Ma/My fragile technique
Ma vie d’artiste est indissociable d’une existence technique, et ma production elle-même ne cesse d’opérer des allers-retours entre mon caractère humain et technique au point où les deux sont inséparables. Mais il ne s’agit pas, dans cet appareillement, d’une augmentation de puissance, d’agentivité, c’est-à-dire d’une extension prométhéenne qui viendrait accroitre ou suppléer à la finitude de mon corps, enfin réapproprié. Il s’agit au contraire d’un approfondissement de ma finitude au sens d’une exposition ou d’une expérimentation toujours plus grande de l’hétéronomie relationnelle : j’influe sur la technique qui influe sur moi, à l’infini de ma finitude donc, sur l’épiderme, tout en surface.
C’est pourquoi ma relation à la technique n’est pas de maitrise, mais d’abandon et d’incompétence. Cette imperfection de mon savoir-faire me permet de dériver, d’échouer, d’échouer encore et d’essayer. C’est elle qui fait entrer la pensée dans la technique lorsque celle-ci est rendue visible par son dysfonctionnement. Elle permet d’éviter la fétichisation des objets si fréquente dans l’art contemporain où on semble vouloir combler l’impensé de la technique instrumentale par son esthétisation.
Si le récit dominant de la technique en Occident est celui de la surpuissance (et de son échec comme punition), mon expérience artistique de la technique est celle d’une intensification de la fragilité. Écrivant avec une IA, je ne suis pas excité par une surpuissance, mais par une faiblesse qui m’expose à l’altérité matérielle nommée technique, cette altérité venant paradoxalement des êtres humains, mais les déterminant autant qu’ils la déterminent. Je suis moins stimulé par ce que j’écris que parce que ça écrit, face à moi, quand j’en suis le spectateur passible.
Cette imperfection de la technique est passibilité, ouverture à, exposition à. Non pas vers un Évènement que certains philosophes agitent plus d’un point de vue logique qu’esthétique, mais vers une occurrence aussi minime soit-elle. La technique ne produit pas de grands évènements, les grands récits sont ridicules et vulgaires, ceux du transhumanisme comme les autres, mais la surprise qu’il y ait encore quelque chose, pas grand-chose, plutôt que rien, comme la palpitation résonante d’une matière.
Mon expérience de la technique est donc déficiente, fragile, émotionnelle et finie. Elle est bordée par l’infini qui lui donne sa limite comme son espacement. Une technique charrie tout un monde, une stratification historique, des histoires. C’est cette fragilité de la mise en contact, lorsque je ne sais plus qui je suis sans me perdre, quand quelque chose d’autre que moi advient par mes limites, qu’une forme commence à émerger, à peine, une forme que j’ai désiré sans la vouloir.
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My life of artist is indissociable of a technical existence, and my production itself does not cease to operate back and forth between my human and technical character to the point where the two are inseparable. But it is not a question, in this equipment, of an increase of power, of agentivity, that is to say of a Promethean extension which would come to increase or to supplement my finitude of my body, finally reappropriated. It is on the contrary a deepening of my finitude in the sense of an exposure or an experimentation always bigger of the relational heteronomy: I influence on the technique that influences on me, to the infinity of my finitude therefore, on the epidermis, all in surface.
This is why my relation to the technique is not of mastery, but of abandonment and incompetence. This imperfection of my know-how allows me to drift, to fail, to fail again and to try. It is this imperfection that brings thought into the technique when it is made visible by its dysfunction. It allows to avoid the fetishization of the objects so frequent in the contemporary art where we seem to want to fill the unthought of the instrumental technique by its aestheticization.
If the dominant narrative of technique in the West is that of overpowering (and its failure as punishment), my artistic experience of technique is that of an intensification of fragility. Writing with an AI, I am not excited by an over-power, but by a weakness that exposes me to the material otherness named technique, this otherness coming paradoxically from human beings, but determining them as much as they determine it. I am less stimulated by what I write than because it writes, in front of me, when I am the passive spectator.
This imperfection of the technique is passibility, opening to, exposure to. Not towards an Event that some philosophers agitate more from a logical point of view than from an aesthetic one, but towards an occurrence as minimal as it is. The technique does not produce great events, the great narratives are ridiculous and vulgar, those of the transhumanism like the others, but the surprise that there is still something, not much, rather than nothing, like the resonant palpitation of a matter.
My experience of the technique is thus deficient, fragile and finite. It is bordered by the infinite which gives it its limit like its spacing. It is this fragility of the setting in contact, when I do not know any more who I am without losing myself, when something other than me arrives by my limits, that a form begins to emerge, hardly, a form that I desired without wanting it.