Impression

Une pièce a retenu mon attention dans l’exposition de Pîerre Clément, Transcom Primitive. Il s’agit d’une petite imprimante 3d surmontant un rack de serveur.

Pierre Clément, Temple of zoom, 2015. 19″ studio racks, plexiglass, 3D printer, styrofoam, metal, MDF, mirror, adhesive linoleum. 92 x 173 x 158 cm. Courtesy Xpo Gallery, © Pierre Clément, Photo: Vinciane Verguethen

Au premier abord, l’artifice est visible : sur le plateau de l’imprimante est disposé un volume réalisé avec une matière synthétique. L’amateur de ce type de machine sait immédiatement que ce volume n’a pas été produit par la machine, mais sans doute par une main humaine qui a tenté de reproduire un volume modélisé sur ordinateur. Pourquoi ce maladroit artifice et cette disjonction entre la cause apparente (la machine) et l’effet (la sculpture) ?

Sans doute l’artiste a-t-il réalisé la première installation qui met en scène la relation idéologique entre les technologies digitales et la sculpture, car ce dont il s’agit est plus complexe qu’il ne pourrait sembler au premier abord. Il télescope deux lieux communs sculpturaux. Tout d’abord l’introduction de la modélisation facettée en sculpture dont la forme fut donnée de façon privilégiée par Xavier Veilhan. En second lieu, l’impression 3D qui porte le fantasme d’une sculpture généralisée et à la portée de tous. En articulant ces deux formes, l’une dans la cause, l’autre dans l’effet, il dépasse l’illusion capitaliste d’une automatisation de la sculpture pour en présenter l’arrière-plan idéologique : les entreprises s’accaparent le récit de la production des formes, elles disent : « Demain vous pourrez tous créer des volumes. »

La causalité imaginée par Pierre Clément rejoue sur la scène digitale un débat antique, celui problématisé par Aristote articulant la forme et la matière : le sculpteur chercherait dans la matière une forme potentielle. La matière contient virtuellement la forme. Ce chemin fut amené à son apogée par Rodin dont les « socles » étaient de matière quasi brute dont émergeaient les corps en formation tendus vers l’équilibre. Avec le digital cette virtualité est technicisée, car c’est la modélisation elle-même (le volume facetée) qui contient toutes les sculptures possibles, c’est le logiciel qui contient la virtualité comme telle. L’imprimante 3D réalise quant à elle ce qu’on lui demande et elle plonge ses origines dans les machines autoreplicatives de Neumann. Il y a dans cette fausse production sculpturale une inversion de la causalité : l’effet (la sculpture) est la cause (le logiciel) de la machine-imprimante.

On voit là une stratégie installative qui dévoile la structure idéologique de l’impression 3D, pendant que la plupart des artistes pensent qu’en utilisant une telle machine ils vont pouvoir « réellement » libérer leur imagination et l’extérioriser. Ils ne font alors que participer au mot d’ordre du système consumériste, ce que Pierre Clément nous rappelle : l’idéologie se sculpte.