L’original et l’induction des réseaux de neurones
Le concept d’œuvre d’art reste attaché à la notion d’original. Alors que les pratiques ont bouleversé depuis plus d’un siècle la prétention à cette originalité marquant le changement de statut de l’artiste devenu postproducteur d’une culture déjà existante, non seulement le cadre juridique de l’art reste ancré dans ce cadre obsolète, mais l’affectivité de beaucoup d’artistes perpétue ce désir d’être unique, singulier, irremplaçable.
L’œuvre d’art a été touchée par l’industrialisation de la culture qui a provoqué sa mise en minorité : les images qui circulent sont majoritairement industrielles. Des papiers collés au pop art, la reprise de cette situation a été une constante du Xxè siècle. Puis, Internet a non seulement accéléré cette tendance, mais a multiplié de manière inhumaine cette production de médias. Les pratiques du copier-coller, de la postproduction, de la reprise ont été jusqu’à l’épuisement et la redondance de pratiques culturalistes, c’est-à-dire de pratiques prenant le champ culture pour son origine et sa fin, pour sa nourriture et sa destination. L’inhumanité des médias, le fait qu’ils soient en nombre trop grand pour être perçu, a mené à la corrélation entre autonomie naturelle et autonomie technique. Des artistes ont créé des dispositifs de production médiatique, dits hyperproductifs, n’attendant pas le spectateur et outrepassant ses capacités.
S’immerger dans les flux médiatiques, s’en inspirer, les modifier, y faire référence a été le cœur des années 90 et 2000, et se perpétue alors que nous avons changé d’époque esthétique et productive. Les réseaux de neurones et la généralisation de l’induction statistique permettent de produire des médias de médias : en calculant la proximité des atomes médiatiques (les pixels par exemple), on produit un espace latent qui met en relation chaque possibilité et qui permet de produire automatiquement une ressemblance. Cette dernière ne répond absolument plus au cadre classique, car elle ne s’oppose plus à la représentation. La ressemblance est aussi dissymétrique que la représentation. Les images inductives ressemblent à des images « réelles », mais non réciproquement.
L’espace latent est une nouvelle étape : cet espace crée un espace de ressemblance possible où il devient possible de définir un corpus (dataset) pour produire des hybrides qui, selon le bruit statistique, produira plus ou moins de différences. L’analyse logique de l’induction fait fausse route en croyant que celle-ci ne fait que reproduire ce qui existe dans le dataset. Elle n’expérimente pas artistiquement le passage à la limite entre répétition des biais et différence bruitée. Elle ne laisse pas surgir l’inattendu des possibles.
La généralisation de la copie est dépassée en son centre par l’espace latent. Comment dans celui-ci encore parler d’original et de copie ? Chaque image devient la mémoire d’une multiplicité d’autres, elle devient la trace d’une Stimmung, d’une tonalité affective, d’un entrelacs des images et pour tout dire d’un flux qui loin d’être immatériel et rattaché de part en part à une tuyauterie matérielle. Comment passer d’une image à une autre ? Comment par ce passage, les deux images sont encore sensibles tout en disparaissent ? Cette mémoire inductive n’est-elle pas une « réponse » en tant que dispositif inextricablement esthétique et technique à la multiplication surhumaine des médias sur le Web ? Quelque chose y flotte, une atmosphère, un air du temps, une image d’image par laquelle la question des pratiques artistiques n’est plus seulement de produire de nouveaux éléments mais, par la répétition statistique, de rendre sensible la relationnalité de nos productions esthétiques passées, présentes et futures.
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The concept of work of art remains attached to the notion of original. Whereas the practices have upset since more than one century the pretension to this originality marking the change of status of the artist become postproducer of an already existing culture, not only the legal framework of the art remains anchored in this obsolete frame, but the affectivity of many artists perpetuates this desire to be unique, singular, irreplaceable.
The work of art was touched by the industrialization of the culture which caused its setting in minority: the images which circulate are mainly industrial. From glued papers to pop art, the resumption of this situation has been a constant of the Xth century. Then, Internet not only accelerated this tendency, but multiplied in an inhuman way this production of media. The practices of the copy-paste, of the postproduction, of the resumption were until the exhaustion and the redundancy of culturalist practices, that is to say practices taking the field culture for its origin and its end, for its food and its destination. The inhumanity of the media, the fact that they are too numerous to be perceived, has led to the correlation between natural autonomy and technical autonomy. Artists have created devices of media production, called hyperproductive, not waiting for the spectator and exceeding his capacities.
To immerse oneself in the media flows, to be inspired by them, to modify them, to make reference to them was the heart of the 90s and 2000s, and is perpetuated whereas we changed aesthetic and productive epoch. Neural networks and the generalization of statistical induction make it possible to produce media of media: by calculating the proximity of media atoms (pixels for example), one produces a latent space which puts in relation each possibility and which makes it possible to automatically produce a resemblance. This last one does not answer absolutely any more to the classic framework, because it does not oppose any more to the representation. The resemblance is as dissymmetrical as the representation. The inductive images resemble “real” images, but not reciprocally.
The latent space is a new step: this space creates a space of possible resemblance where it becomes possible to define a corpus (dataset) to produce hybrids which, according to the statistical noise, will produce more or less differences. The logical analysis of induction is wrong in believing that it only reproduces what exists in the dataset. It does not experiment artistically with the borderline between repetition of bias and noisy difference. It does not let the unexpected of the possible arise.
The generalization of the copy is exceeded in its center by the latent space. How in this one still to speak about original and copy? Each image becomes the memory of a multiplicity of others, it becomes the trace of a Stimmung, of an affective tonality, of an interlacing of the images and to say everything of a flow which far from being immaterial and attached from share to a material piping. How to pass from one image to another? How by this passage, the two images are still sensitive while disappearing? Isn’t this inductive memory an “answer” as an inextricably aesthetic and technical device to the superhuman multiplication of media on the Web? Something floats there, an atmosphere, an air of time, an image of image by which the question of the artistic practices is not only to produce new elements but, by the statistical repetition, to make sensitive the relationality of our past, present and future aesthetic productions.