Le monde sans lendemain

Que le phénomène viral s’articule à une biopolitique sanitaire, que l’une soit traduite en crise et instrumentalise une situation pour d’autres finalités, ceci n’est pas étonnant. Ce n’est pas le moindre mérite du livre de Naomi Klein sur le capitalisme de la catastrophe que d’avoir documenté d’une manière accessible la façon dont néo-libéralisme utilisait et provoquait stratégiquement des réformes au nom de crises, réformes qui se poursuivaient quand la crise était terminée, laissant les citoyens sur place dans la plus grande passivité. Quant à Barbara Stiegler et Grégoire Chamayou, ils ont démontrés le caractère autoritaire du néolibéralisme en en reconstruisant la généalogie.

La limitation des libertés individuelles, la culpabilisation constante des individus, leur infantilisation vue de haut par une élite qui n’en a plus que le nom, et dont l’ignorance et la vulgarité nous étonne chaque jour, n’est pas un phénomène nouveau. Nous n’en vivons qu’un épisode. Depuis plusieurs années, l’état de droit s’effrite. Le droit de manifester, la liberté de conscience, d’engagement, etc. sont limités, tandis que la violence raciste de l’état s’intensifie et désigne un ennemi intérieur par une gamme de couleurs allant du noir au jaune, visant, d’une façon ou d’autre autre, un peuple conçu comme une masse informe et désorganisée, provoquant le désordre et le chaos. Victor Hugo avait déjà critiqué cette vision fantasmatique et arrogante.

Il nous faut analyser les raisons de la politique sanitaire par-delà le sanitaire et la concevoir comme un moyen d’atteindre d’autres fins consistant à asseoir le pouvoir d’une oligarchie qui veut soumettre les multitudes. Ce n’est pas nouveau, on le sait, c’est même structurel tant les démocraties libérales ne sont nullement démocratiques et trouvent des moyens pour que la représentation politique soit une trahison (vote majoritaire, menace à l’extrême-droite, etc.) Il nous faut comprendre ce qu’ils visent et qu’est-ce qui constitue la spécificité de notre temps.

On aura beau contester la fermeture des lieux culturels au profit d’une vision purement instrumentale de la société, on pourra tout aussi bien dire que l’existence ne se limite pas à des fonctions mais que le luxe, son excès même, lui est nécessaire, on aura pas imaginé l’objectif poursuivi qui consiste à suspendre, comme l’avait annoncé Mark Fisher, l’avenir. Cette stase devrait suspendre, en retour, toute possibilité de négociation. Nous ne devons plus rien demander, négocier ou exiger. Nous devons faire sécession car nous n’avons jamais eu d’interlocuteur. Nous avons déjà commencé depuis des années. L’art n’en était qu’un nom, rien de plus.

It is not surprising that the viral phenomenon is linked to health biopolitics, that one is translated into a crisis and instrumentalizes a situation for other purposes. It is not the least merit of Naomi Klein’s book on disaster capitalism to have documented in an accessible way how neo-liberalism strategically used and provoked reforms in the name of crises, reforms that continued when the crisis was over, leaving citizens in place in the greatest passivity. As for Barbara Stiegler and Grégoire Chamayou, they demonstrated the authoritarian character of neoliberalism by reconstructing its genealogy.

The limitation of individual liberties, the constant guilt of individuals, their infantilization as seen from above by an elite that has only the name, and whose ignorance and vulgarity astonishes us every day, is not a new phenomenon. We are only living an episode of it. For several years now, the rule of law has been crumbling. The right to demonstrate, freedom of conscience, of engagement, etc. are limited, while the racist violence of the state is intensifying and designates an internal enemy by a range of colors from black to yellow, aiming, in one way or another, at a people conceived as a shapeless and disorganized mass, provoking disorder and chaos. Victor Hugo had already criticized this fantastical and arrogant vision.

We need to analyze the reasons for health policy beyond health and conceive of it as a means to achieve other ends consisting in establishing the power of an oligarchy that wants to subjugate the multitudes. This is not new, as we know, it is even structural, as liberal democracies are by no means democratic and find ways to make political representation a betrayal (majority vote, threat to the extreme right, etc.). We need to understand what they aiming at and what constitutes the specificity of our times.

We may well contest the closure of cultural places in favor of a purely instrumental vision of society, but we may just as well say that existence is not limited to functions but that luxury, its very excess, is necessary for it, but we will not have imagined the objective pursued, which consists in suspending, as Mark Fisher announced, the future. This stasis should, in turn, suspend all possibility of negotiation. We must no longer ask, negotiate or demand anything. We must secede because we have never had an interlocutor. We have already started years ago. Art was only a name, nothing more.