Du fantasme hacktiviste à la dépression institutionnelle / From Hacktivist Fantasy to Institutional Depression

Il convient d’observer cette génération qui déplore aujourd’hui une supposée « époque bénie » où les technologies numériques, et particulièrement le web, auraient possédé une ambivalence politique fondamentale : un destin ouvert que les pratiques alternatives et l’exercice critique auraient pu infléchir vers l’émancipation. Cette nostalgie structurelle procède d’une double méconnaissance : celle de la nature intrinsèquement déterminée des infrastructures technologiques, et celle de leur propre position d’énonciation institutionnelle.

Car que révèle cette complainte sinon la persistance d’un Internet-centrisme qui hypostasie l’Internet comme entité mythique, dotée d’une essence stable et d’un pouvoir déterministe ? Cette conception réifiée transforme une constellation hétérogène de protocoles, d’infrastructures et de pratiques en un objet technologique unifié, susceptible d’être détourné ou récupéré par telle ou telle force sociale. Comme si Facebook, Google, Amazon et l’ensemble de l’économie extractive des données personnelles n’avaient pas toujours été déterminés par une logique de capture et de profitabilisation qui excède infiniment les velléités critiques qui prétendent les saisir.

Tentative de remémoration : 1995, l’année de l’émergence du World Wide Web dans l’imaginaire collectif. À cet instant précis, la conscience critique lucide ne pouvait nourrir aucune illusion sur une prétendue dialectique entre les classes vectorielles et les communautés de hackers. Ces dernières apparaissaient déjà, dans leur dispersion idéologique et leur impuissance politique structurelle, comme inadéquates face à la puissance infrastructurelle détenue par les premiers. Observons Facebook aujourd’hui : cette plateforme qui transforme la présentation de soi en currency sociale, qui accumule le plus grand réservoir d’images mécaniques de l’histoire humaine, qui génère une économie secondaire d’applications twitch-and-reward fonctionnant comme des petits symbiotes. L’architecture même de Facebook ce graphe social qui simule les relations humaines pour les transformer en capital extractible révèle l’impossibilité structurelle de tout détournement émancipateur.

L’origine géopolitique américaine de ces technologies leur inscription native dans l’épistémè néolibérale ne constituait pas un accident historique, mais leur condition de possibilité même. Les tentatives européennes, notamment est-européennes, de développer des réseaux alternatifs demeuraient des curiosités exotiques : elles ne déstabilisaient nullement l’architecture globale du réseau ni sa logique intrinsèque de capture et de profitabilisation. Considérons l’évolution d’Amazon : de librairie en ligne vers cette infrastructure de tout, ce Stack qui organise désormais la logistique planétaire, des entrepôts robotisés aux services de cloud computing qui hébergent une part croissante de l’économie numérique. Comment imaginer détourner une telle infrastructure lorsque sa logique même consiste à optimiser l’extraction de surplus de valeur à partir de chaque interaction humaine ?

Plus fondamentalement, la direction historique de ces technologies était déjà scellée et la lecture heideggérienne du Gestell (l’arraisonnement techno-scientifique) ne laissait subsister aucune illusion sur leur devenir. Le Gestell « accomplit » la métaphysique en soumettant tout étant au principe de raison : rationaliser le donné et neutraliser le futur. Les technologies numériques ne représentaient qu’une radicalisation de cette logique d’arraisonnement, une extension de la calculabilité à l’ensemble du monde vécu. Observons les algorithmes de recommandation de YouTube : ils analysent les premiers mois de popularité d’une vidéo, la marquent comme très pertinente si elle maintient un buzz suffisant, puis la promeuvent en rotation intensive comme contenu populaire ou connexe. Cette relevance ranking augmente mécaniquement la popularité, générant une croissance exponentielle du viewership. Le système se nourrit de sa propre logique autoréférentielle, transformant toute production culturelle en contenu optimisé pour la capture attentionnelle.

