L’époque des destructions du monde

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Jacques Derrida a questionné à plusieurs reprises  l’apocalypse, la fin du monde et la destruction. Au premier abord, il pourrait sembler que ce corpus qui traverse son oeuvre est peu applicable au contexte matérialiste de l’anthropocène contemporaine dans la mesure où il interroge principalement la nature langagière des discours apocalyptiques en en montrant la nature fantasmatique et conjuratoire. S’agit-il de la simple reprise du messianisme hébraïque, d’une promesse à jamais tenue et retenue ? Ce corpus a-t-il seulement pour objet d’effectuer la critique des discours de la fin et d’en dénoncer le caractère illusoire ?

Si la notion de critique a un enjeu complexe dans l’écriture derridienne et ne saurait être reprise sans précaution, on doit préciser qu’il existe deux discours de la fin chez Derrida. Il y a d’une part, une critique de la fin, des fins telles qu’on peut la retrouver dans Spectres de Marx (1993). D’une manière explicite, Derrida s’en prend aux théoriciens élaborant une fin positive de l’histoire, c’est-à-dire une résolution des contradictions, par exemple comme Francis Fukuyama.

Il y a d’autre part, une fin différente, une fin qui n’en est pas une, nommons la dislocation même si ce vocable ne se retrouve pas chez Derrida, relions celle-ci à la notion d’indéconstructible telle qu’elle fut élaborée dans les dernières années. Elle n’est pas une fin, pas une clôture, parce qu’elle est toujours à l’œuvre. Lorsque Derrida démontre que le λόγος occidental est hanté par l’apocalypse, il ne signifie pas que celle-ci est illusoire, le λόγος ne l’étant pas. Il signale que la dislocation est déjà à l’œuvre et que son œuvre est infinie. Il y a chez Derrida quelque chose de muet et du néant, il faudra savoir le débusquer.

L’intérêt du corpus derridien de la destruction est de penser celle-ci sous deux angles qui sont fort utiles dans le contexte contemporain qui regorge de discours de la fin : allier la déconstruction des discours de la fin à la prise en compte matérialiste de la destruction en l’enracinant dans le λόγος, c’est-à-dire dans notre capacité même de description et de pensée. Une manière de dire qu’elle est au coeur du discours et qu’elle nous forme de part en part.

Sans doute faudra-t-il relire tous ces textes de Derrida, retracer ce corpus précisément et en analyser les fils pour appuyer cette brève intuition.