La privatisation du privé
Le Web 2.0, qui est un modèle qui semble pour l’instant régner, exige que chacun devienne un contributeur éditorial soit en produisant un nouveau contenu soit en relayant un contenu déjà existant. Il y a les producteurs et les transmetteurs.
Ce modèle constitue une privatisation d’une force de travail qui était apparue dans la période précédente, entre le Web 1.0 et le Web 2.0, et qui consistait dans une production éditoriale tout azimut sur des sites personnels. Les blogs furent ainsi une des modalités essentielles de cette période.
En utilisant l’argument de la facilité technique, les entreprises ont capturées cette force de travail, en expliquant que pour faciliter la mise en réseau elles mettaient à disposition “gracieusement” leur propre espace serveur. Ainsi wordpress existe sous forme d’un fichier zip installable et sous forme d’un site wordpress.com. Il faut souligner que c’est un argument instrumental qui a rendu possible le passage d’une modalité à une autre.
La capture de cette force de travail n’est pas anodine parce que ce qu’on nomme les sites sociaux sont en fin de compte la simple appropriation de cette force. Ils n’ont rien de sociaux, ils permettent surtout de capitaliser, c’est-à-dire de produire une valeur pour les capitalistes qui ont l’argent afin d’investir dans de grandes infrastructures (les data centers), à partir du travail rendu “gratuit” des internautes. Facebook n’est rien sans ces derniers et ceux-ci ne sont pas rémunérés, pourtant les propriétaires de Facebook le sont. En vivant sur Facebook, nous travaillons pour eux.
Il s’agit de replacer cette capture dans le contexte général du capitalisme qui tente, par tous les moyens, d’augmenter ses profits en inventant une idéologie de la participation, de la socialisation numérique, du Web 2.0. On peut comparer cette situation à celle où des capitalistes investiraient dans des usines et des machines et diraient aux prolétaires d’y travailler gratuitement parce qu’ils ont la chance de pouvoir avoir accès gratuitement à celles-ci…
Lorsque certains souhaitent monétiser cette participation éditoriale, ils mettent en place, sans toujours le savoir, un système de concurrence : on “like” tel contenu qui produit une poussée publicitaire, par là on met en concurrence les internautes, on détruit la socialité qu’on mettait en oeuvre en faisant émerger certains internautes plutôt que d’autres en prenant en compte un critère quantifiable. Je laisse de côté l’effondrement intellectuel et sensible qu’une telle approche induit dans la production culturelle.
Nous sommes rentrés dans une ère ultra-démocratique, car la démocratie n’est plus seulement politique, elle est économique. Elle est instrumentalisée par l’économique et en ce sens l’ultra-démocratie n’est pas la démocratie souveraine, elle est la démocratie soumise au pouvoir affectif du capitalisme. En effet, le pouvoir économique, en mettant en place une idéologie participative, va capter la participation des individus qui sera une étude de marché grandeur nature. Les sites de crowdfunding sont de cette sorte : l’oculus rift a été financé par les internautes, puis racheté par Facebook. Le chainon final du réseau reste l’économie capitaliste qui utilise les individus au profit d’une minorité qui accumule le capital.