La résistance passive

Sur le réseau nous filons de site en site à la recherche de quelque chose. Cette chose est indéterminée et du fait de cette indétermination elle provoque un sentiment d’urgence. Un bel énervement constant se répand sur Internet, une attente qui ne trouve aucun point final, une agitation, un halètement muet et impalpable qui entraîne chacun à passer de texte en texte, d’image en image, de lieu en lieu. Nous changeons de centres d’intérêt une fois que nous épuisons celui qui nous concernait. Nous ne sommes concernés par rien. Nous sommes touchés par tout. Cette palpitation est prise entre l’attention et l’inattention, entre l’instrumental et l’inutilisable, l’anticipation et le flottement. Cette palpitation est technique et elle est toute proche de la vibration de la conscience qui est indéfinie, qui n’est que dans son mouvement et ses différences de potentiels internes et avec l’extérieur.

Imaginons, nous sommes sur le réseau et nous n’avons plus rien à faire. Cette absence d’attente, d’orientation et de fonctionnement causal, est une certaine disposition qui rend disponible, c’est-à-dire qui ouvre à la possibilité même d’une expérience. Il y a là quelque chose de tout proche de l’expérience esthétique : la vacuité préalable à la donation, quelque chose étant reçu parce qu’il y a une place vacante et au statut incertain. C’est pourquoi une expérience esthétique est possible au coeur du réseau, non pas sous le motif naïf de la résistance à l’ordre établi et à l’autorité de certains énoncés, car cette résistance est immédiatement intégrée comme l’opposition utile au système, mais comme une résistance passive, une résistance faites de rien, de presque rien, d’une vacuité sans attente, d’un néant sans grandiloquence, à peine remarquable on pourrait bien vivre à côté sans y prendre garde. C’est d’ailleurs ce que nous faisons la plupart du temps. Il est pourtant là, tout proche. Il ouvre la possibilité d’une place et d’un accueil incertain. On ne sait pas de quoi il serait fait, il ne répond ni à un besoin ni à un désir, il n’est le résultat d’aucune anticipation, et s’il y a eu une anticipation alors cette place vide la met en échec et témoigne de sa défaillance de nature, de son vacillement. Cette résistance passive n’est pas un appel au désintéressement du sentiment esthétique, désinvestissement qui resterait réactif, à la gratuité qui s’opposerait au fonctionnalisme généralisé, que sais-je encore. Cette résistance est un reflux mais qui ne rentre pas dans un rapport de contradiction simple au flux. La discontinuité, le repli, le suspend, le manque, la pauvreté font partie du flux. En ce sens, le reflux ne peut pas être séparé du flux, sans s’y réduire ou en être une partie, reflux et flux forment un ensemble donc chaque élément excède le tout.

L’affect de cette résistene est l’indifférence, une sensation au coeur de l’insensible,. Lâcher sa souris et voir, entendre, penser, détendre son corps de cette agitation permanente, le dessaisissement, non pour se recueillir dans une prétendue viscéralité sensitive, mais simplement pour sentir le vide, l’hésitation, la contingence absolue. Voilà pourquoi nous sommes méfiant quant au spectaculaire ou aux sites artistiques de type publicitaire, simple à expliquer, simple à comprendre, consommable en 1 à 2mn, parce que ces stratégies de modifient en rien l’horizon d’attente préalablement établi par la consultation du réseau. Il faut une résistance passive, plus fragile et plus forte, plus insensée et discrète, furtive et sauvegardant la possibilité que jusqu’au témoin est un traître.