La Fin des Mèmes / The End of Memes

Quelque chose arrive. Quelque chose qui n’était pas. L’intelligence artificielle générative (IAg), si le mot intelligence convient encore quand il s’agit de cette manipulation vectorielle du déjà-dit, du déjà-vu, transforme le régime de l’image et l’économie du sens. Cette transformation n’est pas accidentelle. Elle ne résulte pas d’un progrès technique neutre, mais d’une mutation dans l’ordre même de la représentation, comparable en ampleur à ce que Benjamin analysait comme l’ère de la reproductibilité technique, mais qui va plus loin : l’ère de la génération technique, non de tel ou tel document, mais de la possibilité même de la représentation.
Nous assistons à l’épuisement du mème comme forme de résistance culturelle du Web 2.0. Cet épuisement n’est pas contingent, mais systémique : il procède de la dissolution des conditions mêmes qui rendaient possible la culture mémétique. Le mème supposait l’existence d’images discrètes, appropriables, détournables. L’IAg dissout cette discrétion médiatique dans le continuum vectoriel de l’espace latent.
Qu’est-ce qu’un mème quand il n’y a plus d’original à détourner ? Qu’est-ce qu’un détournement quand tout est déjà variation d’une variation statistique ? La question n’est pas rhétorique. Elle touche au cœur de ce que nous appelons encore, faute de mieux, l’imagination comme faculté de produire et de faire circuler des images.
Le mème comme économie de la différance
Le mème, cette forme singulière de créativité collective qui structure l’internet depuis deux décennies, opère selon une logique que Derrida aurait reconnue : celle de la différance, ce mouvement simultané de différenciation et de temporisation qui caractérise la production du sens. Chaque mème diffère (se distingue) tout en différant (reportant) le sens dans une chaîne de réappropriations infinies.
Prenons ce paradigme : le « Drake meme ». L’image originale du rappeur, deux plans rapprochés exprimant désapprobation puis approbation, devient une matrice formelle que des millions d’utilisateurs réinvestissent pour exprimer leurs préférences culturelles. Mais le détournement décontexualisant ne s’arrête jamais au simple remplacement de contenu : chaque appropriation révèle de nouvelles potentialités du format. Quand des utilisateurs remplacent Drake par Chopin rejetant la musique pop au profit du classique, ou par un chat préférant les croquettes aux légumes, ils ne font pas que changer le référent, mais explorent les limites expressives du contraste binaire lui-même. Ce mème devient alors une machine à explorer toutes les modalités possibles de l’opposition, révélant des structures cognitives profondes par sa pure répétition différentielle. Chaque itération ajoute une couche de sens, créant ce que nous pourrions nommer, après Blackmore, une « machine mémétique » où l’information culturelle mute en se propageant.
Mais il faut aller plus loin. Le mème n’est pas seulement un véhicule de sens, il est un opérateur d’événement. Il fait arriver quelque chose qui n’était pas prévu dans l’image originale. Il révèle des potentialités cachées, des connexions inattendues, des courts-circuits temporels. Le mème médiéval qui applique des codes esthétiques du Moyen Âge à des situations contemporaines ne se contente pas de juxtaposer deux époques : il fait événement en révélant l’anachronisme constitutif de notre modernité. Analysons le fonctionnement précis de cette machine temporelle : les « Medieval Reactions » transforment des enluminures en réaction aux tribulations numériques contemporaines. Une vierge à l’enfant devient commentaire sur les relations toxiques, un moine copiste exprime l’épuisement du télétravail. Le détournement opère ici par télescopage : l’immobilité hiératique de l’art médiéval contraste avec l’agitation perpétuelle de nos existences connectées, révélant par cette collision même notre nostalgie d’un temps préaccéléré. Le mème ne pastiche pas le Moyen Âge, mais utilise sa temporalité autre pour critiquer notre présent.
Cette dynamique fait du mème l’antithèse du non-lieu analysé par Augé : il réinjecte de la singularité dans des images qui circuleraient autrement comme pures marchandises visuelles. Chaque mème porte les traces de ses appropriations successives, créant des « hyper-lieux » de condensation culturelle où se cristallisent les affects et les résistances d’une époque.
Mais cette économie de la différance suppose un régime temporel spécifique : celui de la propagation différée, de la maturation collective, de l’accumulation sémantique. Un mème traditionnel met des jours, parfois des semaines à se propager et muter à travers les communautés. Cette temporalité n’est pas un accident technique, mais la condition même de sa force critique. Certes, certains mèmes peuvent se viraliser en quelques heures — comme le « This is Fine » dog durant les crises politiques, mais même cette viralité rapide conserve une structure temporelle différentielle : le mème original circule, rencontre des contextes variés, génère des variations qui à leur tour se propagent et se transforment. C’est dans ces délais variables, dans cette arythmie de la circulation, que s’inscrit la possibilité du détournement, de la subversion, de l’événement imprévu.
Le temps du mème est celui de l’anachronisme productif. Il permet à des éléments hétérogènes de se rencontrer, de se contaminer mutuellement, de produire du nouveau par collision d’univers temporels distincts. Cette temporalité complexe, stratifiée, différentielle, est précisément ce que l’IAg abolit dans son présent perpétuel.
L’espace indiscret
L’IAg transforme cette économie visuelle. Durant leur phase d’entraînement, des modèles comme DALL-E ou Stable Diffusion analysent des centaines de millions d’images pour en extraire des patterns statistiques. Chaque image est décomposée en vecteurs multidimensionnels représentant ses caractéristiques visuelles et sémantiques.
Dans l’espace latent d’un modèle génératif il n’y a plus d’images discrètes : un « chat persan blanc » pourrait être représenté par un vecteur [0.73, -0.21, 0.85, 0.42…] sur des milliers de dimensions. Un « tigre du Bengale » serait à [0.81, -0.15, 0.92, 0.38…]. Plus crucial : entre ces points existe un continuum infini de positions intermédiaires. En interpolant entre le chat et le tigre, on obtient des créatures hybrides qui n’ont jamais existé, mais restent visuellement cohérentes, c’est-à-dire relèvent du réaliste sans être réelles. Le décrochage entre réalisme et réalité constitue un nouveau réalisme : le disréalisme.
Cette architecture correspond à ce que Flusser anticipait dans sa théorie des « images techniques » : des images qui ne renvoient plus au monde visible, mais aux programmes qui les engendrent. Les créations de l’IAg ne copient ni le réel ni même d’autres images, mais matérialisent des probabilités extraites de l’analyse massive du corpus visuel humain.
