Identitarisme et mondialisation

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L’identitarisme s’est accru ces dernières années. Il prend des formes diverses et en apparence opposées. Certaines identités sont sexuelles d’autres religieuses, nationales, universalistes ou laïques. Au-delà de leurs différences, on ne peut que souligner une globalisation des revendications identitaires par exemple dans le champ de l’art contemporain (en occultant souvent les inégalités sociales qui semblent condenser plusieurs paramètres).

Telle exposition s’intéresse au queer, à l’Islam ou aux Caraïbes. Que la localisation ait toujours été déterminante pour recontextualiser les créations artistiques cela ne fait aucun doute, mais ce qui importe est la généralisation de telles localités, non seulement dans le champ spatial, mais aussi politique, religieux et sexuel, précisément au moment où les frontières semblent être mises en cause par la mondialisation économique et culturelle.

Il y a quelque chose de paradoxal, par exemple dans le domaine sexuel, à faire des identités une typologie artistique. Chacun est alors renvoyé, explicitement ou implicitement, à sa prétendue identité sexuelle, identité qui rassemble elle-même des gens forts différents. La détermination sexuelle est alors considérée comme importante selon le raisonnement suivant : certains types sexuels ont été dominés, pour y résister il faut s’affirmer et être, comme on dit, fier. Bref, ne plus dissimuler discrètement l’objet de la discorde, mais le souligner afin de confronter la domination à son caractère arbitraire. Toutefois, la conséquence qu’on tire a des effets pervers. En effet, sans le vouloir, on confirme la domination parce qu’on accepte les catégories que celle-ci a érigées, même si on les fait passer d’une évaluation négative à positive. On a beau changer le contenu de la domination, celle-ci persiste parce qu’on a pas compris que son contenu réel est la catégorisation comme telle, non le contenu de cette catégorisation. Ainsi, on a beau troubler les identités, comme dans le cas du queer, on finit par reconstituer une catégorie identitaire et par reconduire la domination.

La réponse face à cet identitarisme dont on craint certains effets ne peut être l’universalisme occidental, tant celui-ci a voilé, dans le contexte du colonialisme, une exploitation implicite (ceux qui appartiennent à l’universalité, ceux qui n’y appartiennent pas, l’universalité n’étant pas elle-même universelle, Balibar) et constitue aujourd’hui une force de répression. Cette réponse pourrait être l’anonymat, c’est-à-dire une indétermination fondamentale. Car ce qui présuppose toujours l’identitarisme c’est de savoir ce qu’il est, c’est la complète maîtrise de son identité et du rapport de soi à soi. En ce sens l’identitarisme est une conséquence logique du développement de la subjectivité conjointe à celle de la globalisation : l’idée d’un sujet souverain. Si l’identitarisme affirme son identité, c’est qu’il croit en avoir une.

Il s’agirait alors de renverser le rapport entre l’anonymat indéterminé et l’identité. Ce n’est pas le premier qui vient troubler après-coup le second qui en serait le fondement. Quand on est « paumé », on estime que quelque chose de construit s’est déconstruit et on cherche à rétablir l’équilibre antérieur. Mais si on pense au contraire que la structure primaire est l’anonymat et que secondairement l’identité tente de stabiliser un édifice qui semblait trop fragile en lui donnant un contenu identifiable, alors le schéma change du tout au tout. Il n’y a pas de naturalité de l’identité, elle est le fruit d’une construction. On comprend mieux aussi comment toute identité, aussi inévitable soit-elle, constitue une force de répression de l’anonymat parce que le fondement (infondable) de celui-ci est l’impulsionnel (Klossowski), c’est-à-dire la pulsion dans sa forme la plus indéterminée et fluide. Il est en ce sens absurde et contre-productif d’opposer à une identité dominante une autre identité, de faire front contre front. Il faut s’attaquer aux racines du problème, à son fondement qui est la catégorie même d’identité dont l’enjeu est de donner un objet à l’impulsionnel qui n’en a pas. L’identité c’est l’unité fictive du sujet qui lui permet de s’autofonder et d’oublier l’indéterminé qu’il est, qu’il n’est rien d’autre précisément que cette indétermination qui l’excède et le jette au dehors. Il faudrait parler d’indéterminable, l’indéterminé pouvant faire penser que la détermination viendra plus tard. Pour lutter activement contre les discriminations, il s’agit de développer la solidarité des anonymes, leur empathie indéterminée humaine et extrahumaine. Nous n’avons jamais rien ressenti d’autre que l’émotion de cette contingence d’être humain, vivant, matière, quelque part dans la nuit du cosmos.

