La déconstitution
Il y a sans doute en chaque artiste, à divers degrés, un véritable conflit entre son désir d’appartenir à un milieu (la pose) et celui de produire quelque chose (l’acte). Ces deux désirs sont liés, l’un est souvent le moyen de l’autre, parfois l’autre devient simplement un moyen de l’un, mais ils sont fort différents.
D’un côté la volonté d’être reconnu afin peut être d’effacer cet anonymat qui nous hante et nous disloque, d’être un de ceux qui appartient à une prétendue élite, d’être introduit dans des cercles dont la justification semble strictement autoréférentielle. De l’autre côté un imaginaire, c’est-à-dire la capacité de faire advenir des choses qui ne sont pas (encore), de provoquer donc des images.
Le désir d’appartenir au milieu artistique envisage l’art comme un domaine déjà constitué et déjà donné. C’est pourquoi cette tonalité affective est la cause du « style » art contemporain, c’est-à-dire de l’homogénéité formelle des œuvres. Cette homogénéité est grandissante et devient ridicule tant elle suit l’obsolescence de chaque tweet. L’œuvre n’est plus signée par une singularité (celle-ci fut-elle anonyme et ayant un style chirurgical et froid), elle est simplement le signe des clichés d’une époque à la manière d’un catalogue Ikea.
Le désir de produire des choses qui n’existent pas déconstitue pour sa part l’art, c’est-à-dire prend ce domaine à chaque fois comme si c’était la première fois, comme s’il y avait tout à faire et à refaire, tout à inventer, tout à imaginer. Une œuvre peut porter en elle ce destin.
Il y a là souvent une anomie formelle, quelque chose qui cloche, un mauvais goût ou un excès, quelque chose dont on ne sait que faire ni penser. Une esthétique qui nous gêne. Ce désir devient de plus en plus rare, car l’appartenance au milieu artistique fait office, pour de nombreux artistes, de carrière artistique. Être invité à telle foire ou à telle soirée serait le signe qu’on en est, qu’on a enfin réussi à percer ce monde. Mais quand on y est l’ennui règne, la solitude aussi, quelque chose de froid et de mort, tout comme le monde en train de s’éteindre. Cette morbidité est liée au fait qu’on n’a pas eu le courage de déconstituer la pratique même de l’art : entrer dans la contingence d’un acte fabuleux.