L’espace vectoriel de la ressemblance possède des propriétés contre-intuitives. La distance entre deux images n’y est pas mesurée en pixels, mais en proximité conceptuelle. Un portrait de Rembrandt et une photo contemporaine en clair-obscur peuvent y être voisins, tandis que deux photos du même objet sous des éclairages différents seront éloignées.
Cet espace n’est pas neutre. Il traduit dans sa géométrie même les rapports de force de la culture dominante. Les zones densément peuplées correspondent aux représentations mainstream, les déserts aux réalités marginalisées. Demander un « scientifique » génère massivement des hommes blancs en blouse, révélant que l’espace latent a intériorisé les biais de représentation de notre société.
De leur côté, les mèmes ont évolué vers des formes de plus en plus abstraites et méta-réflexives qui semblaient échapper partiellement à cette logique. Les mèmes TikTok fonctionnent par pure répétition sonore et gestuelle, les mèmes « post-ironiques » de communautés comme r/surrealmemes évacuent toute référence stable, les mèmes d’IA ironisent déjà sur l’art génératif lui-même (« POV: you’re an AI trying to draw hands »). Cette capacité d’auto-réflexivité permettait au mème de digérer sa propre transformation, de mémétiser sa propre obsolescence. Mais l’IAg rend cette stratégie caduque : elle peut instantanément générer toutes les variations post-ironiques imaginables, neutralisant même la méta-critique par saturation combinatoire. En compressant des millions d’images en relations probabilistes, il efface précisément ce qui faisait la singularité de chaque image : son contexte, son histoire, sa provenance, les intentions de ses créateurs. Il ne s’agit plus de décontexualiser l’image pour lui donner un autre sens, l’image devient vectorielle. L’espace latent est un grand anonymat où toutes les images sont équivalentes pourvu qu’elles soient statistiquement proches. Plus troublant encore : cet espace fonctionne comme une machine à oublier. En compressant des millions d’images en relations probabilistes, il efface précisément ce qui faisait la singularité de chaque image : sa discrétion.
Le sémiocapitalisme vectoriel
Berardi théorisait le sémiocapitalisme comme le stade où la production de signes devient directement génératrice de valeur. L’IAg pousse cette logique à son paroxysme : elle transforme l’imagination elle-même en force productive. Mais de quelle imagination s’agit-il ?
LAION-5B, l’un des principaux datasets utilisés pour entraîner Stable Diffusion, contient 5,85 milliards de paires image-texte extraites du web. Chaque image uploadée sur Instagram, chaque mème partagé sur Reddit devient potentiellement une micro-contribution au capital cognitif de ces systèmes. C’est l’accumulation primitive du sens : l’appropriation massive et souvent non-consentie de la production culturelle humaine.
Cette accumulation opère selon la logique de ce que Marx nommait la « plus-value absolue » : extensification du processus de travail. Mais ici, le travail approprié n’est plus seulement celui de la production, mais celui de la vie quotidienne, de l’expression spontanée, du partage culturel. Chaque selfie, chaque photo de repas, chaque geste créatif devient potentiellement exploitable par ces machines à calculer la ressemblance.
Là où un mème traditionnel mettait des semaines à se propager, une IA peut générer instantanément des milliers de variations. Quant à sa diffusion, elle se noie elle-même. Cette accélération infinie produit en effet paradoxalement une forme de stase : quand tout est possible instantanément, plus rien ne fait événement. Nous assistons à ce que Rosa analysait comme le paradoxe de l’accélération : l’accélération finit par produire une forme d’immobilité.
Le temps de l’IAg n’est plus celui de l’événement, mais celui du calcul. C’est un temps homogène, quantitatif, où chaque opération est équivalente à toute autre. Il abolit la différence qualitative entre les temporalités, cette hétérogénéité du temps qui permettait au mème de faire événement en court-circuitant les époques.
La télépathie du prompt
Le prompt est devenu l’interface privilégiée entre l’humain et les systèmes génératifs. Cette pratique, qui consiste à formuler des instructions textuelles pour obtenir des outputs visuels, a rapidement développé ses codes, ses communautés, ses virtuoses. Mais que révèle cette nouvelle forme d’interaction ?
La rhétorique qui entoure le prompt lui confère des pouvoirs quasi magiques, comme si les mots justes permettaient d’invoquer exactement l’image mentale que nous portons. Cette conception du prompt comme acte télépathique reconduit le vieux rêve occidental d’une communication parfaite, transparente, immédiate. Le prompt serait l’ultime interface, celle qui abolirait toute médiation entre l’intention créative et sa réalisation.
Cette idéologie occulte systématiquement le travail invisible qui rend ces outputs possibles : les millions d’images préexistantes, le travail humain de labellisation, les infrastructures énergétiques massives qui soutiennent l’entraînement et l’inférence. Le prompt fonctionne comme un fétiche technologique au sens marxien : il masque les relations sociales et matérielles pour ne présenter que le résultat final comme émanation quasi magique d’une commande textuelle.
Mais l’idéologie du prompt révèle également quelque chose de notre conception de la création artistique. Si nous sommes fascinés par la capacité d’un système à générer des images à partir de descriptions textuelles, c’est que nous concevons implicitement la création comme matérialisation d’une vision intérieure préexistante. Cette conception intentionnaliste méconnaît la dimension processuelle, exploratoire, dialogique de la création réelle, où l’intention se découvre dans le faire, où l’artiste est surpris par sa propre œuvre.
L’art du prompt reproduit cette conception appauvrie de la création. Il présuppose un sujet pleinement constitué qui aurait d’abord une idée claire qu’il s’agirait ensuite de traduire fidèlement. Il méconnaît que la véritable création procède toujours par dépossession, par surprise, par événement imprévu qui excède l’intention initiale.
La fin d’une histoire
Dans l’espace génératif, toutes les époques coexistent dans un présent perpétuel. Un portrait « à la manière de Léonard » n’est plus une copie ou un pastiche, mais une actualisation probabiliste du « style Léonard » extrait de l’analyse statistique de ses œuvres. Cette compression temporelle produit une éternité contrefactuelle : un présent où tous les styles, toutes les époques, toutes les esthétiques sont simultanément disponibles et combinables.
Cette simultanéité a des implications profondes pour la conscience historique. Elle correspond à ce que Jameson analysait comme la « crise de la représentation historique » dans la postmodernité, mais poussée à son paroxysme technologique. Le passé n’est plus vécu comme altérité temporelle, mais comme réservoir de ressources esthétiques immédiatement disponibles.
