Dans les flots (colloque fictions, immersions et univers virtuels / Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne)
L’IMMERSION NUMÉRIQUE COMME HISTORICITÉ
Je voudrais vous exposer cette étrange opposition d’un artiste à un mot, cette compagnie si particulière, la façon dont elle a circulé dans mon travail qui en fut peut être la symptomatologie. Sans doute ai-je investigé la 3D en temps réel avec Revenances (1999), la fiction dite interactive avec Sous Terre (2000) et Sur Terre (2005), le tact avec Se toucher toi (2004), les détournement de flux en tout genre et les mashups avec Incident.net depuis 1994 pour tracer une voie parallèle à cette esthétique de l’immersion, une voie plus fragile et infime laissant de l’espacement et des vacuités. Je ne souhaite pas réformer (reformer) ce concept, le sauver en l’affinant, en le modérant, en lui associant un peu de distanciation, d’émersion comme un aller-retour entre deux postures, dedans puis dehors puis dedans, virtuel puis réel puis virtuel, mais plutôt le déconstruire, pièce par pièce. Le temps qui m’est accordé ici n’y suffira bien sûr pas. J’espère simplement commencer à emprunter ce chemin en votre compagnie.
Vous l’aurez compris je vais vous parler de l’immersion dans les arts numériques et on ne peut la comprendre me semble-t-il qu’en prenant en compte son histoire, dont le climax fut l’incroyable engouement dont il fut l’objet entre les années 80 et 90, puis sa relative occultation dans les années 2000, puis son retour (annoncé par ce colloque?). Dedans, dehors, dedans là encore. L’immersion est un concept qui appartient à un certain moment historique de la réflexion sur les arts numériques. Est-ce un outil encore d’actualité pour aborder la complexité de nos expériences numériques? L’immersion revient-elle parce que les moyens technologiques ayant évolués, nos expériences sont enfin à la hauteur des promesses qui n’avaient pas été tenu? L’immersion se réalise-t-elle enfin par la 3D en temps réel, l’impact toujours plus puissant des jeux vidéos, les capteurs de type Kinect, etc? Ou est-ce simplement que nous n’arrivons pas encore à nous débarrasser de nos vieux rêves d’un art total, d’une perception absolue et sans médiation, de nos croyances d’émancipation technologique?
Une phrase de Bergson me servira de fil conducteur : « Il n’y a jamais pour nous d’instantané. »1. Gardons cette phrase proche de nous, toute proche.
UNE TECHNOLOGIE QUI N’A PAS EU LIEU
On rencontre parfois des concepts au détour d’une époque. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la réalité virtuelle en 87-88, les journalistes et les théoriciens ne cessaient de parler d’immersion. C’était là le concept principal pour décrire le sentiment que cette technologie révolutionnaire était censée provoquer en chacun d’entre nous. Par immersion on entendait alors deux choses, tout d’abord le choc d’une perception pure et sans médiation. S’immerger c’était entrer totalement dans l’image virtuelle, oublier les bords de cette image, sa limitation perceptuelle, s’y plonger bel et bien. On nous promettait une expérience comme jamais nous n’en avions eu. Non pas le doute fragile de l’art, le semblant de ces perceptions inframinces, mais une perception totale, massive et absolue. Sa seconde caractéristique était la promesse de l’oubli du monde. La réalité virtuelle allait effacer purement et simplement les limites ontologiques entre le réel et la fiction. Il y avait alors le sentiment de tenir un art autant qu’une technologie qui réaliseraient enfin le destin de l’art, qui en acheverait l’histoire en matérialisant ce qui n’avait été alors que potentialités et promesses. Ce fut une époque d’expériences en toutes directions, celle des grandes installations de Jeffrey Shaw comme EVE par exemple, des Caves, et la fondation d’immenses centres de recherche tels que le ZKM à la hauteur de ces enjeux métaphysiques.
