Les “nouveaux” médias

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File d’attente devant l’Apple Store

EXPO PICASSO
File d’attente devant l’exposition Picasso au Grand Palais (2009)

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File d’attente devant un Intershop. Ces magasins, créés en 1962 pour les étrangers, proposent des produits occidentaux que l’on peut acheter avec des devises de l’ouest (moyens pour les autorités de se procurer les devises étrangères nécessaires aux importations). A partir de 1974, les Intershop sont ouverts aux citoyens est-allemands qui se ruent vers ce petit bout d’Occident au sein du bloc socialiste.

Serge Daney, lors de son entretien avec Régis Debray en 1992, avait déjà parlé de l’absurdité de la notion de “nouveaux médias”. Il critiquait l’usage de ce mot depuis des décennies pour désigner quelque chose qui n’avait plus rien de nouveau.

La récurrence de son usage pointe que la nouveauté doit être entendue en un sens qui n’est pas matérialiste mais idéologique. Les technologies numériques ne sont pas nouvelles, mais elles sont “toujours” nouvelles. Cette formule paradoxale indique l’impact de l’idéologie de l’innovation où un objet vient en chasser un autre selon un cycle programmé d’obsolescence permettant de lier de façon inextricable les affects et les artefacts. Nous sommes toujours pris de cours par le développement technologique et nous sommes en même temps toujours en attente, suspendu à la nouveauté. Une fois que celle-ci arrive sur le marché, nous passons à une autre, car ce qui compte est moins l'”objet” du désir que le “sujet” du changement.

Alors que les techniques suivaient un rythme de changement variable, les technologies entreprises par le capital semblent être prises dans un renouvellement continu qui touche à l’absurdité. Celle-ci est symbolisée par les files d’attente devant les magasins lors de la sortie d’un nouvel objet fétiche. La rareté elle-même est organisée afin qu’un désir naisse : en attendant des heures on aura le privilège de pouvoir être “l’un des seuls” à posséder un iPhone de telle ou telle génération, avant que quelques semaines, parfois quelques jours plus tard, tout le monde puisse l’avoir. Cette rareté est d’autant plus comique qu’elle est fondée sur un consumérisme de masse.

Parler des “nouveaux médias” en art est un mésusage à plus d’un titre. Cette formule impose aux oeuvres de suivre le rythme de l’innovation qui est réglé par le capitalisme et d’ainsi se soumettre implicitement à leur domination et à leur langage. La technologie devient le moyen de certaines fins, alors qu’en art la techné est un langage dénué de mots, l’inscription du sensible qui en permet la dissémination. Ce rythme du changement permanent rentre en conflit avec la temporalité esthétique, faite de lacunes et de troubles, et de l’histoire de l’art qui peut être interprétée d’un point de vue diachronique (c’est l’histoire des revenances d’Aby Warburg réinterprétée par Georges Didi-Huberman). La figure de la disnovation semble être plus à même de parler de ces médias qui viennent troubler la distinction entre l’ancien et le nouveau, tant ils semblent mettre en jeu le destin même de l’Occident. Par destin, je désigne un passé qui reste en charge d’avenir : tout se passe comme si ces “nouveaux médias”, au coeur même de leur fuite en avant, concrétisaient des tendances forts anciennes (machine universelle, calculabilité, totalisation, immersion, etc.) Il faut donc pour les approcher tenir trois bouts : la nouveauté comme innovation, la nouveauté comme différenciation par rapport aux autres supports, l’ancienneté par intégration des autre supports et comme exploration de ce qui se réserve dans la tradition.