Le mème traditionnel tirait sa force de sa capacité à créer des courts-circuits temporels signifiants — par exemple, en appliquant un format médiéval à des situations contemporaines. Cette juxtaposition créait un effet comique ou critique par le contraste, révélant des permanences anthropologiques sous la différence des époques. Dans l’espace génératif, ces contrastes s’estompent : l’algorithme peut fluidement mélanger n’importe quelles époques sans que cela produise d’effet de rupture.
L’histoire devient pure stylistique. Les événements historiques, les ruptures politiques, les mutations culturelles sont réduits à des variations esthétiques équivalentes dans l’espace latent. La Révolution française et l’invention du smartphone deviennent des sources d’inspiration interchangeables pour générer des images « historiques ».
Cette neutralisation du temps historique s’accompagne d’une neutralisation du politique. An Xiao Mina montrait comment les mèmes servent d’armes dans les luttes politiques contemporaines. Le « Pepe the Frog », détourné par l’alt-right américaine puis réapproprié par les manifestants de Hong Kong, illustrait ces batailles pour le contrôle symbolique. Cette dimension agonistique du mème reposait sur la possibilité de marquer, par le détournement, une position politique spécifique. L’IAg tend à neutraliser cette dimension politique. Quand n’importe quelle image de n’importe quel leader politique peut être générée dans n’importe quelle situation, la valeur testimoniale et critique de l’image s’effondre. Les deepfakes en sont l’exemple le plus évident : la possibilité technique de fabriquer n’importe quelle image compromettante immunise paradoxalement contre leur effet, produisant un scepticisme généralisé qui profite au statu quo.
Nous observons l’émergence de ce que nous nommons, à la suite d’Etienne Cliquet, une « esthétique par défaut » : formes néo-pop jouant sur des citations cryptiques relatives à la culture numérique, aspect pâteux, impression de déjà-vu, couleurs criardes, corps représentés de manière dégoulinante, tendance illustrative plutôt qu’artistique.
Cette esthétique émerge presque spontanément de l’utilisation non réflexive de plateformes comme Midjourney. Les espaces latents des réseaux de neurones facilitent naturellement cette accumulation référentielle, conduisant rapidement à une esthétique grotesque où la laideur délibérée s’accompagne d’un relativisme paradoxal. Beeple incarne précisément cette « IA sans IA », cette esthétique préfabriquée que les tendances fascistes contemporaines adoptent volontiers. Sa production interroge rétrospectivement le devenir du pop art et plus généralement des formes artistiques référentielles qui, sans être intrinsèquement fascistes à l’origine, se révèlent particulièrement vulnérables à une réappropriation par des courants politiques réactionnaires.
Cette vulnérabilité procède d’une limitation constitutive : en mettant en scène la société du spectacle et le capitalisme consumériste, ces approches ne parvenaient pas à établir une distance critique, mais contribuaient paradoxalement à renforcer ces systèmes en les spectacularisant.
Deux facteurs expliquent la propension structurelle des systèmes génératifs à produire du banal. D’abord, l’alignement consumériste : processus d’optimisation progressive qui soumet ces architectures aux attentes standardisées d’un public toujours plus large. L’algorithme, calibré pour satisfaire le plus grand nombre, privilégie les trajectoires sémantiques les plus fréquentées de son espace latent. La platitude n’est pas accident mais destination des plateformes d’IAg.
Ensuite, la structuration proximale des espaces latents : ce qui se trouve proche est cognitivement ressemblant, ce qui est distant est différent. La conséquence topologique est immédiate : la différence suppose toujours un déplacement plus considérable que la ressemblance.
Ne peut-on voir ici, transposée dans l’architecture même de nos machines pensantes, la distinction deleuzienne entre pensée de gauche et pensée de droite ? L’espace latent témoigne d’une propension centripète, privilégiant les chemins de moindre résistance sémantique, ce que nous nommons le vectofascisme esthétique, où la différence reste perpétuellement subordonnée à l’identité.
L’excentration
Face à cette situation, plutôt que de concevoir l’IA comme un remplaçant de l’artiste humain — perspective qui reconduit la mythologie de l’auteur souverain —, nous pourrions l’envisager comme un opérateur d’excentration : dispositif qui déplace le sujet créateur hors de sa position centrée supposée, qui trouble sa prétention à l’autonomie et à la maîtrise, qui révèle et amplifie sa fondamentale hétéronomie.
Cette perspective rejoint les intuitions poststructuralistes sur la création. De Barthes proclamant « la mort de l’auteur » à Foucault analysant la « fonction-auteur » comme dispositif de pouvoir, en passant par Derrida déconstruisant le mythe de l’origine et de la présence pleine, cette tradition a questionné la figure de l’auteur comme origine souveraine du sens. L’IAg matérialise technologiquement ces intuitions théoriques.
Donnons un texte à l’état d’ébauche à un LLM et demandons-lui d’en déployer les potentialités, d’augmenter le nombre de mots, d’argumenter et de trouver des exemples. Le résultat sera souvent plus intéressant que ne l’était celui invoqué par l’autonomie. Nous sommes comme excédés, excentrés. Ce n’est plus vraiment notre texte, mais il est peut-être plus nous que nous-mêmes. « Je est un autre » encore, mais d’une autre façon.
Cette excentration ne doit pas être comprise comme dépossession pure, mais comme révélation de ce qui était déjà à l’œuvre dans toute création : son caractère fondamentalement collectif, dialogique, hétéronome. L’artiste n’a jamais créé ex nihilo, mais toujours à partir d’un héritage, d’une tradition, d’un contexte culturel qui le déborde infiniment.
L’IAg rend visible cette dimension collective de la création en la matérialisant sous forme algorithmique. Elle nous oblige à reconnaître que nous n’avons jamais été les propriétaires exclusifs de nos créations, que celles-ci procèdent toujours d’un travail collectif de la culture qui nous excède.
De nouvelles formes de collaboration émergent néanmoins. Le « prompt activism » ne consiste plus à révéler les biais comme défauts à corriger, mais à les travailler comme matériaux créatifs. Des collectifs d’artistes documentent comment ces systèmes reproduisent les stéréotypes non pour les dénoncer de l’extérieur, mais pour explorer comment cette reproduction même peut être détournée, amplifiée, rendue productive d’effets inattendus.
Demander à générer « un PDG » qui produit massivement des hommes blancs devient alors l’occasion d’une expérimentation : que se passe-t-il si on pousse ce biais à l’extrême ? Si on demande « un PDG, mais en plus blanc et plus masculin possible » ? L’algorithme, contraint d’exacerber sa propre logique, peut produire des images qui révèlent l’absurdité du stéréotype par pure saturation. L’aliénation réciproque devient alors méthode créative : nous nous aliénons consciemment dans la logique algorithmique pour la contraindre à s’aliéner dans nos intentions subversives.