Or l’immersion, je crois ne fut jamais réalisée, mais toujours promisse. C’est ce qui en fait un concept messianique et ce qui en explique le succès médiatique et populaire. Nous voulions tant y croire. Lorsqu’on expérimentait un de ces dispositifs, on sentait surtout le dispositif. Il y avait une certaine beautée à cette matérialité de la technologie qui ne parvenait pas à se faire oublier. Rien de plus pesant qu’un visiocasque. Rien de moins intuitif qu’un gant de données. Rien de moins résistant qu’un bras de force retour. Fallait-il mieux s’immerger dans Osmose de Char Davies ou regarder du dehors les spectateurs immergés dans cette installation? L’immersion était moins une expérience esthétique qu’un objet théorique et malgré les différences entre Philippe Quéau, Pierre Lévy, Paul Virilio ou Jean Baudrillard qui dominaient alors la scène française, chacun avait en commun une certaine tonalité, disons même une affectivité, que j’avais nommé, à la suite de Jacques Derrida, l’enthousiasme conjuratoire. L’immersion était en même temps un objet de joie et de crainte. La conjuration est ambivalente, elle conjure à venir (ou à revenir) et se conjure pour que justement ce qu’elle veut voir venir (ou revenir) ne revienne surtout pas. La conjuration efface ses traces pour les faire remarquer plus encore. Il y avait dans l’immersion quelque chose de la présence spectrale, et c’est pourquoi je ne suis pas étonné de la voir revenir à présent selon une logique nostalgique qui saute une génération (le vintage des 80’s). Lorsqu’on avance dans le couloir obscur de Gary Hill dans Tall Ship (1996), on voit des présences furtives qui s’approchent, se détournent, quelque chose ou quelqu’un nous échappe.
Au travers d’un langage théorico-journalistique, l’immersion promettait donc une perception enfin réconciliée avec elle-même, libérée du dédoublement de l’auto-perception, une extase absolue du simulacre rendu à lui-même: être contemporain de soi, finalement. Au moment même ou on annonçait cet incroyable, on frissonnait des risques encourus par cette schizophrénie galopante: comment revenir au réel? Comment retrouver le chemin de la maison et de l’enracinement? Il y avait le discours halluciné d’une extase et on sentait bien que celle-ci concernait plus la théorie que l’art, la théorie rêvant l’art, un art enfin réalisé et mis à mort. Fichte a analysé cet affect d’absolu de la pensée, son caractère illusoire, réversible et mortifère. L’immersion c’était un peu un usage dialectique de la raison appliqué au domaine artistique. Ceci eu bien sûr comme conséquence un discours extrêmement emphatique, et quand je relis Howard Rheingold je souris un peu devant tant de naïveté platonicienne, devant tant de promesses quant à la fin de l’art (dans le double sens du terme). Je crois que ce discours somme toute assez prétentieux a décrédibilisé l’art numérique. Feed de Kurt Hentschläger est ce choc immersif, le désir d’une viscéralité absolue, d’une perception pure délivrée de la pensée, et c’est justement cela qui en fait un objet strictement théorique. On signe une décharge (attention danger!), on entre dans un espace surchargé de fumée et de palpitations stroboscopiques. Il y a quelque chose de la farce et attrape, de Coney Island, de la sensation forte provoquée par la stimulation physiologique dont Jonathan Crary a retracé la généologie dans L’art de l’observateur et Les suspensions de la perception.
L’INTERRUPTION
Pourquoi suis-je critique quant à l’immersion virtuelle? On pourrait me répondre que les moyens technologiques n’étaient pas encore prêt il y a vingt ans, mais qu’avec l’augmentation des résolutions graphiques, la généralisation de la 3D dans le cinéma industriel, le son spatialisé, la gestualité de l’iPad et de la Wii, que sais-je encore, tout cela est maintenant possible, à portée de main, aujourd’hui, demain, après-demain, un jour, il faut s’y préparer, coûte que coûte. Mais je crois que l’immersion n’est pas un concept neutre. L’immersion fait une double erreur, tant dans sa compréhension implicite des technologies que dans celle de la perception. Elle suppose en effet une technologie se faisant oublier et à cette fin qui doit fonctionner sans accroc ni interruption. L’immersion conçoit la technique selon une visée instrumentale qui a été largement critiquée depuis Heidegger. Il n’y a pas lieu de revenir là-dessus, car notre expérience de la technique est incidentelle. L’accident, le bug, l’arrêt, l’attente ne sont pas en dehors de l’essence de la technique mais remettent peut être en cause la possibilité même d’une essence de celle-ci, d’une adéquation entre sa définition et son extension. Bernard Stiegler a problématisé ce défaut dans les deux premiers tomes de La technique et le temps. Vous le savez sans doute, l’incident signe l’effondrement du réseau de renvois instrumentaux. Les technologies ne peuvent s’oublier dans leur usage parce que ce dernier est turbulent et discontinu de sorte que l’immersion dans ce type de dispositif ne peut être complet. La promesse immersive c’est en arrière-plan une autre promesse: des technologies fonctionnant sans faille, sans arrêt, sans fragilité. Or, quelque chose s’interrompt dans les technologies, et cette interruption, je vous l’assure, est à l’opposé de la fin promise par l’immersion.
