Imaginer avec le possible des réseaux de neurones
Je regarde les lignes de codes, j’essaye de les comprendre puis j’abandonne. Je suis les instructions sur github, j’ajoute des données, je change quelques paramètres et je lance l’exécution du réseau de neurones. J’attends. Je fais des tests, j’essaye de comprendre comment cela fonctionne, non pas le code, je ne suis décidément pas platonicien, mais la genèse des formes, leur évolution bruitée, ce qu’elles ne sont pas encore et ce qu’elles essayent de devenir. J’essaye de les ressentir comme si je les avais faits. Je me les approprie. Parfois j’y parviens et je peux alors voir les images qui se génèrent et m’adapter à leur rythme. Les images semblent tomber dans un mouvement laminaire, une infime vibration et d’autres formes apparaissent, la plus petite variation possible.
Il y a alors, après cette synchronisation de la perception et de l’imagination, le temps de la sélection (je pense au Cercle vicieux de Klossowski bien sûr) où je choisis certaines images pour en tirer des séries, d’autres lignes de fuite. Je fais alors un peu varier les paramètres afin d’être assez proche et suffisamment à distance, que la série prenne forme et que par elle, par la différence ressemblante entre plusieurs images, on perçoive une autre forme qui traverse différentes formes. La série est formation et c’est sans doute grâce à elle que je parviens, dans un second temps, à prendre le rythme de l’imagination artificielle par laquelle la capacité des réseaux de neurones à produire un réalisme postphotographique et ma propre capacité à être hanté, et à m’approprier ces images, se conjuguent.
Je clique, je sélectionne, j’enregistre et je complète certaines images, je les monte les unes avec les autres, je produis des couleurs pour les environner, je comble les lacunes, je créé des manques et des tensions formelles. Je me déprend en observant ce qui n’est pas moi.
L’imagination artificielle n’est pas autonome, je me lie à elle, elle est liée aux données que je lui ai fourni. Elle est comme une force de propositions à laquelle je m’adapte, à la manière d’un monde qui existe déjà, qui est là. Ce monde est la mémoire de millions d’images qui se mêlent, dont les catégories se métamorphosent pour créer une surréalité d’un genre nouveau et qui me semble être à la hauteur de l’hypermnésie du réseau qui nous poursuit depuis maintenant deux décennies. Ce nouveau réalisme qui se nourrit du photoréalisme industriel, mais qui ne le reproduit pas à l’identique, constitue peut-être le deuxième moment fondamental de ma vie d’artiste, le premier moment fut la rencontre avec les intensités anonymes du Web. En travaillant avec un réseau de neurones afin de produire des images ou des textes, je perçois combien mon imagination se développe, devient disproportionnée et germine en toutes directions. J’essaye de m’adapter à ce rythme, à ce souffle. C’est presque vivant, c’est-à-dire que cela se développe intensément d’une manière qui en même temps n’est pas totalement anticipable quant à son actualisation, mais dont le devenir répond bien à un comportement, presque une identité. Les images des réseaux de neurones ne sont pas anticipables, mais ne sont pas n’importe quoi. Peut être le vivant n’aura été que le bougé de cette silhouette et alors je ressens nom corps palpiter de la même expiration et de la même inspiration que les vibrations des processeurs de la machine. Le réalisme des possibles.
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I look at the lines of code, I try to understand them and then I give up. I follow the instructions, add data, change some parameters and start the neural network execution. I do tests, I try to understand how it works, not the code, I’m definitely not platonic, but the genesis of the forms, their evolution, what they are not yet and what they are trying to become. I try to feel them as if I made them. I make them my own. Sometimes I manage to do that and then I can see the images that are generated and adapt to their rhythm. The images seem to fall in a laminar movement, a tiny vibration and other forms appear, the smallest possible variation.
There is then, after this synchronization of perception and imagination, the time of selection (I am thinking of Klossowski’s Vicious Circle of course) where I choose certain images to draw series, other lines of flight. I then vary the parameters very little in order to be close enough and far enough away, so that the series takes shape and that through it, through the resembling difference between several images, one perceives another shape that crosses different forms. The series is training and it is probably thanks to it that I manage, in a second step, to take the rhythm of the artificial imagination by which the capacity of neural networks to produce a post-photographic realism and my own capacity to be haunted, and to appropriate these images, are combined.
I click, select, record and complete certain images, edit them with each other, produce colors to surround them, fill in gaps, create formal lacks and tensions.
Artificial imagination is not autonomous, I link myself to it. It is like a force of proposal to which I adapt, in the manner of a world that already exists, that is there. This world is the memory of millions of images that mingle, whose categories metamorphose to create a surreality of a new kind and which seems to me to be up to the hypermagnesia of the network that has been pursuing us for two decades now. This new realism that feeds on industrial photorealism, but does not reproduce it identically, is perhaps the second fundamental moment in my life as an artist. The first moment was the encounter with the anonymous intensities of the Web. Working with a neural network to produce images or texts, I perceive how my imagination develops, becomes disproportionate and germinates in all directions. I try to adapt to this rhythm, to this breath. It’s almost alive, that is to say that it develops intensely in a way that at the same time is not totally anticipable as to its actualization, but whose becoming responds well to a behavior, almost an identity. The images of neural networks are not anticipable, but they are not just anything. Perhaps the living will have only been the movement of this silhouette and then I feel my body pulsating with the same exhalation and inspiration as the vibrations of the machine’s processors. The realism of the possibles.