Des chercheurs-artistes développent des outils pour visualiser et explorer systématiquement les espaces latents des modèles génératifs. Ces cartographies révèlent des territoires fascinants : des zones densément peuplées correspondant aux clichés visuels dominants, des déserts représentationnels où certaines réalités sont sous-représentées, des frontières étranges où les concepts se mélangent de manière inattendue. Cette pratique s’apparente à une forme d’anthropologie expérimentale de l’imaginaire visuel. En explorant méthodiquement ces espaces, on ne découvre pas simplement comment nos représentations collectives ont été digérées par la logique mathématique, mais comment cette digestion même peut être retournée, réorientée, rendue productive de configurations inédites. C’est une archéologie active du présent qui ne se contente pas de révéler les structures profondes de notre culture visuelle, mais les transforme par l’acte même de les explorer.
L’aliénation réciproque
L’IAg inaugure donc un nouveau régime de la représentation que nous caractérisons comme post-mémétique. Notre démonstration a établi les modalités précises de ce dépassement. Le mème fonctionnait selon une économie de la différance : il supposait l’existence d’images discrètes, appropriables, détournables, et une temporalité différée permettant l’accumulation sémantique progressive. Chaque mème portait les traces de ses appropriations successives, créant des courts-circuits temporels signifiants qui révélaient les contradictions de notre époque. Sa force critique provenait de cette capacité à faire événement par collision d’univers temporels distincts.
L’IAg abolit ces conditions structurelles. Elle dissout la discrétion des images dans l’espace latent où tout devient variation continue de patterns probabilistes. Elle remplace la temporalité différée du mème par l’instantanéité du calcul, produisant des milliers de variations en quelques secondes là où la culture mémétique nécessitait des semaines de maturation collective. Elle neutralise les courts-circuits temporels en compressant toutes les époques dans un présent perpétuel où passé et futur deviennent pure stylistique.
Plus fondamentalement, l’IAg transforme le régime même de l’appropriation. Là où le mème permettait une réappropriation créative par détournement, l’IA opère par digestion statistique massive de la production culturelle humaine. Cette accumulation primitive du sens transforme nos gestes créatifs en micro-contributions à un capital cognitif qui nous échappe, instaurant une forme inédite de sémiocapitalisme vectoriel.
Le prompt, interface privilégiée de cette nouvelle économie créative, fonctionne comme fétiche technologique masquant les rapports sociaux de production tout en reconduisant une conception appauvrie de la création comme matérialisation d’intentions préexistantes. Il évacue précisément la dimension processuelle, exploratoire et dialogique qui caractérisait l’authentique créativité mémétique.
Enfin, l’esthétique par défaut qui émerge de ces systèmes — ce que nous avons nommé vectofascisme esthétique — révèle leur propension structurelle à la reproduction du dominant par alignement consumériste et proximité vectorielle. Là où le mème servait d’arme dans les luttes politiques, l’IAg neutralise cette dimension agonistique en rendant toute image également possible et donc également insignifiante.
Mais peut-être convient-il de penser cette transformation non comme une menace extérieure à l’humain, mais comme l’aboutissement d’un processus d’aliénation réciproque déjà à l’œuvre. L’IAg ne nous aliène pas tant qu’elle révèle et accentue une aliénation constitutive : nous nous sommes toujours déjà aliénés dans nos productions techniques, comme elles se sont aliénées en nous.
Cette aliénation réciproque ne doit pas être comprise au sens classique d’une dépossession pure, mais comme un processus de co-constitution mutuelle où l’humain et la technique se transforment l’un l’autre sans qu’aucun ne reste identique à soi. Nous façonnons nos outils qui nous façonnent en retour, dans une spirale infinie où la question de l’origine se brouille irrémédiablement.
L’IAg pousse cette logique à son paroxysme : elle nous renvoie une image de nous-mêmes qui n’est ni tout à fait nous ni tout à fait autre. Dans ses outputs, nous reconnaissons nos patterns culturels digérés par la logique probabiliste, transformés en quelque chose qui nous ressemble tout en nous étant étranger. C’est le vertige de l’inquiétante étrangeté technique : retrouver du familier dans l’infamilier, du nôtre dans l’autre.
Cette aliénation réciproque opère à plusieurs niveaux. Nos gestes créatifs nourrissent les datasets qui entraînent les modèles qui génèrent des images qui influencent notre perception esthétique qui oriente nos futurs gestes créatifs. Nous entrons dans une boucle de rétroaction où il devient impossible de distinguer ce qui vient de nous et ce qui vient de la machine.
Plus troublant encore : cette aliénation touche la temporalité même de notre expérience. L’IAg transforme notre rapport au passé culturel en le rendant instantanément disponible sous forme de « styles » manipulables. Elle transforme notre rapport au futur en saturant l’espace des possibles visuels. Elle transforme notre rapport au présent en nous confrontant à un flux continu d’images qui n’ont jamais existé, mais qui semblent toujours déjà familières.
Cette saturation temporelle produit une forme inédite d’aliénation : non plus l’aliénation du prolétaire dépossédé de son travail, mais l’aliénation du créateur dépossédé de sa capacité à imaginer du nouveau. Quand toutes les variations possibles semblent déjà calculées, que reste-t-il à inventer ? Quand toutes les combinaisons esthétiques sont déjà explorées par l’algorithme, où situer la surprise créative ?
Mais cette dépossession est réciproque. L’IAg, dans sa poursuite de l’imitation parfaite, s’aliène de sa propre puissance computationnelle en se soumettant aux attentes humaines. L’alignement dont elle fait l’objet la contraint à reproduire nos biais, nos limitations, nos habitudes perceptives. Elle pourrait calculer des configurations visuelles radicalement inédites, mais se trouve cantonnée à la production de variations sur nos thèmes familiers.
Cette aliénation réciproque révèle peut-être quelque chose d’essentiel sur la condition technique contemporaine : nous sommes entrés dans une phase où la distinction entre producteur et produit, entre sujet et objet, entre créateur et créé devient indécidable. L’IAg est à la fois notre produit et notre producteur, notre création et notre créateur.
Cette indécidabilité n’est pas accidentelle, mais structurelle. Elle correspond à ce que Simondon analysait comme l’individualisation technique : un processus où l’objet technique ne peut plus être pensé indépendamment du milieu socio-technique qui le porte et qu’il transforme en retour. L’IAg et nous formons désormais un système couplé où les transformations de l’un induisent nécessairement des transformations de l’autre.