Cette génération qui s’imagina brièvement en position d’acteur historique développa progressivement un discours critique de facture académique, espérant que l’énonciation de la vérité pourrait illuminer la conscience collective. Quelle naïveté ! La critique possède toujours quelque chose de pastoral elle s’institue comme discours d’autorité détenant une vérité qu’elle prétend diffuser par la seule force du logos. Mais examiner les mécanismes concrets de surveillance révèle l’inadéquation structurelle de cette posture. Facebook utilise désormais des algorithmes prédictifs pour identifier les utilisateurs susceptibles de commettre des crimes : le système analyse qui écrit exclusivement à des mineurs, dont les contacts sont majoritairement féminins, qui tape des mots-clés comme sexe ou rendez-vous. Les employés examinent chaque cas et signalent les utilisateurs suspects à la police. Microsoft fournit PhotoDNA, service qui scanne chaque image téléchargée pour la comparer aux bases de données du FBI. Cette surveillance algorithmique opère selon une logique prédictive : elle constitue des archives de vraies conversations ayant précédé de vraies agressions sexuelles pour identifier les signaux précurseurs.

Or, face à la matérialité de l’infrastructure cette réalité techno-économique qui excède infiniment le discours qui prétend la saisir, ces énoncés critiques n’eurent d’autre effet que de mettre en scène la domination qu’ils prétendaient dénoncer. En érigeant le système technologique en ennemi immense, à la mesure démesurée de leur discours, ils ne firent qu’augmenter sa puissance et sa présence dans l’imaginaire social. Pendant que les intellectuels débattaient de l’âme d’Internet, Google développait ses capacités de surveillance totale : tracking de chaque recherche, analyse des patterns comportementaux, anticipation prédictive des besoins et désirs. Eric Schmidt déclarait que les gens sont identiques partout et que ce serait la manière la plus simple de diriger le monde. Mark Zuckerberg évoquait sa haine profonde pour quiconque résiste à la transparence totale, affirmant que la diversité des connexions produirait automatiquement l’entente universelle.

Considérons l’exemple paradigmatique des mèmes : cette industrie du contenu viral qui transforme l’apparente spontanéité culturelle en production manufacturée. L’algorithme EdgeRank de Facebook détermine quels éléments parmi les milliers partagés par vos amis apparaîtront dans votre fil d’actualité. Le système privilégie systématiquement le contenu à haut potentiel mémétique, analysant quel type d’histoires, de quels amis, sur quels sujets, génère le plus de clics. YouTube fonctionne selon une logique similaire : maintenir artificiellement la popularité d’une vidéo pendant quelques mois suffit pour que l’algorithme la classe comme très pertinente et la promeuve massivement. L’industrie des relations publiques exploite ces mécanismes pour transformer des opérations de communication en phénomènes viraux apparemment autonomes. Les médias relaient ensuite ces nouvelles étranges venues de la communauté Internet alors qu’il s’agit de nouvelles venues des agences de relations publiques les plus créatives.

La troisième phase celle que nous traversons aujourd’hui s’avère inévitable : la désillusion mélancolique. La critique n’ayant pas porté ses fruits, la situation semblant dégénérer vers des phénomènes de domination toujours plus sophistiqués, le réseau qui promettait l’émancipation révèle sa nature d’infrastructure de surveillance et de contrôle. Des entreprises comme ECM Universe commercialisent des systèmes de surveillance de médias sociaux en temps réel qui analysent Twitter, Facebook et autres plateformes à la recherche de langage menaçant et d’indices d’alerte. Les algorithmes accumulent des archives de tweets et de mises à jour Facebook envoyés par de vrais criminels, leur permettant de prédire quels signaux verbaux apparemment inoffensifs précèdent statistiquement les actes criminels. Tweeter qu’on n’aime pas son yaourt pourrait déclencher une intervention policière si quelqu’un ayant exprimé le même dégoût trois ans auparavant a ensuite commis un meurtre.

