L’image passible

Notre relation quotidienne aux technologies est fondée sur l’usage intentionnel et définie la nature des images informatiques comme image-instrument (Lev Manovich). Devant l’ordinateur nous effectuons de multiples choix en déplaçant notre souris, en cliquant, en sélectionnant et en déplaçant des fichiers. Ces micro-choix deviennent inframinces, ils sont progressivement intégrés à notre corporalité sans même que nous ayons besoin d’y penser. Ils entraînent tout le corps parce qu’ils ne sont pas simplement limités à une région du corps. C’est l’oeil qui suit le mouvement du curseur qui lui-même est une représentation activée par le mouvement de la main. C’est ce qu’on nomme l’ergonomie qui est une interpellation physiologique généralisée des utilisateurs.

La science définissant les critères et les méthodologies pour analyser ces images-instruments se nomme l’interactivité et elle semble le mode propre des technologies informatiques. Avec elle peu d’espace vide, chaque image semble comblée par sa potentialité à être agit. Quelle est la zone cliquable? Ou est le bouton? L’endroit à sélectionner? Nous sommes agissant, moins dans l’ordre d’une liberté qui suppose de définir de façon continue les règles du jeu, que comme une réaction à des potentialités programmatiques déjà définies.

Mais qu’en est-il des images informatiques qui ne demandent aucun actionnement? Reviennent-elles au statut d’images simplement animées? Rien n’est moins sûr parce que ces images peuvent être programmatiques, déterminées par des seuils de possibilités qui font qu’à la différence du cinéma, le déroulement n’est pas prévu à l’avance (La pensée et le mouvant, Bergson). La notion de passivité renvoie à une tradition de la cire, de ce qui s’imprime de soi. Peut-être faudrait-il suivre la recommandation de Lyotard et parler de passibilité afin de penser ces images numériques qui ne demandent aucune action. L’écran n’est plus une surface sur laquelle on agit, une zone de potentialités à activer. L’écran devient un lieu de surgissement, la potentialité même sans relation à notre vouloir, simplement suspendu à l’intention de celui qui l’a programmé. De la même façon que le programme ouvre les possibilités et défie le désir de maîtrise si courant dans notre culture, l’image passible n’est pas avant d’être. En ce sens, elle répond à la notion de durée pure développée par Bergson pour exprimer le plus intime et silencieux de l’existence.

Nous thématiserons ces images passibles par l’intermédiaire de la notion de média d’ambiance. L’ambiance est quelque chose d’indéterminée qui détermine pourtant de part en part ce qui est là.