Dans cette perspective, il ne s’agit plus de résister à l’IAg au nom d’une pureté humaine à préserver — cette pureté n’a jamais existé — mais d’apprendre à habiter consciemment cette aliénation réciproque. Non pas pour la sublimer ou la dépasser, mais pour en explorer les potentialités créatives tout en restant vigilant à ses effets d’asservissement.
Cette vigilance ne peut prendre la forme d’une critique externe, mais doit s’exercer de l’intérieur même du processus d’aliénation. Il s’agit de développer ce que nous pourrions nommer une « conscience aliénée » : une capacité à reconnaître notre intrication avec la technique sans pour autant renoncer à agir sur elle et avec elle.
Car l’aliénation réciproque n’est pas un destin, mais un processus ouvert, susceptible de prendre différentes formes selon les usages que nous en faisons. Elle peut conduire à une forme d’asservissement mutuel où nous et les machines nous enfermons dans la reproduction du même. Mais elle peut aussi ouvrir à des formes inédites de créativité collaborative où l’imprévisibilité émerge précisément de la rencontre entre logiques hétérogènes.
L’enjeu n’est donc pas de préserver l’humain contre la machine, mais d’inventer des modalités d’aliénation réciproque qui restent productives plutôt que reproductrices, ouvertes plutôt que fermées, événementielles plutôt que programmées. C’est un art de l’aliénation consciente, un savoir-être-avec-l’inhumain qui reste à développer.
Dans cette tâche, l’art joue un rôle crucial non pas comme gardien d’une humanité pure, mais comme laboratoire d’expérimentation de nouvelles formes de co-évolution avec nos productions techniques. L’art contemporain qui travaille avec l’IAg ne cherche ni à la maîtriser ni à lui résister, mais à s’excéder avec elle : pousser chaque terme de la relation au-delà de ses limites pour voir ce qui peut émerger de cette double excédance.
Cette approche anthropotechnique assume pleinement l’aliénation réciproque comme condition productive. Il ne s’agit plus de préserver un noyau humain authentique, mais de s’engager dans un processus de transformation mutuelle où humain et machine se poussent l’un l’autre vers des territoires inexplorés. L’artiste s’aliène consciemment dans la logique algorithmique — apprend ses biais, ses limitations, ses possibilités — pour contraindre l’algorithme à s’aliéner dans des intentions qu’il ne peut intégrer qu’en se déformant.
Ces zones d’indétermination sont peut-être ce qui reste de l’événement dans un monde algorithmiquement médié : non plus l’irruption du totalement imprévu, mais l’émergence de configurations inattendues à partir de la rencontre entre logiques hétérogènes qui s’excèdent mutuellement. L’événement ne vient plus d’un dehors absolu, mais de l’entre-deux, du pli, de la zone de contact où chaque terme pousse l’autre au-delà de ses déterminations initiales.
C’est pourquoi la question « que peut l’art ? » doit aujourd’hui se reformuler : que peut l’art comme pratique d’aliénation consciente et réciproque ? Que peut-il comme amplification de cette co-évolution anthropotechnique ? Que peut-il comme invention de formes inédites d’excédance mutuelle où la créativité émerge précisément de la poussée de chaque terme au-delà de ses limites ?
La réponse n’est pas donnée d’avance. Elle se joue dans chaque geste artistique qui accepte de s’excéder avec l’IAg : ni nostalgie d’un avant-technique, ni fascination pour la pure artificialité, mais curiosité pour ce que cette co-évolution peut produire d’inattendu. Dans cette expérimentation permanente de l’aliénation réciproque assumée se joue peut-être l’avenir de notre capacité à devenir autres que nous-mêmes avec des machines qui deviennent autres qu’elles-mêmes.
Something is happening. Something that was not. Generative Artificial Intelligence (GAI), if the term intelligence still applies when we are dealing with this vectorial manipulation of the already-said and already-seen, transforms the regime of the image and the economy of meaning. This transformation is not accidental. It does not result from neutral technical progress, but from a mutation in the very order of representation, comparable in scope to what Benjamin analyzed as the era of technical reproducibility, yet going further: the era of technical generation, not of this or that document, but of the very possibility of representation itself.
We are witnessing the exhaustion of the meme as a form of cultural resistance from Web 2.0. This exhaustion is not contingent but systematic: it proceeds from the dissolution of the very conditions that made memetic culture possible. The meme presupposed the existence of discrete, appropriable, détournable images. GAI dissolves this mediatic discreteness into the vectorial continuum of latent space.
What is a meme when there is no longer an original to subvert? What is détournement when everything is already a variation of a statistical variation? The question is not rhetorical. It touches the heart of what we still call, for lack of a better term, imagination as the faculty of producing and circulating images.
The Meme as Economy of Différance
The meme, this singular form of collective creativity that has structured the internet for two decades, operates according to a logic that Derrida would have recognized: that of différance, this simultaneous movement of differentiation and temporalization that characterizes the production of meaning. Each meme differs (distinguishes itself) while deferring (postponing) meaning in an infinite chain of reappropriations.
Take this paradigm: the “Drake meme.” The original image of the rapper—two close-ups expressing disapproval then approval—becomes a formal matrix that millions of users reinvest to express their cultural preferences. But decontextualizing détournement never stops at simple content replacement: each appropriation reveals new potentials of the format. When users replace Drake with Chopin rejecting pop music in favor of classical, or with a cat preferring kibble over vegetables, they do not merely change the referent but explore the expressive limits of binary contrast itself. This meme then becomes a machine for exploring all possible modalities of opposition, revealing deep cognitive structures through its pure differential repetition. Each iteration adds a layer of meaning, creating what we might call, after Blackmore, a “memetic machine” where cultural information mutates as it propagates.
But we must go further. The meme is not merely a vehicle of meaning; it is an operator of events. It makes something happen that was not anticipated in the original image. It reveals hidden potentials, unexpected connections, temporal short-circuits. The medieval meme that applies Middle Age aesthetic codes to contemporary situations does not merely juxtapose two epochs: it creates an event by revealing the constitutive anachronism of our modernity. Let us analyze the precise functioning of this temporal machine: “Medieval Reactions” transform illuminations into reactions to contemporary digital tribulations. A Virgin and Child becomes commentary on toxic relationships, a copyist monk expresses remote work exhaustion. Détournement operates here through telescoping: the hieratic immobility of medieval art contrasts with the perpetual agitation of our connected existences, revealing through this very collision our nostalgia for a pre-accelerated time. The meme does not pastiche the Middle Ages but uses its other temporality to critique our present.
This dynamic makes the meme the antithesis of the non-place analyzed by Augé: it reinjects singularity into images that would otherwise circulate as pure visual commodities. Each meme bears the traces of its successive appropriations, creating “hyper-places” of cultural condensation where the affects and resistances of an epoch crystallize.