Dès lors, la critique se mue en discours dépressif de la désillusion : nous aurions échoué à remporter la bataille dialectique. Discours temporel d’un temps antérieur rempli de promesses et déclamation d’un présent sombre. Mais cette mélancolie révèle son caractère d’idéalisme : elle présuppose que les technologies auraient pu évoluer autrement, qu’une volonté politique suffisamment organisée aurait pu infléchir leur développement. Elle ignore que Facebook peut désormais évaluer la probabilité terroriste de chaque utilisateur un hypothétique Terrorist-o-Meter analysant les livres achetés, les sites fréquentés, les connexions sociales pour générer un score de dangerosité potentielle. Même logique pour un Pedophile-o-Meter, un Drug-o-Meter, voire un Communist-o-Meter : avec suffisamment de données et les bons algorithmes, nous apparaissons tous suspects.

Ces trois moments correspondent rigoureusement aux trois âges de la vie institutionnelle : le premier est celui de l’étudiant fraîchement diplômé, persuadé de son pouvoir d’intervention sur l’histoire ; le second, celui du professeur professant sa parole depuis la chaire académique ; le troisième, celui du pré-retraité qui regrette la réalité telle qu’elle s’est actualisée. L’ensemble de ce dispositif discursif est déterminé par une structure institutionnelle spécifique. Même si ces différents acteurs eurent le sentiment de penser de façon singulière, c’est leur place dans la société et l’évolution de leur trajectoire biographique qui détermina tous ces mots, tous ces affects, toutes ces postures leur donnant l’illusion d’un individu qui aurait fait face à une totalité.

Cette analyse révèle le caractère artificiel de la séparation entre en ligne et hors ligne, entre virtuel et réel. Cette séparation ne fait que masquer la nature hybride de notre condition technologique contemporaine, où les médiations numériques sont toujours-déjà inscrites dans nos pratiques sociales. Quand les publicitaires utilisent nos données de réseaux sociaux pour personnaliser les publicités télévisées, quand Facebook vérifie quels produits nous achetons dans les supermarchés grâce aux programmes de fidélité, la distinction online/offline devient analytiquement étouffante.

La critique, en tant qu’elle échoue structurellement à transformer la réalité par le seul exercice du discours parce qu’elle inverse les rapports de causalité entre infrastructure matérielle et production symbolique, tend inexorablement vers la dépression, vers le regret, vers une réalité perçue comme manquant de quelque chose que l’on n’aurait pas su combler. Elle finit ainsi par opérer une transformation perverse : une situation de domination objective se mue en culpabilité personnelle. L’intellectuel critique s’attribue rétroactivement la responsabilité d’un échec qui n’était que l’actualisation prévisible de potentialités inscrites dans la structure même des technologies qu’il prétendait détourner.

Observons les mécanismes concrets de cette économie extractive. Clay Johnson propose un régime informationnel où chacun surveillerait sa consommation de contenus comme on surveille son alimentation. Cette rhétorique transforme le citoyen en consommateur passif incapable de s’impliquer dans les questions complexes de réforme médiatique et de politique gouvernementale. Au lieu d’exiger une radiodiffusion publique plus robuste ou de faire campagne contre la publicité négative, le consommateur est invité à passer à un site web différent si le contenu actuel manque de nutrition. Cette logique individualise les problèmes structurels : si la plupart des mesures recommandées exigent du temps ou de l’argent, ceux qui n’en disposent pas finiront scotchés aux agrégateurs comme Gawker, TMZ ou The Huffington Post. Savoir que le Wall Street Journal est plus nutritif que TMZ ne fait pas apparaître magiquement les 21,62 dollars nécessaires à l’abonnement mensuel Kindle.

L’Internet n’existe que comme blur, cloud, friend, deadline, redirect, ou 404 multiplicités hétérogènes de processus, de relations, de pannes et de dysfonctionnements. L’Internet-centrisme procède d’une opération de réification comparable à celle que déconstruisit Adrian Johns concernant la culture de l’imprimé d’Elizabeth Eisenstein. Tout comme Eisenstein hypostasiait une culture de l’imprimé dotée de propriétés intrinsèques (la fixité), les théoriciens contemporains constituent l’Internet comme entité sui generis, située au-delà de l’analyse historique conventionnelle.