Je suis en train d’écrire ce texte pour une conférence à Paris. On pourrait croire que je m’immerge dans les flux croisés de mes pensées et de ma frappe au clavier. Brutalement Open Office plante. Mes mains se crispent, ma respiration devient irrégulière. Je relance le logiciel qui ne récupère rien. Je fouille désespérément dans le dossier TMP, rien. Rien, je dois donc réécrire ce texte. Mais que signifie ici réécrire? Quelle est cette seconde fois? Je ne peux ni l’écrire à neuf, il a déjà eu lieu, ni le réécrire, puisqu’il a été perdu. Je suis donc devant une double impossibilité temporelle, le passé et le futur du texte s’engorgent dans la succession des maintenants, et celle-ci est un cercle, celui-là même de notre relation perceptive aux technologies. Ce n’est pas une immersion et une émersion, une entrée et une sortie, la preuve de l’entrée fait toujours défaut, elle est raturée par la sortie qui prend conscience d’un état qui s’est déjà évanoui, c’est l’ordre même d’une palpitation. La technique fonctionne ET ne fonctionne pas. Nous y sommes ET nous n’y sommes pas. Peut-être faudrait-il remplacer le ET par une copule. Le « y être » est bien sûr produit par cet état vibratoire qui est une différence de différence. La position fonctionnaliste est intenable, tout simplement.
Je voudrais vous faire sentir cette double impossibilité, ou plutôt vous la faire re-ssentir puisque je pense que nous partageons tous cette expérience de l’incident. Je souhaiterais tout particulièrement que nous puissions lier cette expérience de la technique à l’expérience même de notre perception pour faire émerger une techno-anthropologie. Car ce cercle de la tekhné est-il sans rapport avec la duplicité de la perception? Dans Différence et répétition (1969) Deleuze (que j’hésite à citer depuis quelques années) parlait du sens intime: «Si bien que la spontanéité dont j’ai conscience dans le Je pense ne peut pas être comprise comme l’attribut d’un être substantiel et spontané, mais seulement comme l’affection d’un moi passif qui sent que sa propre pensée, sa propre intelligence, ce par quoi il dit JE, s’exerce en lui et sur lui, non pas par lui. Commence alors une longue histoire inépuisable : JE est un autre, ou le paradoxe du sens intime. »2. L’immersion suppose toujours la possibilité, fut-elle à jamais suspendue et hypothétique, d’une perception pure, directe, fusionnelle, l’illusion du grand tout, du réel enfin réconcilié. Or nulle perception sans mémoire, nulle perception sans autoperception, sans autodifférence au coeur de soi, au coeur du plus anonyme parce que le sujet n’est pas donné, c’est un acte que je ne peux que me représenter en tant que je suis un être passif. Je est un autre. Vous l’aurez compris nulle perception sans hantise dont l’immersion virtuelle, comme forme contemporaine de platonisme, n’aura été que le symptôme creusé .C’est cette double perception que rappelle Jean-Luc Nancy: quand je caresse ce corps aimé et que je ne sais plus, ou que je ne sens plus, qui est touché et qui est touchant dans l’inframince de nos peaux. C’est l’objet de Se toucher toi (2004). C’est aussi ce paradoxe de l’intériorisation et de l’extériorisation de la salle de cinéma mise en scène par Janet Cardiff dans The Paradise Institute (2001) ou dans ses Promenades. C’est aussi l’autoaffection des dispositifs technologiques, le superbe isolement de la machine de Turing que David Rokeby a mis en oeuvre dans n-Cha(n)t (2001).