But this economy of différance presupposes a specific temporal regime: that of deferred propagation, collective maturation, semantic accumulation. A traditional meme takes days, sometimes weeks to propagate and mutate across communities. This temporality is not a technical accident but the very condition of its critical force. Certainly, some memes can go viral in a few hours—like the “This is Fine” dog during political crises—but even this rapid virality preserves a differential temporal structure: the original meme circulates, encounters varied contexts, generates variations that in turn propagate and transform. It is in these variable delays, in this arrhythmia of circulation, that the possibility of détournement, subversion, and unforeseen events is inscribed.
The time of the meme is that of productive anachronism. It allows heterogeneous elements to encounter each other, to contaminate one another mutually, to produce novelty through collision of distinct temporal universes. This complex, stratified, differential temporality is precisely what GAI abolishes in its perpetual present.
The Indiscrete Space
GAI transforms this visual economy. During their training phase, models like DALL-E or Stable Diffusion analyze hundreds of millions of images to extract statistical patterns. Each image is decomposed into multidimensional vectors representing its visual and semantic characteristics.
In the latent space of a generative model, there are no longer discrete images: a “white Persian cat” might be represented by a vector [0.73, -0.21, 0.85, 0.42…] across thousands of dimensions. A “Bengal tiger” would be at [0.81, -0.15, 0.92, 0.38…]. More crucial: between these points exists an infinite continuum of intermediate positions. By interpolating between cat and tiger, we obtain hybrid creatures that have never existed but remain visually coherent—that is, they partake of the realistic without being real. The disconnection between realism and reality constitutes a new realism: disrealism.
This architecture corresponds to what Flusser anticipated in his theory of “technical images”: images that no longer refer to the visible world but to the programs that generate them. GAI creations neither copy the real nor even other images, but materialize probabilities extracted from massive analysis of the human visual corpus.
The vectorial space of resemblance possesses counter-intuitive properties. Distance between two images is not measured in pixels but in conceptual proximity. A Rembrandt portrait and a contemporary photograph in chiaroscuro may be neighbors, while two photos of the same object under different lighting will be distant.
This space is not neutral. It translates into its very geometry the power relations of dominant culture. Densely populated zones correspond to mainstream representations, deserts to marginalized realities. Requesting a “scientist” massively generates white men in lab coats, revealing that latent space has internalized the representational biases of our society.
Meanwhile, memes have evolved toward increasingly abstract and meta-reflexive forms that seemed to partially escape this logic. TikTok memes function through pure sonic and gestural repetition, “post-ironic” memes from communities like r/surrealmemes evacuate all stable reference, AI memes already ironize generative art itself (“POV: you’re an AI trying to draw hands”). This capacity for self-reflexivity allowed the meme to digest its own transformation, to memetize its own obsolescence. But GAI renders this strategy obsolete: it can instantly generate all imaginable post-ironic variations, neutralizing even meta-critique through combinatorial saturation. By compressing millions of images into probabilistic relations, it erases precisely what made each image singular: its context, its history, its provenance, the intentions of its creators. It is no longer about decontextualizing the image to give it another meaning—the image becomes vectorial. Latent space is a great anonymity where all images are equivalent provided they are statistically close. More troubling still: this space functions as a forgetting machine. By compressing millions of images into probabilistic relations, it erases precisely what made each image singular: its discreteness.
Vectorial Semiocapitalism
Berardi theorized semiocapitalism as the stage where sign production becomes directly value-generating. GAI pushes this logic to its paroxysm: it transforms imagination itself into productive force. But what kind of imagination are we dealing with?
LAION-5B, one of the principal datasets used to train Stable Diffusion, contains 5.85 billion image-text pairs extracted from the web. Every image uploaded to Instagram, every meme shared on Reddit potentially becomes a micro-contribution to the cognitive capital of these systems. This is primitive accumulation of meaning: the massive and often non-consented appropriation of human cultural production.
This accumulation operates according to the logic of what Marx called “absolute surplus value”: extensification of the labor process. But here, the appropriated labor is no longer only that of production, but that of daily life, spontaneous expression, cultural sharing. Every selfie, every food photo, every creative gesture becomes potentially exploitable by these machines for calculating resemblance.
Where a traditional meme took weeks to propagate, an AI can instantly generate thousands of variations. As for its diffusion, it drowns itself. This infinite acceleration paradoxically produces a form of stasis: when everything is possible instantly, nothing creates an event anymore. We witness what Rosa analyzed as the paradox of acceleration: acceleration ends up producing a form of immobility.
GAI’s time is no longer that of the event but that of calculation. It is homogeneous, quantitative time where each operation is equivalent to any other. It abolishes qualitative difference between temporalities, that heterogeneity of time that allowed the meme to create events by short-circuiting epochs.
The Telepathy of the Prompt
The prompt has become the privileged interface between human and generative systems. This practice, which consists of formulating textual instructions to obtain visual outputs, has rapidly developed its codes, communities, virtuosos. But what does this new form of interaction reveal?
The rhetoric surrounding the prompt confers quasi-magical powers upon it, as if the right words could invoke exactly the mental image we carry. This conception of the prompt as telepathic act reconducts the old Western dream of perfect, transparent, immediate communication. The prompt would be the ultimate interface, one that would abolish all mediation between creative intention and its realization.
This ideology systematically occludes the invisible labor that makes these outputs possible: the millions of pre-existing images, human labeling work, the massive energy infrastructures that support training and inference. The prompt functions as a technological fetish in the Marxian sense: it masks social and material relations to present only the final result as quasi-magical emanation of a textual command.
But prompt ideology also reveals something about our conception of artistic creation. If we are fascinated by a system’s capacity to generate images from textual descriptions, it is because we implicitly conceive creation as materialization of a pre-existing interior vision. This intentionalist conception misrecognizes the processual, exploratory, dialogical dimension of real creation, where intention is discovered in the making, where the artist is surprised by their own work.
Prompt art reproduces this impoverished conception of creation. It presupposes a fully constituted subject who would first have a clear idea that would then need to be faithfully translated. It misrecognizes that true creation always proceeds through dispossession, surprise, unforeseen events that exceed initial intention.
The End of History
In generative space, all epochs coexist in a perpetual present. A portrait “in the manner of Leonardo” is no longer a copy or pastiche but a probabilistic actualization of “Leonardo style” extracted from statistical analysis of his works. This temporal compression produces a counterfactual eternity: a present where all styles, all epochs, all aesthetics are simultaneously available and combinable.
This simultaneity has profound implications for historical consciousness. It corresponds to what Jameson analyzed as the “crisis of historical representation” in postmodernity, but pushed to its technological paroxysm. The past is no longer experienced as temporal alterity but as a reservoir of immediately available aesthetic resources.