Cette réification masque ce que nous pourrions nommer la condition d’Internet comme environment, non plus interface, mais milieu ambiant. L’Internet n’est plus un réseau que l’on pourrait cartographier, mais une forme de vie (et de mort) qui contient, sublime et archive toutes les formes médiatiques antérieures, ce pourquoi l’IA est son développement logique. Le networking ne consiste plus à se connecter, mais à être toujours-déjà pris dans des flux de données qui nous précèdent et nous excèdent.

L’idéologie de la fluidité et de l’interopérabilité totale cette obsession pour le frictionless sharing que Facebook érige en principe directeur procède d’une mécompréhension fondamentale de la constitution du sujet. Les scientifiques informatiques et les concepteurs technologiques, sont enclins à percevoir les barrières techniques à l’interopérabilité comme des contraintes artificielles à surmonter. Cette conviction dérive de leur engagement envers un design sans couture et interopérable qui est à la fois intellectuel et esthétique, et qui est profondément intériorisé dans la technoculture de l’informatique et de l’ingénierie.

Or, paradoxalement, nous acquérons la capacité d’ériger et de maintenir de telles contraintes autour des espaces où notre soi peut émerger avec l’aide de la privacy privacy qui, grâce à la prolifération du self-tracking, du lifelogging et de l’ubiquitous computing, se trouve désormais sous assaut constant. Les contraintes et les barrières ne sont pas des obstacles à éliminer, mais des conditions nécessaires à l’émergence de la subjectivité. Scott Peppet décrit l’émergence inéluctable du prospectus personnel : un assortiment de coffres-forts numériques peuplés de nos informations autosurveillées et vérifiées, qui médiatiseront toutes nos interactions avec les concitoyens, les entreprises et les institutions publiques.

Les refuseniks numériques qui résistent obstinément à l’ouverture d’un compte Facebook sont désormais perçus comme des individus suspects qui n’ont aucune vie sociale à signaler ou cachent un passé sombre. Après les fusillades d’Aurora en 2012, le journal allemand Der Tagesspiegel souligna que ni James Holmes ni Anders Behring Breivik n’avaient de compte Facebook, impliquant que l’absence d’activité Facebook pourrait elle-même indiquer des problèmes psychologiques. Farhad Manjoo, chroniqueur de Slate, suggéra : Si vous sortez avec quelqu’un et qu’il n’a pas de profil Facebook, vous devriez être suspicieux.

Cette mélancolie contemporaine de la critique technologique révèle finalement sa nature d’idéalisme : elle présuppose que les technologies auraient pu évoluer autrement, qu’une volonté politique suffisamment organisée aurait pu infléchir leur développement vers des fins émancipatrices. Elle ignore que les technologies ne sont jamais neutres, mais toujours-déjà inscrites dans des rapports de force spécifiques, dans des logiques économiques et géopolitiques qui déterminent leurs usages possibles. Nous assistons à l’émergence d’une nouvelle forme de souveraineté la souveraineté computationnelle qui ne peut plus être pensée selon les catégories traditionnelles. La distinction entre infrastructures Cloud et interactivité Cloud, entre tangible et virtuel, s’avère intenable : aucune distinction opératoire entre sol et eau, entre infrastructure Cloud et interactivité Cloud telle qu’elle se déploie sur un spectre allant du tangible au virtuel, ne peut survivre à un examen minutieux.

