DreamBank : Mémoire des Rêves Artificiels
Ma mère était là dans mon rêve. Un homme était aussi là, il avait un très fort souvenir d’elle et de mes sentiments. Je ne voulais pas la voir cette fois, je ne me souviens pas de ce qui s’est passé.
L’homme était assis sur un escalier de service, qui était une sorte d’endroit… Je faisais aussi partie de ma mère, montrant du doigt mon ami et un zoo, et j’essayais de passer la porte… J’ai commencé à nettoyer un cheval qui avait quitté le bord de la route.
J’ouvre la porte et je vois une serviette. Je vois aussi un grand bâton, il y a une actrice. Je dis, j’ai une petite femme . Elle entre et dit : ” Mon père est là, et je veux rentrer chez moi.”
Memories Center : The Dream Machine (2014-2019)
Je ressemblerai à ce que vous avez été (2019)
Il n’y a pas d’expérience directe du rêve, il n’en reste que le récit. Son premier coup se donne comme un second coup, comme quelque chose qui suit le simulacre d’une expérience produisant des effets. Ainsi, au moment même où nous nous relevons, terrorisé par l’étouffement du sommeil, nous ne sommes pas sûrs si nous avons bien rêvé ce dont nous nous souvenons, et la première chose à laquelle nous pensons est précisément le risque d’oublier ce rêve, preuve qu’il n’existe que par la fragile mémoire. Cette dernière pourrait être le signe d’autre chose que ce à quoi elle se réfère. La bascule entre le sommeil et le rêve pourrait bien être un bouleversement dans le régime du récit : par exemple, une sensation est interprétée comme une histoire avec ses enchaînements de causalité.
Le rêve n’est pas. Il n’y a que le récit impliquant celui qui énonce et celui qui écoute. Celui qui raconte met une telle vivacité dans son récit qui pourtant, à l’écoute, semble s’effondrer dans son inconsistance. Quant à celui qui écoute, il fait preuve de patience. Il sait bien que ce récit doit s’exprimer et doit trouver sa destination pour que la bascule puisse enfin se réaliser pleinement.
S’il n’y a de rêve que de mémoire, c’est que l’origine du récit reste incertaine. Opacité de la privauté adressée non seulement à celui qui écoute mais encore à celui qui raconte : en narrant un rêve, on espère peut être y découvrir son propre mystère, quelque signification cachée dans les inconsistances et les incohérences, dans les lacunes et les détours. Retour à la transparence espérée.
L’opacité du rêve est aussi celle de la pensée, mais d’une qualité particulière puisqu’elle ne semble pas même évidente à celui qui l’expérimente, la nature de son expérience étant imprécise. Comment en faire le compte? Pour effectuer des expériences de lecture de rêves, encore faut-il faire confiance au récit du sujet qui rêve en faisant fi des décrochages entre le sommeil et la veille.
Qu’arrive-t-il quand une civilisation comme la nôtre est devenue hypermnésique et cherche, par tous les moyens, à mémoriser l’important comme le négligeable ? L’enregistrement de nos mémoires, aussi peu exhaustives, imparfaites, simplificatrices soient-elles, et dont l’apogée fut le Web 2.0, ne transforme-t-il pas d’avance notre expérience en un sentiment proche de celui du récit du rêve ?
Lorsqu’un ordinateur nous rappelle de réaliser telle ou telle tâche, lorsqu’il nous permet de nous souvenir par des textes, des photos, une expérience que nous avions oubliés, ne joue-t-il pas alors un rôle analogue au décrochage entre le sommeil et la veille ? La machine n’est-elle pas devenue le récit d’une existence qui a une saveur onirique? Lorsque les machines peuvent générer, grâce à un traitement statistique, à partir de récits de rêves, de nouveaux rêves illustrés par des images elles-mêmes générées à partir d’une accumulation d’images passées, produisons-nous seulement une nouvelle manière de rêver ou plus profondément encore un nouveau régime d’opacité à notre privauté et donc à ses conditions de possibilités ?
L’imagination transcendantale, c’est-à-dire la capacité a priori de l’expérience de former des images (ou diagrammes) qui ne sont pas mimétiques et qui assurent une voie de passage entre l’intuition et l’entendement, consiste précisément en ce décalage entre le rêve et “son” récit. Ceci permet de définir notre expérience anthropotechnologique comme une “positionnalité excentrique”.
Les images de GAN (Generative Adversial Network) ont quelque chose du rêve et pourraient faire penser à une esthétique surréaliste. Or celle-ci est “involontaire” et comme par défaut, marquant par la même une articulation inattendue entre technologie et rêve : les rêves artificiels.
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There is no direct experience of the dream, only the story remains. His first shot is like a second shot, like something that follows the simulacra of an experiment that produces effects. Thus, at the very moment when we get up, terrified by the suffocation of sleep, we are not sure if we have dreamed what we remember, and the first thing we think about is precisely the risk of forgetting this dream, proof that it exists only through the fragile memory. The latter could be a sign of something other than what it refers to. The shift between sleep and dream may well be a disruption in the narrative regime: for example, a sensation is interpreted as a story with its causal sequences.
The dream is not. There is only the story involving the enunciator and the listener. The one who tells puts such vivacity into his story, which nevertheless, when listened to, seems to collapse in its inconsistency. As for the listener, he or she is patient. He knows that this story must be expressed and must find its destination so that the changeover can finally be fully realized.
If there is only a dream of memory, it is because the origin of the story remains uncertain. Opacity of privatization addressed not only to the listener but also to the teller: by narrating a dream, one hopes to discover one’s own mystery, some meaning hidden in inconsistencies and inconsistencies, in gaps and detours. Return to the expected transparency.
The opacity of the dream is also that of the thought, but of a particular quality since it does not even seem obvious to the one who experiences it, the nature of his experience being imprecise. How to make it count? To carry out dream reading experiences, it is also necessary to trust the story of the dreaming subject by ignoring the disconnections between sleep and the day before.
What happens when a civilization like ours has become hypermnesic and tries, by all means, to memorize the important as well as the negligible? Doesn’t the recording of our memories, however incomplete, imperfect, simplifying they may be, and whose climax was Web 2.0, transform our experience in advance into a feeling close to that of the dream story?
When a computer reminds us to perform a particular task, when it allows us to remember through texts, photos, an experience we had forgotten, does it not then play a role similar to the disconnection between sleep and the day before? Hasn’t the machine become the story of an existence that has a dreamlike flavor? When machines can generate, thanks to statistical processing, from dream stories, new dreams illustrated by images themselves generated from an accumulation of past images, do we only produce a new way of dreaming or even more deeply a new regime of opacity to our privatization and therefore to its conditions of possibilities?
The transcendental imagination, i.e. the a priori ability of the experience to form images (or diagrams) that are not mimetic and that provide a pathway between intuition and understanding, consists precisely in this gap between the dream and “its” narrative. This allows us to define our anthropotechnological experience as “eccentric positionality”.
The images of GAN (Generative Adversial Network) have something of a dream and could remind us of a surrealist aesthetic. However, this one is “involuntary” and as by default, marking by the same token an unexpected articulation between technology and dream: artificial dreams.