Fragile cruauté

Ce qui frappe toujours avec les vidéos diffusées par Boston Dynamics c’est le mélange de fragilité et de cruauté.

Fragilité des machines qui trébuchent dans la neige et reprennent leur équilibre, exhibant par ce rééquilibrage un semblant d’intentionnalité. Émotion grotesque face au comique de cette chute annoncée. Fragilité face à un élément naturel, la neige, ou face à la cruauté de l’homme. Car il y a souvent dans ces démos, un être humain qui tente de faire trébucher le robot qui tombe et se relève ou qui parvient à résister à la gravité et qui se reprend.

Bien sûr, ces images jouent sur une empathie envers les machines, car le coup porté, qu’il soit avec le pied ou une crosse de hockey, est violent. S’il était porté à un être humain, il serait considéré comme un acte gratuit de barbarie. Ce qui nous touche encore plus est le caractère obstiné de la machine, le fait qu’elle ne réagit pas aux coups, elle ne se défend pas. Elle se relève, rien de plus. Alors même si le robot, dans l’image de fin, prend la porte et s’en va, semblant vivre dans un conte cruel où après avoir été martyrisé par ses parents non biologiques, il part vivre sa vie dehors, il est comme soumis et acéphale. On ne comprend pas la cruauté humaine, on se sent du côté de la machine, et c’est justement en ce point que la capture de l’imaginaire est à l’œuvre. Parvenir à produire une telle empathie par rapport à un artefact, c’est réaliser une grande partie de travail d’animation de la machine et parvenir à lui insuffler un souffle de vie. L’anima est ici fonction de notre sentimentalité qui produit des projections, des identifications et des affects : nous sommes du côté du robot.

La fragilité de celui-ci est une force argumentaire qui produit une certaine image du vivant : le vivant c’est ce qui est soumis à la cruauté et ce qui ne se révoltera pas, même si l’imaginaire de la révolte robotique est omniprésente. Figure du travailleur contemporain qui est soumis aux pires cruautés. La stratégie de l’innovation ne consiste pas à développer de façon neutre des artefacts, mais à les investir d’affects dans la mesure où ces techniques sont des surfaces projectives qui permettent les investissements, ceux-ci augmentant leur puissance opérationnelle.