Tra(ns)duction perçue ou l’amplification des machines

La tra(ns)duction est le concept utilisé pour désigner le mode de fonctionnement d’un programme ou la communication entre deux machines. L’ordinateur est une machine à traduire et une machine transductive qui répand de proche en proche des flux se transformant tout en gardant des traces de ce qui précède.

L’une des difficultés majeures des arts numériques est de rendre sensible cette tra(ns)duction. Combien d’oeuvres mobilisant des technologies complexes pour un résultat insensible ? Combien de propositions où on peine à percevoir la causalité, le mode de fonctionnement, la tra(ns)duction? Combien de déception ? Combien de travaux où il semble plus intéressant de les avoir fait que de les sentir? Combien de petites explications pédagogiques jetant un doute sur le caractère esthétique, entendez perceptible, d’un travail ? Et personne, pas plus moi que les autres, ne peut se départir de ces questions.

La tra(ns)duction se développe sur deux pôles, interne et externe. Nous les distinguerons par commodité conceptuelle, mais dans les faits ce sont des polarités qui se mélangent, communiquent, s’échangent parfois.

Le pôle interne privilégie la traduction, par exemple un texte traduit en image ou encore un texte découpé (split) en mots grâce à un séparateur quelconque. L’interne suppose l’usage de composant et d’un langage de programmation que l’on peut rendre sensible par amplification. L’amplification est active ou passive, c’est un concept central de l’esthétique électronique, car un composant est toujours de quelque manière que ce soit un système qui amplifie un signal. Pour le composant on pourra amplifier le son (par exemple d’un disque dur) ou amplifier en décodant des signaux (par exemple des LED pour les boucles d’un programme). L’amplification de la traduction interne est à son tour une traduction. Esthétiquement, la traduction est toujours répétée pour être perçue.

Pour le pôle externe, on peut parler de transduction dans le sens d’une mise en réseau différentielle des données. Par exemple la communication entre deux machines. Le passage d’une machine à une autre est souvent un élément essentiel de transformation entre le langage et la perception dans un dispositif numérique, par exemple une machine s’occupant de récupérer des textes sur le réseau et une autre machine pilotant la diffusion de médias au regard du traitement textuel. Afin de rendre sensible cette transduction, on peut se reposer sur l’élément concret de celle-ci. Cet élément est le fil ou plus exactement les fils (il y a toujours plus d’un fil). Les fils que nous avons une tendance naturelle à oublier ou même à occulter (par des caches-fils), mais qui pourtant sont un élément matériel de transduction (par exemple un fil Ethernet). Fils sur lesquels se déposent jour après jour la poussière, les restes de notre matière. On amplifiera aussi la présence des fils en les rendant visibles (par de la peinture, par la mise en scène, par la disposition, etc.) Les technologies sans fil ne nous semblent pas se dérober à la logique transductive dans la mesure où il s’agit toujours de communiquer des données d’un point A à un point B. On pourra donc dans le cas du wireless amplifier également la perception de la transduction en utilisant des composants signalant la communication d’un signal, clignotant, vibrant, inscrivant une marque quelconque et dérivée de ce qui a eu lieu dans la tra(ns)duction.

Cette attention portée aux fils, aux composants, est une manière de questionner l’esthétique de l’inattention remarquablement thématisée par Jonathan Crary quant à ses origines historiques et épistémologiques. L’inattention, concept bien plus performant que celui d’immersion, est une manière d’oublier la tra(ns)duction technologique, c’est-à-dire les structures de communication, de transformation, d’induction, de conversion multiples et stratifiées. Nous y sommes inattentifs afin de ne pas nous embarrasser dans la fixation d’un usage instrumental. Notre visée est l’utilisation. La production esthétique peut être à même de faire un retour vers une phénoménologie de la tra(ns)duction, d’attirer l’attention sur les détails, les mécanismes, les fonctionnements. Cette attention portée vers ces éléments ne relève pas d’un désir de monstration purement technologique (la machine pour la machine) mais d’une esthétique du détail, du rien, du reste, de ce qui est de côté. En amplifiant esthétiquement les lieux de la tra(ns)duction, il s’agit moins de reconstruire le fil d’une instrumentalité conçue intentionnellement (cause efficiente) que questionner cette instrumentalité même.

L’imagination est par définition technologique, agencement d’une tekhne et d’un logos, une attention portée à ce qui reste d’une activité : les fils d’un ordinateur comme les éclats d’un silex.