Ce furent nos images

Imaginons une image autoscopique, un autoportrait, ce selfie anodin qui est pris sur cet appareil et qui est envoyé sur le réseau. Une machine cherche dans sa mémoire, c’est-à-dire dans une base de données, une image qui lui ressemble, elle la trouve. Ce n’est pas identique, mais ça se rapproche. Question de ressemblance et de proximité sur le plan large des vecteurs. Il y a maintenant deux images, l’une qui ressemble à l’autre. Imaginons ce que la mimésis veut dire ici : une image qui a été faites il y a des décennies, parfois des siècles, une peinture ressemble à une autre image, contemporaine celle-là d’une personne vivante. Imaginons donc ce futur antérieur : le passé s’y livre comme la “copie” du présent comme si on avait pris comme modèle, il y a des décennies, parfois des siècles une image qui n’existait pas encore. Etrange temps, celui de la revenance et des fantômes pensés par Aby Warburg et Jacques Derrida où le passé se délivre par le futur. Ceux qui sont déjà morts et ceux qui ne sont pas encore vivants.

On se dira “Cette personne me ressemble” et cette ressemblance inceptive entre deux images est produite par une machine. Nous lui avons livré nos mémoires existentielles avec la participation propre au Web 2.0 et nous lui avons aussi donné la mémoire de l’histoire de l’art, des musées et des bibliothèques numérisées par des grandes entreprises telles Google. Ces campagnes de numérisation mettent sur le même plan l’actualité de nos selfies et le passé de nos images artistiques, car l’unité de ce plan est assurée par l’unité d’un langage, numérique, constitué de variations électriques, de 0 et de 1. Imaginons l’émotion, la nôtre, lorsque nous voyons revenir l’art du portrait peint par le selfie photographique de cette caméra qui est simultanément un miroir.

Le temps ne se délivre plus dans la chronologie d’un grand récit ou dans la désillusion postmoderne de sa perte, mais ce temps se constitue sur l’unité d’un plan qui n’est plus chronologique et qui viendra sans doute affecter l’historicité elle-même, c’est-à-dire la façon dont nous constituons l’histoire. Car au-delà de ce qu’elle peut avoir d’académique et de sérieux, elle est cette émotion particulière des fantômes. Nous voyons par elle, revenir ce qui a été et, par les portraits de l’histoire de l’art, ces personnes connues et inconnues qui ont été et qui nous disent, dans un murmure, que nous aussi nous allons être et que nous serons plus. L’anticipation de cette disparition c’est l’histoire de l’art des ruines, qu’elles soient architecturales ou existentielles. C’est ce passé qui ne passe pas et qui dans la comparaison que Google construit entre nos images et celles des musées, devient une nouvelle historicité : le passé n’aura été que du futur. La fin de l’histoire (des images) aura donc été notre temps. Celui d’une réssurection.