La guerre des esprits géographiques
J’avais déjà signalé que le service cartographique de Google constituait une solution ontologique complète pour investir la terre de nos mémoires individuelles.
Google maps est devenu un hub cartographique grâce à l’usage des Georss et peut récupérer des flux provenant de différents GIS. Quant à Sketchup qui grâce au format Collada, format qui semble s’imposer de plus en plus comme le standard 3D, permet d’intégrer des objets dans l’espace de Google Earth (il y aurait d’ailleurs à faire une analyse de l’usage du mot « earth » dans le titre même du logiciel en reprenant et en réactualisant la question du conflit entre la terre et le monde chez Heidegger).
Aujourd’hui j’ai écumé le réseau pour voir comment traduire des données géographiques d’un logiciel à un autre. Même si différents standards coexistent, la traduction n’est pas si difficile. Un flux cartographique est rendu possible, un flux convergent avec nos existences, nos expériences qui sont au coeur du web 2.0.
L’intelligence de Google est de permettre à une communauté d’utilisateurs, à la manière de Wikipedia, de littérralement peupler la terre en partageant des informations, textes et modèles 3D implentés. Ce peuplement est étrange car tout se passe comme si la terre était vide et se remplissait lentement. Les questions ontologiques et politiques posées par ce peuplement informationelle sont multiples. Il est simplement question ici de pointer un nouvel horizon anthropologique de la terre devenue monde par l’implémentation d’informations: quelle relation dans ce cadre entre la cartographique partagée (et donnée par une entreprise privée) et les mémoires individuelles (annotées par une communauté)?
Ce que Google élabore c’est un ensemble d’outils et de fonctions qui peuvent être distincts mais qui interconnectés peuplent un monde donné. Ce monde a encore une vision surplomblante, vision des images satellites, mais ce n’est que temporaire. On peut s’interroger pour savoir s’il s’agit encore de cartographie car celle-ci a pour objectif habituellement de donner une vision objectale du monde. Avec Google on voit bien que ce peuplement est partagé et que connecté aux blogs, c’est-à-dire à l’inscription existentielle, les cartes deviendront des lieux de vie. Il ne s’agit pas là de dénoncer les « Simulacres et simulations » à la manière de Baudrillard, car il n’y a pas à avoir un rapport naïf (cad identitaire) à la mimésis en distinguant, comme si cette distinction était assurée d’avance par le bon sens, la carte du territoire. Il y a seulement à prendre nos mondes tels qu’ils sont, toujours déjà multiples et stratifiés.
Le fait que ce soit une entreprise privée qui s’occupe de notre monde, tandis que les gouvernements s’occupent difficilement de la terre, montre combien l’écart entre celle-ci comme donné écologique, comme biotope, et le monde comme univers superposant des couches symboliques et langagières, s’est intensifié.
On peut imaginer qu’il sera possible dans Second Life d’observer les existences inscrites dans Google Earth, de les observer à distance comme s’il s’agissait, et il s’agit déjà, d’un autre monde que le nôtre.