Identity politics has increased in recent years. It takes diverse and seemingly opposite forms. Some identities are sexual, others religious, national, universalist or secular. Beyond their differences, we can only underline a globalization of identity claims, for example in the field of contemporary art (often ignoring the social inequalities that seem to condense several parameters).

Such an exhibition is interested in queer, Islam or the Caribbean. That location has always been a determining factor in recontextualizing artistic creations is not in doubt, but what is important is the generalization of such localities, not only in the spatial field, but also in the political, religious and sexual fields, precisely at a time when borders seem to be challenged by economic and cultural globalization.

There is something paradoxical, for example in the sexual field, in making identities an artistic typology. Everyone is then referred, explicitly or implicitly, to his or her so-called sexual identity, an identity that itself brings together very different people. The sexual determination is then considered as important according to the following reasoning: certain sexual types were dominated, to resist it it is necessary to assert itself and to be, as one says, proud. In short, the object of discord should no longer be discreetly concealed, but emphasized in order to confront domination with its arbitrariness. However, the consequence that one draws has perverse effects. Indeed, without wanting it, one confirms domination because one accepts the categories that this one set up, even if one changes them from a negative to a positive evaluation. No matter how much we change the content of domination, it persists because we have not understood that its real content is the categorization as such, not the content of this categorization. Thus, we can disturb identities, as in the case of queer, but we always end up reconstituting an identity category and reconducting domination.

The answer to this identityism, the effects of which are feared, cannot be Western universalism, as this has veiled, in the context of colonialism, an implicit exploitation (those who belong to universality, those who do not, universality not being itself universal, Balibar) and constitutes today a force of repression. This answer could be anonymity, that is to say a fundamental indeterminacy. For what always presupposes identitarianism is to know what it is, it is the complete mastery of one’s identity and of the relation of self to self. In this sense, identitarianism is a logical consequence of the development of subjectivity together with that of globalization: the idea of a sovereign subject. If identitarianism asserts its identity, it is because it believes it has one.

It would then be a question of reversing the relationship between indeterminate anonymity and identity. It is not the first one which comes to disturb afterwards the second one which would be the foundation of it. When one is “lost”, one considers that something constructed has been deconstructed and one seeks to restore the previous balance. But if we think, on the contrary, that the primary structure is anonymity and that, secondarily, identity tries to stabilize an edifice that seemed too fragile by giving it an identifiable content, then the pattern changes completely. There is no naturalness of identity, it is the fruit of a construction. One also understands better how any identity, however inevitable it is, constitutes a force of repression of the anonymity because the (unfoundable) foundation of this one is the impulse (Klossowski), that is to say the drive in its most indeterminate and fluid form. It is in this sense absurd and counterproductive to oppose to a dominant identity another identity, to make front against front. It is necessary to attack the roots of the problem, to its foundation which is the very category of identity whose stake is to give an object to the impulsive which does not have any. Identity is the fictitious unity of the subject that allows him to found himself and to forget the indeterminate that he is, that he is nothing else precisely than this indeterminacy that exceeds him and throws him outside. We should speak of the indeterminable, the indeterminate being able to make us think that determination will come later. To fight actively against discriminations, it is a question of developing the solidarity of the anonymous, their indeterminate human and extra-human empathy. We have never felt anything other than the emotion of this contingency of being human, living, matter, somewhere in the night of the cosmos.