Les filtres et les algorithmes promus par les nouveaux intermédiaires numériques ne sont ni non problématiques, ni objectifs, ni naturellement supérieurs aux filtres et pratiques qui les ont précédés. Ces nouveaux filtres peuvent être plus rapides, moins chers et plus efficaces, mais vitesse, coût et efficacité ne sont que périphériquement liés aux rôles civiques que ces filtres et algorithmes joueront dans nos vies. David Weinberger se trompe profondément quand il écrit que les filtres d’Internet ne filtrent plus vers l’extérieur. Ils filtrent vers l’avant, amenant leurs résultats au premier plan. Ce qui ne passe pas à travers un filtre reste visible et disponible en arrière-plan. Soutenir que au lieu de réduire l’information et de cacher ce qui ne passe pas, les filtres augmentent maintenant l’information et révèlent toute la mer profonde revient à donner à Silicon Valley un laissez-passer moral et à céder à l’une des croyances centrales de l’Internet-centrisme.

Une critique véritablement contemporaine des technologies numériques doit abandonner à la fois l’illusion rétrospective d’un âge d’or perdu et l’espoir d’une récupération future par les forces progressistes. Elle doit s’attacher à l’analyse matérielle et située des infrastructures : câbles transocéaniques, centres de données enfouis dans les montagnes près des barrages, minéraux exotiques extraits des rivières africaines pour fabriquer les téléphones portables, algorithmes de recommandation, modalités de surveillance, formes de subjectivation induites par les interfaces. Cette analyse ne vise pas à dénoncer la domination opération qui, comme nous l’avons vu, ne fait que la renforcer, mais à cartographier précisément ses modalités d’exercice, ses points de tension, ses contradictions internes. Non plus la critique comme jugement externe, mais comme analyse immanente des processus en cours.

Face à cette situation, quelle position peut adopter la pensée qui refuse à la fois l’optimisme technologique naïf et la mélancolie critique réactive ? Peut-être celle que nous pourrions nommer passibilité : non plus la prétention à agir sur l’histoire, mais la capacité à être questionné par les événements, à se tenir par la méditation en rapport avec eux, sans neutraliser par l’explication leur pouvoir d’inquiétude. Une telle position ne renonce pas à l’analyse critique, mais refuse de lui conférer une efficacité immédiate. Elle accepte que la pensée puisse demeurer inadéquate aux transformations qu’elle tente de saisir, tout en maintenant l’exigence de lucidité qui constitue sa seule dignité possible.

Car s’il est vrai que l’Internet n’existe pas, il demeure que nous habitons ses effets, ses traces, ses déplacements et que cette habitation elle-même appelle une pensée à la hauteur de sa complexité. Une pensée qui ne prétendrait plus transformer le monde par le seul exercice du discours, mais qui s’attacherait à comprendre comment le monde nous transforme à travers les infrastructures que nous habitons sans les voir.


We must observe this generation that today deplores a supposedly “blessed era” when digital technologies, particularly the web, would have possessed fundamental political ambivalence: an open destiny that alternative practices and critical exercise could have inflected toward emancipation. This structural nostalgia proceeds from a double misrecognition: that of the intrinsically determined nature of technological infrastructures, and that of their own institutional position of enunciation.

For what does this complaint reveal if not the persistence of an Internet-centrism that hypostasizes the Internet as a mythical entity, endowed with stable essence and deterministic power? This reified conception transforms a heterogeneous constellation of protocols, infrastructures, and practices into a unified technological object, susceptible to being diverted or recuperated by this or that social force. As if Facebook, Google, Amazon, and the entire extractive economy of personal data had not always been determined by a logic of capture and profitability that infinitely exceeds the critical intentions that claim to grasp them.

Attempt at remembrance: 1995, the year of the World Wide Web’s emergence in the collective imagination. At that precise moment, lucid critical consciousness could nourish no illusion about a supposed dialectic between vectorial classes and hacker communities. The latter already appeared, in their ideological dispersion and structural political impotence, as inadequate to face the infrastructural power held by the former. Observe Facebook today: this platform that transforms self-presentation into social currency, that accumulates the largest reservoir of mechanical images in human history, that generates a secondary economy of twitch-and-reward applications functioning as small symbiotes. Facebook’s very architecture—this social graph that simulates human relations to transform them into extractible capital—reveals the structural impossibility of any emancipatory détournement.