LE FLUX
Face au fantasme de l’immersion qui a marqué une époque utopique de l’art numérique, je souhaiterais vous proposer une démarche plus empirique, partant moins de l’hyperstructure que de l’infrastructure, moins de ce qu’il reste à faire que de ce qui est déjà là, parce que les promesses sont souvent le masque de l’autorité. Je crois que notre époque se caractérise par un sentiment de débordement. Nous nous sentons tous un peu dépassé par les événements, il y a trop d’informations, trop de livres, trop d’oeuvres, trop d’artistes aussi, trop de tout. Et si le débordement n’est pas très loin de l’immersion, ils partagent l’élément liquide, il revendique en fait une toute autre approche parce qu’il désigne moins un acte volontaire du sujet qu’un sentiment provoqué par le monde environnant. Alors que l’immersion est le monde intérieur de la subjectivité, le débordement est en relation avec le milieu extérieur et un Je fêlé. Il n’est pas sans rapport avec la passivité du sens intime. Je n’ai pas le temps de thématiser ce débordément mais il devrait être lié avec des formes concrètes et contemporains telles que l’externalisation économique de la mémoire du Web 2.0 et ses implications sur la constitution même de l’histoire que j’ai développé ailleurs sous le vocable de Flussgeist. Pour rendre sensible la différence entre l’immersion et le débordement, reposons-nous sur l’installation de Mark Hansen et Ben Rubin Listening Post (2001). Un ensemble de petits écrans diffusent des messages glânés en temps réel sur Internet tandis que des phrases sont prononcées en voix de synthèse sur un flux sonore génératif. Ici, tout est fragmentaire, morceaux de phrases, micro-récit. Alors que l’immersion rêve de tout voir, les oeuvres du débordement sont partielles, le fragment est originaire, le fragment est toujours en fragmentation, et leur localisation permet paradoxalement de ressentir l’immensité intotalisable du réseau. La perception fonctionne ici par quelque chose qui l’excède, par un hors-champ, un dehors plutôt que par l’intériorisation immersive. Ou encore Dumpster (2005) de Golan Levin qui permet de naviguer dans le récit des séparations amoureuses des adolescents américains, petites histoires laissant parfois des traces indélébiles que chacun à vécu, l’autre et le semblable, le prochain plutôt que le même.
Le milieu de ce débordement me semble être le flux, concept qui m’est cher depuis une dizaine d’années. Alors que l’immersion est un concept totalisant consistant à plonger un corps dans un liquide, le flux est beaucoup plus ambivalent et complexe” Il est l’état temporaire et changeant de ce liquide. Un simple recherche étymologique démontre que le flux n’est pas seulement l’excès mais aussi la rareté, la pauvreté. Les athéniens étaient particulièrement sensibles au passage entre le trop et le pas assez créant de véritables torrents sur des terres arides. Michel Serres a montré la logique des flux chez Lugrèce et nous a laissé un ouvrage qui reste une source d’inspiration encore à venir pour l’esthétique, en particulier numérique. Le flux se compose de plusieurs rythmes qui s’entrecroisent, se projettent : l’influx, l’afflux, le reflux. Le bénéfice d’un tel concept est qu’il est possible d’aborder la perception sans avoir recours à un antagonisme quelque peu dialectique et mécanique entre l’immersion et l’émersion. Tout y est question de tempo et de variabilité. Jim Campbell avec Photo de ma mère (1996) et Photo de mon père (1994-1995) fait apparaître et disparaître l’image de ses parents grâce à l’enregistrement de son souffle pendant une heure et celui de son coeur 8 heures durant. Il traduit sa mémoire organique, elle-même promise à la disparition, en palpitation de ses archives personnelles. Passage des flux organiques aux flux de la mémoire par l’interface d’un flux machinique. L’entrée et la sortie dans l’image ne s’oppose plus, elles deviennent inséparables selon une phénoménologie rigoureuse de l’apparaître et de la transduction. Il me semble que dans leur caractère minimal même, ces deux oeuvres s’éloignent de la force des grands installations immersives pour préférer la puissance, le potentiel, la vacuité laissée au regardeur.
