequel doit s’élaborer toute politique technologique responsable.
Au lieu d’investir massivement dans les infrastructures, la France pourrait développer un écosystème favorisant l’expérimentation sociale et culturelle. Cela passerait par la création de résidences d’artistes-chercheurs en IA, le soutien à des projets expérimentaux à échelle humaine, et le développement de formations hybrides mêlant art et technologie. Cette approche permettrait également d’investir dans la recherche fondamentale sur des modèles d’IA plus efficients et écologiquement responsables.
La recherche en IA doit être réorientée vers des approches plus qualitatives. Plutôt que de participer à la course à la puissance de calcul, il s’agirait de privilégier le développement d’architectures efficientes et de modèles spécialisés. Cette réorientation permettrait d’explorer de nouvelles approches conceptuelles et de développer des solutions innovantes adaptées aux besoins spécifiques de notre société.
Cette stratégie française doit s’inscrire dans une vision européenne plus large. Face au duopole USA-Chine, l’Europe peut développer une troisième voie fondée sur ses valeurs culturelles et démocratiques (en refondant la notion même de démocratie dans un contexte où elle semble s’autodétruire). Cela nécessite une coordination des efforts de recherche, un partage des ressources et une mutualisation des infrastructures existantes au niveau européen.
La transformation du secteur de l’IA nécessite une refonte profonde de la formation. Les cursus doivent devenir réellement interdisciplinaires, intégrant sciences informatiques, sciences humaines et pratiques artistiques. Cette approche permettrait de former des professionnels capables d’appréhender les enjeux techniques tout en maintenant une perspective historique.
Les défis auxquels nous faisons face sont existentiels. Le développement technologique doit s’inscrire dans une perspective de durabilité environnementale et de préservation de la diversité culturelle. Cela implique d’abandonner la logique court-termiste actuelle propre à toutes les formes de capitalisme au profit d’une vision à long terme privilégiant l’expérimentation.
L’investissement massif dans les datacenters représente donc une approche dépassée qui ignore les enjeux contemporains. Une politique alternative, fondée sur l’expérimentation artistique et la création, offrirait une voie plus prometteuse. Cette “politique des auteurs” permettrait de développer une approche spécifiquement française de l’IA, conjuguant innovation technologique et sensibilité culturelle.
Cette réorientation stratégique nécessite un véritable courage politique et un engagement sociétal sur le long terme. Elle implique de :
• Repenser fondamentalement notre rapport à la technique en l’émancipant de la volonté de puissance et de la pensée instrumentale
• Privilégier la qualité et la pertinence sur la pure puissance de calcul
• Développer des approches durables
Les choix actuels en matière d’infrastructure risquent de nous enfermer dans une impasse technologique tout en aggravant la crise environnementale. La voie alternative proposée permettrait au contraire de valoriser nos atouts culturels tout en créant une dynamique d’innovation durable.
The announcement of a 100 billion euro investment in data centers on French soil raises crucial questions about the relevance and viability of this strategy. The financial structure of this titanic project reveals a problematic confusion between public and private spheres. The terms of participation for both the state and private sector remain opaque, as do the mechanisms for return on investment for taxpayers in a situation where deficit risks are constantly emphasized. This situation raises fears of socializing risks for the benefit of private interests, resulting in capital accumulation and ever-increasing, unequal financial valuation.
Technological obsolescence constitutes another critical point. Current AI models, based on a brute-force computational approach, could quickly become outdated. Recent advances, particularly JEPA (Joint Embedding Predictive Architecture), suggest more efficient approaches requiring less computing power. This massive investment in potentially obsolete infrastructure in the short term therefore represents a major risk.
Dependence on mineral resources constitutes a strategic Achilles’ heel. Essential components, particularly semiconductors and rare earth elements, are largely controlled by China. In a context of growing tensions between the United States and China, access to these critical resources could become problematic. Europe, and particularly France, lack viable alternatives to secure their supply.
From an environmental perspective, this strategy appears in flagrant contradiction with the objectives of fighting climate change that capitalism will be unable to plan for. Data centers are energy-intensive infrastructures with considerable carbon footprints. The extraction of resources necessary for their construction and operation also generates significant pollution. This direction seems to ignore the urgency of ecological transition and the need to rethink our development models.
The focus on infrastructure reveals a technocratic approach that prioritizes quantitative over qualitative aspects. This vision, which could be called “big car syndrome,” neglects the social and cultural dimensions of technological innovation. It reflects an imaginary of power that echoes other technological domains, where the race for performance takes precedence over the relevance of uses.
The frenzied pace of technological innovation creates a growing gap with the time needed for social appropriation of technologies. Each new advance displaces the previous one before it can be fully explored and exploited. This acceleration prevents genuine maturation of uses and practices, leading to an accumulation of underutilized technologies.
A promising alternative would be to develop a true “policy of AI authors,” redefining technology as an epoch rather than a simple instrument subject to the will to power. This approach would move away from the dominant startup model and unicorn chase to favor experimentation and creation. It would allow the emergence of a specifically French path, anchored in our cultural tradition while being resolutely forward-looking.
Our era is marked by the emergence of a “fourth memory” – digital – which profoundly transforms our relationship to knowledge and creation. This technological mutation occurs in a context of major environmental crisis that threatens the very existence of our species. The tension between these two dimensions – the creative potential of AI and the threat of planetary extinction – defines the framework within which any responsible technology policy must be developed.
Instead of massive infrastructure investment, France could develop an ecosystem favoring social and cultural experimentation. This would involve creating AI artist-researcher residencies, supporting experimental projects on a human scale, and developing hybrid training programs combining art and technology. This approach would also allow investment in fundamental research on more efficient and environmentally responsible AI models.
AI research must be reoriented toward more qualitative approaches. Rather than participating in the computing power race, it would prioritize developing efficient architectures and specialized models. This reorientation would allow exploration of new conceptual approaches and development of innovative solutions adapted to our society’s specific needs.
This French strategy must be part of a broader European vision. Facing the USA-China duopoly, Europe can develop a third way based on its cultural and democratic values (by redefining the very notion of democracy in a context where it seems to self-destruct). This requires coordination of research efforts, resource sharing, and pooling of existing infrastructure at the European level.
Transforming the AI sector requires a profound restructuring of education. Curricula must become truly interdisciplinary, integrating computer sciences, humanities, and artistic practices. This approach would train professionals capable of understanding technical challenges while maintaining a historical perspective.
The challenges we face are existential. Technological development must align with environmental sustainability and cultural diversity preservation. This implies abandoning the current short-term logic inherent to all forms of capitalism in favor of a long-term vision prioritizing experimentation.
The massive investment in data centers thus represents an outdated approach that ignores contemporary challenges. An alternative policy, based on artistic experimentation and creation, would offer a more promising path. This “policy of authors” would allow development of a specifically French approach to AI, combining technological innovation and cultural sensitivity.
This strategic reorientation requires genuine political courage and long-term societal commitment. It involves:
Fundamentally rethinking our relationship with technology by emancipating it from the will to power and instrumental thinking
Prioritizing quality and relevance over pure computing power
Developing sustainable approaches
Current infrastructure choices risk locking us into a technological dead end while exacerbating the environmental crisis. The proposed alternative path would instead allow us to leverage our cultural assets while creating sustainable innovation dynamics.