The American geopolitical origin of these technologies—their native inscription in the neoliberal episteme—did not constitute a historical accident, but their very condition of possibility. European attempts, notably Eastern European ones, to develop alternative networks remained exotic curiosities: they destabilized neither the global architecture of the network nor its intrinsic logic of capture and profitability. Consider Amazon’s evolution: from online bookstore toward this infrastructure of everything, this Stack that now organizes planetary logistics, from robotized warehouses to cloud computing services that host a growing portion of the digital economy. How to imagine diverting such an infrastructure when its very logic consists in optimizing the extraction of surplus value from each human interaction?

More fundamentally, the historical direction of these technologies was already sealed, and the Heideggerian reading of Gestell (techno-scientific enframing) left no illusion about their becoming. Gestell “accomplishes” metaphysics by subjecting every being to the principle of reason: rationalizing the given and neutralizing the future. Digital technologies represented only a radicalization of this logic of enframing, an extension of calculability to the entire lived world. Observe YouTube’s recommendation algorithms: they analyze a video’s first months of popularity, mark it as highly relevant if it maintains sufficient buzz, then promote it in intensive rotation as popular or related content. This relevance ranking mechanically increases popularity, generating exponential growth in viewership. The system feeds on its own self-referential logic, transforming all cultural production into content optimized for attentional capture.

This generation that briefly imagined itself in the position of historical actor progressively developed a critical discourse of academic manufacture, hoping that the enunciation of truth could illuminate collective consciousness. What naivety! Criticism always possesses something pastoral—it institutes itself as discourse of authority holding a truth it claims to diffuse through the mere force of logos. But examining concrete surveillance mechanisms reveals the structural inadequacy of this posture. Facebook now uses predictive algorithms to identify users likely to commit crimes: the system analyzes who writes exclusively to minors, whose contacts are predominantly female, who types keywords like sex or date. Employees examine each case and report suspicious users to police. Microsoft provides PhotoDNA, a service that scans every uploaded image to compare it to FBI databases. This algorithmic surveillance operates according to predictive logic: it constitutes archives of real conversations that preceded real sexual assaults to identify precursor signals.

Yet, faced with the materiality of infrastructure—this techno-economic reality that infinitely exceeds the discourse that claims to grasp it—these critical statements had no effect other than staging the domination they claimed to denounce. By erecting the technological system as an immense enemy, commensurate with their excessive discourse, they only increased its power and presence in the social imagination. While intellectuals debated the soul of the Internet, Google developed its total surveillance capabilities: tracking every search, analyzing behavioral patterns, predictive anticipation of needs and desires. Eric Schmidt declared that people are identical everywhere and that this would be the simplest way to run the world. Mark Zuckerberg expressed his profound hatred for anyone who resists total transparency, claiming that diversity of connections would automatically produce universal understanding.

Consider the paradigmatic example of memes: this viral content industry that transforms apparent cultural spontaneity into manufactured production. Facebook’s EdgeRank algorithm determines which elements among the thousands shared by your friends will appear in your news feed. The system systematically privileges content with high memetic potential, analyzing what type of stories, from which friends, on what subjects, generates the most clicks. YouTube functions according to similar logic: artificially maintaining a video’s popularity for a few months suffices for the algorithm to classify it as highly relevant and promote it massively. The public relations industry exploits these mechanisms to transform communication operations into apparently autonomous viral phenomena. Media then relay these strange news items from the Internet community when they are actually news from the most creative public relations agencies.

The third phase—the one we are traversing today—proves inevitable: melancholic disillusionment. Criticism having not borne fruit, the situation seeming to degenerate toward ever more sophisticated phenomena of domination, the network that promised emancipation reveals its nature as surveillance and control infrastructure. Companies like ECM Universe commercialize real-time social media surveillance systems that analyze Twitter, Facebook, and other platforms searching for threatening language and warning signs. Algorithms accumulate archives of tweets and Facebook updates sent by real criminals, allowing them to predict which apparently harmless verbal signals statistically precede criminal acts. Tweeting that you don’t like your yogurt could trigger police intervention if someone who expressed the same disgust three years earlier subsequently committed murder.