Avec le flux, une nouvelle posture esthétique s’ouvre. Elle articule le phénomène en tant qu’il se donne (la donation) et en tant qu’il s’appréhende (la saisie). Nous nous avançons tandis que l’oeuvre vient à nous. La question n’est pas de s’immerger dans le flux mais de savoir comment rendre son système perceptif suffisamment souple, adaptatif, différentiel pour suivre la multitude de courants contraires. Si vous vous immergez, vous serez englouti, si vous résistez également. Delicate Boundaries (2007) de Chris Sugrue ouvre un passage entre l’écran et son dehors. Ou encore Displacement (1980-2005) de Michael Naimark qui superpose et décale des images projetées sur un espace domicilaire transformé en écran. Il s’agit dès lors de développer une esthétique subtile des turbulences et des tourbillons, d’une perception du milieu qui est une différence de différence, dispars (Deleuze). Et c’est sans doute pour cette raison que les flux nous parlent de notre époque historique et de nos existences. Ce n’est pas de l’art pour l’art, un renfermement du simulacre sur lui-même (et son ultime soumission au prétendu réel), mais quelque chose qui s’individue par une différence de potentiels, c’est-à-dire par une mise en contact. Je voudrais rendre palpable ce qui lie ici les flux numériques (Internet par exemple) et les flux organiques (les secrétions par exemple). Il me semble que ces deux flux sont différents mais qu’ils ne cessent de se suivre, se précédant l’un l’autre, toujours en parallèle, ne se rejoignant jamais, ne s’identifiant jamais, mais se supportant, endurance. C’est peut-être dans cette indifférenciation technoanthropologique, qui a eu cours dès la fiction de la machine de Turing, que nous pouvons comprendre quelque chose de notre expérience du numérique. C’est à cet endroit, ni humain ni machine et un peu des deux à la fois, dans les machines répétitives de Kristof Kintera, dans les machines célibataires de Duchamp ou dans le simulateur fermée de Giraud et Siboni, que les technologies interrogent d’une façon féconde notre perception et l’émergence du sens au coeur du monde.
CONCLUSION
Pour finir, mais la discussion devrait sans doute débuter à cet endroit précis, le concept d’immersion appliqué au arts numériques doit être examiné de façon critique et replacé dans un contexte historique. L’esthétique numérique a déjà un passif et nous ne pouvons plus faire comme si nous découvrions ces mots, comme si nous étions les premiers. Ils hantent nos imaginaires, ils sont surdéterminés, ils ont été utilisé dans différents contextes tant théoriques que populaires dont il faut faire la symptomatologie. En lisant les ouvrages qui ont fait de l’immersion un concept majeur de l’esthétique numérique, nous sommes forcés de remarquer qu’ils sont emprunts d’un discours de l’absolu et de la métaphysique. L’immersion agite le risque d’une coupure sans retour pour mieux asseoir l’autorité d’un prétendu réel. Ainsi l’immersion est moins un phénomène esthétique qu’une idéologie qui conçoit la perception comme un contact direct et fusionnel (ce qui est par définition impossible) et le simulacre selon un modèle dialectique avec le réel. L’immersion méconnaît la différence à soi, l’infime décalage nécessaire à toute venue, à tout contact. Est-il alors nécessaire de continuer à utiliser un tel concept qui a déjà fait preuve de sa faiblesse (emphase du discours et médiocrité des expériences immersives)? Ne surdétermine-t-il pas de façon idéaliste notre appréhension des dispositifs numériques? Ne répète-t-on pas finalement par un tel mot, le mot d’ordre des industries culturelles qui ne cessent justement de vendre, nous l’avons encore vu dernièrement avec le retour de la 3D dans les salles de cinéma, de l’immersion? N’a-t-elle pas une certaine affinitée avec la culture du choc perceptif qui est au fondement du capitalisme contemporain et qui interpelle physiologiquement nos corps en le stimulant et en le simulant selon la logique d’un électro-choc? Le flux me semble beaucoup plus riche en possibilités parce que d’une part il articule l’excès et la pauvreté (le reflux et l’afflux), d’autre part il ne détermine pas d’avance notre conception de la sensibilité, ni même la nécessité d’une subjectivité. Le flux est un état du milieu, fugace, instable, épars, non une chose ou un sujet. Et c’est bien là le caractère problématique d’une phénoménologie numérique qui pour entrer dans le cercle esthétique ne doit pas nous enfermer d’avance dans un autre cercle, celui qui oppose le sujet et l’objet, le simulacre et le réel, la perception et la chose en soi. C’est parce que le flux s’applique tout aussi bien au sentiment de notre époque, aux machines, aux organismes, qu’il est possible avec lui de suivre les turbulences, les courants et les tourbillons.
http://cerap.univ-paris1.fr/spip.php?article552
COLLOQUES PARIS – MONTRÉAL
PARIS : 27 & 28 AVRIL 2011
MONTRÉAL : 7 & 8 NOVEMBRE 2011
Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
CERAP, Centre d’Etude et de Recherche en Arts Plastiques, U.F.R. 04
47/53 rue des bergers, 75015 Paris
Plus sur la notion d’immersion: http://incident.net/users/gregory/wordpress/?s=immersion