L’existence des médias

Il faudra revenir à l’intrication entre nos existences et les médias, à cette anthropologie des technologies. C’est notre mémoire enlacée sur le réseau à la surface duquel nous déposons nos enregistrements: flickr, youtube et d’autres encore. C’est cette tabula numérique qui appartient à des entreprises privées et qui sera peut-être, après notre mort, la partie la plus vivante de notre mémoire. C’est cette promenade sans but sur flickr où on s’imagine les existences, toutes les existences singulières et indissociables tout à la fois, distantes et co-extensives, ces vies

Si le web 2.0 semble être une atmosphère plutôt qu’un ensemble déterminé de technologies qu’il serait possible de standardiser par le biais d’un consortium, c’est qu’il s’attache en premier lieu à nos existences. Le web2.0 produit de l’information à partir de l’enregistrement existentiel des internautes. De plus en plus de sites nous demandent de partager nos vidéos, nos photographies mais aussi nos espoirs, nos rêves, nos expériences, etc. Dans le site Experienceproject, une partie se nomme Zeitgeist, que l’on peut traduire par esprit du temps, et qui donne à voir les requêtes les plus populaires. L’esprit du temps est-il une affaire de popularité? Est-ce un hasard que l’usage de l’allemand dans un site américain? Est-ce donc une référence au Zeitgeist heideggerien? Et pourquoi produire de l’information à partir de nos existences mêmes?.

Jean-Pierre Balpe parlait à juste titre de la fin (espérée?) de « l’admiration baveuse » par rapport au grand art dont la raison est externe et consiste dans le prétendu génie créateur de l’artiste (regarder un tableau de Van Gogh c’est d’abord essayer de se mettre à la hauteur d’une biographie), et il faudrait voir dans cette incroyable accumulation d’enregistrements existentiels et au-dedans même de leur monotonie, de leur répétition différentielle (c’est toujours la même chose et toujours un peu différent) un flux qui répond à l’ancienne (et persistante) conception de l’oeuvre d’art. Comme si nous ne pouvions, ni ne voulions plus choisir entre toutes ces images, comme si nous avions perdu le privilège fondé sur l’autorité de discréminer, entre ce qui doit être oublié et ce qui doit être collectivement mémorisé, retenu et placé dans un sarcophage (un musée par exemple), comme si ces enregistrements étaient là à portée de main, disponibles, et offraient quelque chose qui n’est dans aucun d’entre eux explicitement, la multitude.