Du libre et de la liberté
Le logiciel libre devient un cheval de bataille pour beaucoup, un dogme dont il est parfois difficile de comprendre les tenants et les aboutissants. Il y a parfois avec le logiciel libre un discours de la foi dans lequel certains placent tout leur espoir comme s’il permettrait de résoudre les difficultés posées par le capitalisme cognitif. Si les avancées du libre sont incontestables et porteuses de changement, on doit également déconstruire l’usage de la notion de “libre”. Qu’est-ce que la liberté a à voir avec un logiciel informatique?
L’argument consiste souvent en ce qu’un logiciel libre permettrait à l’utilisateur d’être libre en utilisant un programme qu’il aurait toujours la possibilité de reprogrammer à sa convenance et afin de ne plus être dépendant d’une entreprise pour ses services. La liberté est ici faculté de se délier (absolutum). Or ceci remplace une inégalité (l’argent) par une autre inégalité (la compétence à programmer). Cette compétence cognitive n’est pas neutre, elle n’est pas plus égalitaire que le capital, elle se fonde sur une certaine conception du monde comme logique et rationalité. Si l’argent est une valeur qui s’applique symboliquement puis pragmatiquement à tous les étants et dont l’origine peut être multiple (salaire, héritage, talent, etc.), la faculté logico-mathématique à programmer est régionale. Il faudrait en déconstruire le motif historique: que représente en Occident, et ceci depuis l’Antiquité, cette faculté à programmer, à calculer? Peut-on identifier mathématiques et programmation? La liberté à reprogrammer n’est-elle pas quelque peu factice sauf à supposer un peuple numérisé?
C’est sans doute quand on aborde la relation du libre au capitalisme, c’est-à-dire son économie politique, que les discours deviennent confus. S’agit-il d’une transformation, d’une rupture, d’une continuation? Comment penser le libre dans le contexte d’un libéralisme généralisé? Est-ce une économie de l’accès comme le propose Rifkin ou de la contribution comme le pense Stiegler? Ce qui sous-tend la plupart des discours est que le libre est une reconquête du public et relève d’une logique plus d’état que de privé. Or, il me semble qu’aucun logiciel libre majeur (quant à sa diffusion) n’a été à l’origine soutenu par un état. Tout au plus, l’administration peut-elle promouvoir en son sein son usage, mais non être à son initiative car le libre s’oppose tout aussi bien à une logique privée que publique. Sans doute, met-elle en question la répartition (de plus en plus bouleversée) entre les deux et interpose aux deux les multitudes qui ne sont ni transformables économiquement ni représentables démocratiquement.