Le monde dans une boîte
Il y a cet étrange paradoxe faisant que l’ordinateur c’est-à-dire la machine fondée sur la conception la plus rationnelle et la plus controlante, fruit de l’histoire des mathématiques et de la simulation, produit les effets les plus perturbants, les moins anticipables.
Il faut voir en ce paradoxe, non une contradiction, mais plutôt une indication historique et profonde signalant un tournant. On pourrait fort bien reconstituer les fils tendus entre ces histoires épistémologique et technologique, histoires le plus souvent tenues à l’écart (exception faites de Stiegler et de Simondon) alors même que notre réalité quotidienne est une confrontation entre elles, entre ce monde des Idées et ce monde des instruments utilisables.
Il faudrait ressentir la tentative des sciences pour décrire complétement le monde. On pourrait ensuite retracer l’influence de la physique quantique qui a pour ainsi dire expulsée l’idéal laplacien hors du champ du connaissable. On pourrait alors voir comment l’ordinateur a capté ce désir d’une causalité et l’a placé dans sa petite boîte ronronnante en l’appliquant très vite à des phénomènes complexes et chaotiques (météorologie). On pourait à partir de ce point développer une ontologie de l’informatique dépassant les questions de la représentation et du simulacre, puisque l’informatique est performative et en produisant de tels effets elle produit des réalités, des circonstances, des événements, des occurences. De cette ontologie, on pourrait proposer une esthétique dans laquelle l’ordre transcendantal a priori qui structure les perceptions dans l’entendement et le caractère fluctuant de ces perceptions, leurs devenirs, pourraient s’épouser non comme on colle deux parties hétérogènes mais comme ce qui s’adjoint toujours.
Ce monde dans une boîte n’est ni ordonné ni chaotique, ni stabilisé dans le monde des Idées mathématiques ni bouleversé dans le flux du devenir. En fait, il est les deux, toujours et encore, dans une palpitation. Lorsque les doigts pianotent sur le clavier pour écrire des lignes de codes, trouver la bonne séquence logique permettant d’enchaîner telle chose à telle autre chose en vue de produire l’effet désiré, on ressent déjà, à peine le clavier effleuré, un écart scinder l’intentionnalité elle-même. Peut-être cette scission, qui est à la source des effets perturbants et inanticipables de l’informatique, est-elle fondée sur une impureté des Idées mathématiques, d’une impureté qui leurs aient cosubstancielles. Et c’est peut-être celle-ci qui est à la source même de notre faculté de percevoir.