Henceforth, criticism transforms into depressive discourse of disillusionment: we would have failed to win the dialectical battle. Temporal discourse of an anterior time filled with promises and declamation of a dark present. But this melancholy reveals its character of idealism: it presupposes that technologies could have evolved otherwise, that sufficiently organized political will could have inflected their development. It ignores that Facebook can now evaluate each user’s terrorist probability—a hypothetical Terrorist-o-Meter analyzing purchased books, frequented sites, social connections to generate a potential dangerousness score. Same logic for a Pedophile-o-Meter, a Drug-o-Meter, even a Communist-o-Meter: with sufficient data and the right algorithms, we all appear suspect.

These three moments correspond rigorously to the three ages of institutional life: the first is that of the freshly graduated student, convinced of their power to intervene in history; the second, that of the professor professing their word from the academic chair; the third, that of the pre-retiree who regrets reality as it has actualized itself. This entire discursive apparatus is determined by a specific institutional structure. Even if these different actors had the feeling of thinking singularly, it is their place in society and the evolution of their biographical trajectory that determined all these words, all these affects, all these postures—giving them the illusion of an individual who would have faced a totality.

This analysis reveals the artificial character of the separation between online and offline, between virtual and real. This separation only masks the hybrid nature of our contemporary technological condition, where digital mediations are always-already inscribed in our social practices. When advertisers use our social media data to personalize television advertisements, when Facebook verifies what products we buy in supermarkets through loyalty programs, the online/offline distinction becomes analytically stifling.

Criticism, insofar as it structurally fails to transform reality through the mere exercise of discourse—because it inverts the causal relations between material infrastructure and symbolic production—tends inexorably toward depression, toward regret, toward a reality perceived as lacking something that one would not have known how to fill. It thus ends up operating a perverse transformation: an objective situation of domination transforms into personal guilt. The critical intellectual retroactively attributes to themselves the responsibility for a failure that was only the predictable actualization of potentialities inscribed in the very structure of the technologies they claimed to divert.

Observe the concrete mechanisms of this extractive economy. Clay Johnson proposes an informational regime where each person would monitor their content consumption as one monitors one’s diet. This rhetoric transforms the citizen into a passive consumer incapable of engaging in complex questions of media reform and governmental policy. Instead of demanding more robust public broadcasting or campaigning against negative advertising, the consumer is invited to switch to a different website if current content lacks nutrition. This logic individualizes structural problems: if most recommended measures require time or money, those who lack them will end up glued to aggregators like Gawker, TMZ, or The Huffington Post. Knowing that the Wall Street Journal is more nutritious than TMZ does not magically produce the $21.62 needed for monthly Kindle subscription.

The Internet exists only as blur, cloud, friend, deadline, redirect, or 404—heterogeneous multiplicities of processes, relations, breakdowns, and dysfunctions. Internet-centrism proceeds from a reification operation comparable to that which Adrian Johns deconstructed concerning Elizabeth Eisenstein’s print culture. Just as Eisenstein hypostasized a print culture endowed with intrinsic properties (fixity), contemporary theorists constitute the Internet as sui generis entity, situated beyond conventional historical analysis.

This reification masks what we could call the condition of Internet as environment, no longer interface, but ambient milieu. The Internet is no longer a network that could be mapped, but a form of life (and death) that contains, sublimes, and archives all anterior media forms, which is why AI is its logical development. Networking no longer consists in connecting, but in being always-already caught in data flows that precede and exceed us.

The ideology of fluidity and total interoperability—this obsession with frictionless sharing that Facebook erects as directing principle—proceeds from fundamental misunderstanding of the subject’s constitution. Computer scientists and technology designers are inclined to perceive technical barriers to interoperability as artificial constraints to overcome. This conviction derives from their commitment to seamless and interoperable design that is both intellectual and aesthetic, and that is profoundly internalized in the technoculture of computing and engineering.

