Demain, un fablab

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Ils s’organisent et se préparent. Ils font l’acquisition de matériel, lisent les notices et vont sur les forums. Ils montent les machines et font des tests. Ils vont se mettre au travail, demain.

La vogue actuelle pour les fablabs répond à l’utopie d’une émancipation productive. Ils ouvriraient la possibilité d’une autre relation à la production qui ne serait plus basée en bout de chaîne sur le consumérisme et en début de chaîne sur l’obsolescence programmée. Une rapide analyse de la situation met à mal cette image révolutionnaire, dans la mesure où ces fablabs sont largement soutenus par des entreprises privées qui y voient, à la manière de Google, l’opportunité de déléguer la production dans les foyers et d’ainsi d’investir encore plus profondément d’un point de vue affectif et existentiel le domaine privé. De plus, croire que les fablabs proviennent de la contre-culture américaine des sixties qui a été récupérée après-coup par la domination, c’est ignorer l’état actuel des connaissances qui démontre la complicité entre les deux (Fred Nelson, From Counterculture to Cyberculture).

Il s’agit aussi d’observer cette vogue dans la manière dont elle se livre. On ne cesse de croiser des individus qui ont comme projet ou qui ont ouvert un fablab. Ils estiment que par un tel atelier des projets seront réalisables. Il ne s’agit aucunement de remettre en cause la bonne volonté de telles démarches et leur contemporaine nécessité, mais de porter un regard critique et distancé face à une manière de faire qui n’est pas dans le faire et qui s’enthousiasme de préparer le faire, qui en reste aux conditions de possibilités. Les machines montées permettent de « faire des choses », comme on dit, on y met donc toute son énergie. Mais la plupart du temps les projets qui ne sont que la reproduction de modèles préexistants ou développent une esthétique spectaculaire adaptée au fait de recevoir quelques « likes » mais inapte à déployer une réflexion véritablement esthétique.

On retrouve là une orientation proche de celle qui existait il y a quelques années quand beaucoup de personnes étaient obsédées par le développement de logiciels. On voyait chaque semaine de nouveaux softwares créés par des artistes-codeurs permettant de faire ceci ou cela et qui le plus souvent reproduisaient, en moins bien, des logiciels déjà existants. Ainsi, il y a eu une véritable mode pour les max-likes, « like » au sens de « comme ». L’enthousiasme était spéculatif : l’œuvre d’art étant fondée matériellement sur un logiciel, créer un logiciel s’apparentait à créer une métaoeuvre contenant des œuvres potentielles. La plupart du temps, les développeurs épuisés par la difficulté du développement de leurs logiciels n’en faisaient qu’un usage pré-critique et pré-esthétique. Formellement, les œuvres se ressemblaient alors avec leurs inévitables pixels, glitches, floculations et nuées en tout genre, leurs caractères flottants dans l’espace et autres tics pompiers de l’art dit « numérique ».

De la même façon, le fablab aspire toutes les énergies : on s’excite à l’idée d’en faire un, on trouve les financements (aidé par un discours politiquement adapté au développement équitable et durable), on achète, on monte et on teste (des nuits durant), ça marche plus ou moins, parfois ça marche, parfois ça tombe en panne. On passe son temps à réparer et à paramétrer. On remarque qu’il manque tel composant, telle machine pour enfin être prêt à… commencer. On reste dans la prétérition, on anticipe, on s’arrête, on recommence. Bref, on a fait du fablab une finalité en soi.

Demain, le travail pourra commencer.