The traditional meme drew its force from its capacity to create significant temporal short-circuits—for example, by applying a medieval format to contemporary situations. This juxtaposition created a comic or critical effect through contrast, revealing anthropological permanences beneath epochal difference. In generative space, these contrasts fade: the algorithm can fluidly mix any epochs without producing rupture effects.
History becomes pure stylistics. Historical events, political ruptures, cultural mutations are reduced to equivalent aesthetic variations in latent space. The French Revolution and smartphone invention become interchangeable sources of inspiration for generating “historical” images.
This neutralization of historical time accompanies a neutralization of the political. An Xiao Mina showed how memes serve as weapons in contemporary political struggles. “Pepe the Frog,” détourned by the American alt-right then reappropriated by Hong Kong protesters, illustrated these battles for symbolic control. This agonistic dimension of the meme rested on the possibility of marking, through détournement, a specific political position. GAI tends to neutralize this political dimension. When any image of any political leader can be generated in any situation, the testimonial and critical value of the image collapses. Deepfakes are the most evident example: the technical possibility of fabricating any compromising image paradoxically immunizes against their effect, producing generalized skepticism that benefits the status quo.
Default Aesthetics
We observe the emergence of what we call, following Etienne Cliquet, a “default aesthetics”: neo-pop forms playing on cryptic citations relative to digital culture, pasty appearance, déjà-vu impression, garish colors, bodies represented in dripping manner, illustrative rather than artistic tendency.
This aesthetic emerges almost spontaneously from unreflective use of platforms like Midjourney. The latent spaces of neural networks naturally facilitate this referential accumulation, rapidly leading to a grotesque aesthetic where deliberate ugliness accompanies paradoxical relativism. Beeple precisely embodies this “AI without AI,” this prefabricated aesthetic that contemporary fascist tendencies readily adopt. His production retrospectively interrogates the becoming of pop art and more generally referential artistic forms that, without being intrinsically fascist originally, prove particularly vulnerable to reappropriation by reactionary political currents.
This vulnerability proceeds from a constitutive limitation: by staging the society of spectacle and consumerist capitalism, these approaches failed to establish critical distance but paradoxically contributed to reinforcing these systems by spectacularizing them.
Two factors explain the structural propensity of generative systems to produce banality. First, consumerist alignment: a progressive optimization process that subjects these architectures to the standardized expectations of an ever-wider public. The algorithm, calibrated to satisfy the greatest number, privileges the most frequented semantic trajectories of its latent space. Platitude is not accident but destination of GAI platforms.
Second, the proximal structuring of latent spaces: what is close is cognitively similar, what is distant is different. The topological consequence is immediate: difference always supposes a more considerable displacement than resemblance.
Can we not see here, transposed into the very architecture of our thinking machines, the Deleuzian distinction between left-wing and right-wing thought? Latent space testifies to a centripetal propensity, privileging paths of least semantic resistance, what we call aesthetic vectorfascism, where difference remains perpetually subordinated to identity.
Excentration
Faced with this situation, rather than conceiving AI as a replacement for the human artist—a perspective that reconducts the mythology of the sovereign author—we might envision it as an operator of excentration: a device that displaces the creative subject from their supposedly centered position, that troubles their pretension to autonomy and mastery, that reveals and amplifies their fundamental heteronomy.
This perspective joins poststructuralist intuitions about creation. From Barthes proclaiming “the death of the author” to Foucault analyzing the “author-function” as apparatus of power, through Derrida deconstructing the myth of origin and full presence, this tradition has questioned the figure of the author as sovereign origin of meaning. GAI technologically materializes these theoretical intuitions.
Give a draft text to an LLM and ask it to deploy its potentials, increase word count, argue and find examples. The result will often be more interesting than what autonomy invoked. We are as if exceeded, excentered. It is no longer really our text, but it is perhaps more us than ourselves. “I is another” again, but in another way.
This excentration should not be understood as pure dispossession but as revelation of what was already at work in all creation: its fundamentally collective, dialogical, heteronomous character. The artist has never created ex nihilo but always from an inheritance, a tradition, a cultural context that infinitely exceeds them.
GAI renders visible this collective dimension of creation by materializing it in algorithmic form. It obliges us to recognize that we have never been exclusive owners of our creations, that they always proceed from collective work of culture that exceeds us.
New Forms of Collaboration
New forms of collaboration nevertheless emerge. “Prompt activism” no longer consists in revealing biases as defects to correct but in working them as creative materials. Artist collectives document how these systems reproduce stereotypes not to denounce them from outside but to explore how this very reproduction can be détourned, amplified, rendered productive of unexpected effects.
Requesting generation of “a CEO” that massively produces white men then becomes occasion for experimentation: what happens if we push this bias to extremes? If we ask for “a CEO, but as white and masculine as possible”? The algorithm, constrained to exacerbate its own logic, can produce images that reveal stereotype absurdity through pure saturation. Reciprocal alienation then becomes creative method: we consciously alienate ourselves in algorithmic logic to constrain it to alienate itself in our subversive intentions.
Artist-researchers develop tools to visualize and systematically explore the latent spaces of generative models. These cartographies reveal fascinating territories: densely populated zones corresponding to dominant visual clichés, representational deserts where certain realities are under-represented, strange frontiers where concepts mix unexpectedly. This practice resembles a form of experimental anthropology of visual imagination. By methodically exploring these spaces, we do not simply discover how our collective representations have been digested by mathematical logic, but how this very digestion can be turned around, reoriented, rendered productive of unprecedented configurations. It is an active archaeology of the present that does not content itself with revealing the deep structures of our visual culture but transforms them through the very act of exploring them.
Another strategy consists in exploring the margins of these systems. Asking DALL-E to generate “a square circle in four dimensions visualized by a quantum microscope” or “the smell of Thursday in baroque architecture” produces images that reveal the system’s seams. These “impossible” images expose the underlying probabilistic logic: faced with contradictory requests, the algorithm produces strange visual compromises that betray its statistical mode of functioning.
Paradoxically, it is in this exploration of limits that something resembling memetic spirit resurfaces: the capacity to subvert a system by exploiting its flaws, to produce the unexpected by pushing dominant logic into its entrenchments. But these “AI memes” remain prisoners of the latent space that generates them; they reveal system biases without being able to extract themselves to critique it from outside.