Yet, paradoxically, we acquire the capacity to erect and maintain such constraints around spaces where our self can emerge with the help of privacy—privacy that, thanks to the proliferation of self-tracking, lifelogging, and ubiquitous computing, now finds itself under constant assault. Constraints and barriers are not obstacles to eliminate, but necessary conditions for the emergence of subjectivity. Scott Peppet describes the ineluctable emergence of the personal prospectus: an assortment of digital vaults populated with our self-surveilled and verified information, which will mediate all our interactions with fellow citizens, businesses, and public institutions.

Digital refuseniks who obstinately resist opening a Facebook account are now perceived as suspicious individuals who have no social life to report or hide a dark past. After the Aurora shootings in 2012, the German newspaper Der Tagesspiegel noted that neither James Holmes nor Anders Behring Breivik had Facebook accounts, implying that the absence of Facebook activity could itself indicate psychological problems. Farhad Manjoo, Slate columnist, suggested: “If you’re dating someone and they don’t have a Facebook profile, you should be suspicious.”

This contemporary melancholy of technological criticism finally reveals its nature of idealism: it presupposes that technologies could have evolved otherwise, that sufficiently organized political will could have inflected their development toward emancipatory ends. It ignores that technologies are never neutral, but always-already inscribed in specific power relations, in economic and geopolitical logics that determine their possible uses. We are witnessing the emergence of a new form of sovereignty—computational sovereignty—that can no longer be thought according to traditional categories. The distinction between Cloud infrastructures and Cloud interactivity, between tangible and virtual, proves untenable: no operative distinction between soil and water, between Cloud infrastructure and Cloud interactivity as it deploys across a spectrum ranging from tangible to virtual, can survive careful examination.

The filters and algorithms promoted by new digital intermediaries are neither unproblematic, nor objective, nor naturally superior to the filters and practices that preceded them. These new filters may be faster, cheaper, and more efficient, but speed, cost, and efficiency are only peripherally related to the civic roles these filters and algorithms will play in our lives. David Weinberger is profoundly mistaken when he writes that Internet filters no longer filter outward. They filter forward, bringing their results to the foreground. What doesn’t pass through a filter remains visible and available in the background. To maintain that “instead of reducing information and hiding what doesn’t pass, filters now augment information and reveal the entire deep sea” amounts to giving Silicon Valley a moral pass and yielding to one of the central beliefs of Internet-centrism.

A truly contemporary criticism of digital technologies must abandon both the retrospective illusion of a lost golden age and the hope of future recuperation by progressive forces. It must attach itself to material and situated analysis of infrastructures: transoceanic cables, data centers buried in mountains near dams, exotic minerals extracted from African rivers to manufacture mobile phones, recommendation algorithms, surveillance modalities, forms of subjectification induced by interfaces. This analysis does not aim to denounce domination—an operation that, as we have seen, only reinforces it—but to map precisely its modalities of exercise, its tension points, its internal contradictions. No longer criticism as external judgment, but as immanent analysis of ongoing processes.

Faced with this situation, what position can thought adopt that refuses both naive technological optimism and reactive critical melancholy? Perhaps that which we could call passibility: no longer the pretension to act on history, but the capacity to be questioned by events, to maintain oneself through meditation in relation to them, without neutralizing through explanation their power of disquiet. Such a position does not renounce critical analysis, but refuses to confer immediate efficacy upon it. It accepts that thought may remain inadequate to the transformations it attempts to grasp, while maintaining the requirement of lucidity that constitutes its only possible dignity.

For if it is true that the Internet does not exist, it remains that we inhabit its effects, its traces, its displacements, and that this habitation itself calls for thought equal to its complexity. A thought that would no longer claim to transform the world through the mere exercise of discourse, but that would attach itself to understanding how the world transforms us through the infrastructures we inhabit without seeing them.