La ville qui n’existait pas 1 (1895-1971) — Le Havre, FR
“Au delà des murs de votre chambre, que vous percevez en ce moment, il y a les chambres voisines, puis le reste de la maison, enfin la rue et la ville ou vous demeurez.”
(Henri Bergson, Matière et mémoire, 178)
Le Havre a été détruit en septembre 1944 puis reconstruit de manière planifiée entre 1945 et 1964 par Auguste Perret. Ces événements ont créé l’identité paradoxale de la ville à partir d’une histoire lacunaire, recouverte, sédimentée. Sous le sol, il y a sans doute des vestiges et des souvenirs oubliés, une absence qui a laissé des traces. L’histoire est le produit de cet incessant parcours entre la destruction et la reconstruction, la mémoire et l’oubli.
Ce premier épisode du triptyque « La ville qui n’existait pas », une utopie imaginée par Grégory Chatonsky. Grâce à des intelligences artificielles alimentées par le fonds d’archives photographiques de la ville, l’artiste a créé des images d’une ville qui ressemble étrangement au Havre. On y retrouve des lieux et des personnages, des bâtiments, mais dans des versions alternatives qui racontent l’histoire d’un monde légèrement différent comme si la réalité entière avait subi une légère inclinaison et empruntée un autre chemin que celui que nous connaissons.
Sur 25 murs de bâtiments du bailleur social Alcéane, des fresques partants d’archives photographiques, antérieures à la destruction de la ville, reconstruisent des paysages baroques, où l’infiniment petit cotoye l’immense, racontant par ce changement d’échelle une autre révolution industrielle dans laquelle la nature et la technique ne seraient pas séparées, où les racines et les tuyaux seraient mêlés et où la pollution et les déchets se mélangeraient aux paysages en revenant au lent travail d’érosion de la Terre.
Réparties dans différents quartiers du Havre (Bléville, Les Neiges, Aplemont-Frileuse, Saint François, Caucriauville, etc.) ces fresques d’adressent aux habitants et mêlent le passé des archives, le présent des documents et le futur imaginé par les intelligences artificielles, comme s’il fallait en passer par la déconstruction et la réparation du passé pour réouvrir l’avenir. Chacune de ces fresques est une fenêtre sur un autre monde, une ville imaginaire qui revisite notre histoire et qui nous dit ce qu’elle aurait pu être, ce qu’elle pourrait être à l’avenir si nous nous émancipions des chaînes de la causalité.
http://chatonsky.net/havre-1895-1944/
Dans différents bâtiments administratifs, d’autres photographies générées par une IA, produisent des versions alternatives et en ruines des lieux d’attente et de loisirs, adaptant la fameuse « Vue de la Grande Galerie du Louvre en ruine » d’Hubert Robert.
http://chatonsky.net/havre-1971/
L’artiste a voulu associer ce travail à une réflexion sur la rareté de l’œuvre d’art et à un large public en créant automatiquement une série infinie de cartes postales uniques représentant les gestes et les habitudes des habitants de ce Havre alternatif entre les années 50 et 70. S’y imagine une autre histoire : un peuple qui attend sur les rivages des formes abstraites et qui les ramenant sur la terre ferme en fait le centre de leur socialité, lisant, dormant, dansant autour. De carte en carte, une narration se dessine qui formera le fondement du second épisode, l’année prochaine.
http://chatonsky.net/havre-1945-1970/
Un catalogue monographique produit par le groupe Partouche documente cette première année.