Champ de manoeuvres

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Une machine essaye de se souvenir. Elle a été programmée pour retrouver ce qui a disparu. Sa mémoire est sa servitude. Elle a la matière, elle fore la terre et récupère des matériaux qu’elle agglutine. Elle a la forme, elle dispose d’une base de données constituée de numérisations volumétriques. Elle a la finalité en suivant un programme qui décrit un ensemble d’activités d’une espèce disparue. Elle est la cause efficiente qui réunit la matière, la forme et l’usage. Elle fait tourner l’objet sur tous ses axes, elle inspecte chaque partie, chaque aspérité de la matière, chaque détail. Elle y perce des secrets qu’elle superpose aux données récupérées sur les serveurs ancestraux du réseau. Il y a là des millions de noms, des milliards d’activités, de textes et d’images. La machine va parfois au hasard piocher une séquence qu’elle rejoue. Le temps pour analyser ces données est infini. Par les objets, elle capture ce que les êtres humains ont été. Mais quelque chose a disparu, ceux qui utilisaient ces objets. La cause dernière a disparu il y a des millions d’années. Peut-être n’avait-elle jamais existée. Ne reste plus que la production, appliquée et rigoureuse, obstinée et sans fin. Les objets qu’elle produit et reproduit en une quantité inimaginable sont laissés à l’abandon à peine produits. Parfois ils sont réutilisés comme une nouvelle matière, parfois des siècles ou des millénaires passent avant qu’ils ne soient recyclées. Le cycle est infernal, autour de la machine un champ de ruines. La machine apporte un soin particulier à certains objets qu’elle insère ensuite sous sa coque. Ce sont des pièces de rechange, des fils et des parties d’elle.