Pour la fin de la représentation politique
L’importance de l’Internet dans la révolution égyptienne nous signale un changement qualitatif de la politique. Alors que les médias censés représenter le politique se mettaient à distance du fait de leur caractère unilatéral, les médias sociaux alimentés par le peuple, la foule, la plèbe, les singularités, etc. ont un impact sur les événements historiques. L’Internet devient un des acteurs de ce qui nous arrive. C’est dire là qu’il y a un caractère performatif dans l’Internet qui ne fait pas que décrire et qu’objectiver ce qui a lieu, mais qui agit dessus.
Ceci doit être relié à une cause et à une conséquence possible. La cause de cette performativité n’est-elle pas à rechercher dans le fonctionnement le plus concret d’un ordinateur, monde retourné sur lui-même dans une boîte noire protégée? L’ordinateur est par essence performatif car il est moins une analyse du monde qu’une causalité sur le monde. En numérisant, en réduisant à une suite d’opérations très simples et très rapides le monde environnant, il devient un méta-instrument qui configure le monde. On peut en ce sens se demander si cette configuration telle que Heidegger la définit dans les Concepts fondamentaux de la métaphysique, n’est pas déléguée pour une part aux opérations informatiques.
Deuxièmement, la conséquence de cette performativité mondaine de l’Internet par laquelle on ne peut plus nettement distinguer la description de l’action, distinction qui est pourtant la source grecque de la démarche scientifique, pourrait consister en une possibilité, non plus la crise de la représentation politique mais sa fin. Et sans doute faudrait-il là, à ce point précis, réévaluer la notion même de fin qui on le sait appartient de part en part à la représentation politique. Parlons donc d’une finitude de cette représentation, d’un passage à l’acte par le dispositif technologique et sociologique du réseau pour penser au-delà de la représentation politique, à cet autre endroit ou la plèbe, le peuple, la foule agissent en leur nom propre, non pas dans l’immédiateté d’une adhérence à soi (la fin de la représentation ne signifie pas la pure présence sans médiation mais une immanence munie d’une ligne de fuite) mais tout du moins en défiant ce qui est censé les représenter. Il y a là une autre promesse, une promesse révolutionnaire, une promesse auto-gestionnaire, une promesse de ce qui n’a pas de nom et qui ne veut pas qu’on lui en donne par le vote, c’est-à-dire par la représentation. Comment peut-on comprendre un peu ce qui s’est passé dans la représentation en art depuis deux siècles sans comprendre la notion de représentation dans son caractère concret, dans sa matérialité historique, politique, sensible qui affecte les corps? Cette compréhension mène à défier radicalement la représentation démocratique pour inventer une autre démocratie qui ne durera que l’instant d’une révolution, à peine un instant. Il n’y a donc là nulle utopie sous-estimant le réseau comme outil de contrôle simplement l’ouverture d’une autre possibilité.