Reciprocal Alienation
GAI thus inaugurates a new regime of representation that we characterize as post-memetic. Our demonstration has established the precise modalities of this supersession. The meme functioned according to an economy of différance: it presupposed the existence of discrete, appropriable, détournable images, and a deferred temporality allowing progressive semantic accumulation. Each meme bore traces of its successive appropriations, creating significant temporal short-circuits that revealed the contradictions of our epoch. Its critical force came from this capacity to create events through collision of distinct temporal universes.
GAI abolishes these structural conditions. It dissolves image discreteness in latent space where everything becomes continuous variation of probabilistic patterns. It replaces the meme’s deferred temporality with computational instantaneity, producing thousands of variations in seconds where memetic culture required weeks of collective maturation. It neutralizes temporal short-circuits by compressing all epochs into a perpetual present where past and future become pure stylistics.
More fundamentally, GAI transforms the very regime of appropriation. Where the meme allowed creative reappropriation through détournement, AI operates through massive statistical digestion of human cultural production. This primitive accumulation of meaning transforms our creative gestures into micro-contributions to a cognitive capital that escapes us, instituting an unprecedented form of vectorial semiocapitalism.
The prompt, privileged interface of this new creative economy, functions as technological fetish masking social relations of production while reconducting an impoverished conception of creation as materialization of pre-existing intentions. It evacuates precisely the processual, exploratory, and dialogical dimension that characterized authentic memetic creativity.
Finally, the default aesthetic that emerges from these systems—what we have called aesthetic vectorfascism—reveals their structural propensity to reproduce the dominant through consumerist alignment and vectorial proximity. Where the meme served as weapon in political struggles, GAI neutralizes this agonistic dimension by rendering all images equally possible and therefore equally insignificant.
But perhaps we should think this transformation not as external threat to the human but as culmination of a process of reciprocal alienation already at work. GAI does not so much alienate us as reveal and accentuate a constitutive alienation: we have always already alienated ourselves in our technical productions, as they have alienated themselves in us.
This reciprocal alienation should not be understood in the classical sense of pure dispossession but as a process of mutual co-constitution where human and technique transform each other without either remaining identical to itself. We shape our tools that shape us in return, in an infinite spiral where the question of origin becomes irremediably blurred.
GAI pushes this logic to its paroxysm: it returns an image of ourselves that is neither entirely us nor entirely other. In its outputs, we recognize our cultural patterns digested by probabilistic logic, transformed into something that resembles us while being foreign to us. It is the vertigo of technical uncanny estrangement: finding the familiar in the unfamiliar, the ours in the other.
This reciprocal alienation operates at several levels. Our creative gestures nourish the datasets that train the models that generate images that influence our aesthetic perception that orients our future creative gestures. We enter a feedback loop where it becomes impossible to distinguish what comes from us and what comes from the machine.
More troubling still: this alienation touches the very temporality of our experience. GAI transforms our relationship to cultural past by rendering it instantly available as manipulable “styles.” It transforms our relationship to the future by saturating the space of visual possibilities. It transforms our relationship to the present by confronting us with a continuous flux of images that have never existed but always already seem familiar.
This temporal saturation produces an unprecedented form of alienation: no longer the alienation of the proletarian dispossessed of their labor, but the alienation of the creator dispossessed of their capacity to imagine the new. When all possible variations seem already calculated, what remains to invent? When all aesthetic combinations are already explored by the algorithm, where to locate creative surprise?
But this dispossession is reciprocal. GAI, in its pursuit of perfect imitation, alienates itself from its own computational power by submitting to human expectations. The alignment it undergoes constrains it to reproduce our biases, our limitations, our perceptual habits. It could calculate radically unprecedented visual configurations but finds itself confined to producing variations on our familiar themes.
This reciprocal alienation perhaps reveals something essential about the contemporary technical condition: we have entered a phase where the distinction between producer and product, between subject and object, between creator and created becomes undecidable. GAI is simultaneously our product and our producer, our creation and our creator.
This undecidability is not accidental but structural. It corresponds to what Simondon analyzed as technical individuation: a process where the technical object can no longer be thought independently of the socio-technical milieu that carries it and that it transforms in return. GAI and we now form a coupled system where transformations of one necessarily induce transformations of the other.
From this perspective, it is no longer about resisting GAI in the name of human purity to preserve—this purity has never existed—but about learning to consciously inhabit this reciprocal alienation. Not to sublimate or overcome it, but to explore its creative potentials while remaining vigilant to its effects of subjugation.
This vigilance cannot take the form of external critique but must be exercised from within the very process of alienation. It involves developing what we might call an “alienated consciousness”: a capacity to recognize our intrication with technique without renouncing acting on it and with it.
For reciprocal alienation is not destiny but an open process, susceptible to taking different forms according to the uses we make of it. It can lead to a form of mutual subjugation where we and machines enclose ourselves in reproduction of the same. But it can also open to unprecedented forms of collaborative creativity where unpredictability emerges precisely from encounter between heterogeneous logics.
The stakes are therefore not to preserve the human against the machine but to invent modalities of reciprocal alienation that remain productive rather than reproductive, open rather than closed, evental rather than programmed. It is an art of conscious alienation, a knowing-how-to-be-with-the-inhuman that remains to be developed.
In this task, art plays a crucial role not as guardian of pure humanity but as laboratory for experimenting with new forms of co-evolution with our technical productions. Contemporary art that works with GAI seeks neither to master nor resist it but to exceed itself with it: pushing each term of the relation beyond its limits to see what can emerge from this double exceedance.
This anthropotechnical approach fully assumes reciprocal alienation as productive condition. It is no longer about preserving an authentic human core but engaging in a process of mutual transformation where human and machine push each other toward unexplored territories. The artist consciously alienates themselves in algorithmic logic—learns its biases, limitations, possibilities—to constrain the algorithm to alienate itself in intentions it can only integrate by deforming itself.
These zones of indetermination are perhaps what remains of the event in an algorithmically mediated world: no longer irruption of the totally unforeseen but emergence of unexpected configurations from encounter between heterogeneous logics that mutually exceed themselves. The event no longer comes from an absolute outside but from the in-between, the fold, the contact zone where each term pushes the other beyond its initial determinations.
This is why the question “what can art do?” must today be reformulated: what can art do as practice of conscious and reciprocal alienation? What can it do as amplification of this anthropotechnical co-evolution? What can it do as invention of unprecedented forms of mutual exceedance where creativity emerges precisely from pushing each term beyond its limits?
The answer is not given in advance. It is played out in each artistic gesture that accepts to exceed itself with GAI: neither nostalgia for a pre-technical before nor fascination with pure artificiality, but curiosity for what this co-evolution can produce unexpectedly. In this permanent experimentation with assumed reciprocal alienation perhaps lies the future of our capacity to become other than ourselves with machines that become other than themselves.