La distanciation du monde / Distancing The World
Je me souviens du monde dans lequel je vivais. Il ne résidait pas en lui-même, mais dans son infrastructure tissant des relations d’interdépendance. Ma vie d’artiste consistait à aller à l’étranger pour travailler : des résidences, des expositions et des conférences. Je passais d’un pays à l’autre avec facilité, ressentant le jeu des différences, aimant ce décalage dans ma vie quotidienne. Vivre ailleurs, car l’existence n’est pas l’identité. Le voyage marquait l’anonyme.
Je me souviens de toute la logistique que j’utilisais en y étant sensible, les aéroports et les avions, le transport des marchandises, les containers et toute l’énergie pour les ordinateurs, les vidéoprojecteurs et les écrans, l’éclairage vibrant dans l’espace, le nettoyage, etc.
Je n’ai sans doute jamais que tenté de garder des traces de ce monde qui allait disparaître, d’en faire l’Histoire au bord du précipice.
J’aimerais que le monde s’éloigne, que le monde se mondialisant s’évanouisse comme un souvenir charmant de l’histoire humaine, que cette logistique ferme, porte par porte, fenêtre par fenêtre, tuyau par tuyau. Qu’elle soit peut être réaffectée à d’autres activités. Qu’elle soit désinstrumentalisée pour qu’un autre monde, un monde consistant puisse s’ouvrir à nouveau. Que le monde ne se mondialise plus, qu’il ne soit pas non plus en soi, mais qu’il se produise.
Je ne sais pas comment le contre-investissement du désir pourra se réaliser pour tous les autres.
J’aimerais perdre ce monde dans lequel nous vivions, et que j’aimais bien, sans nostalgie, pour que le possible redevienne possible et se multiplie infiniment, nous rendant vivant comme lui.
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I remember the world I lived in. It was not in itself, but in its infrastructure of interdependent relationships. My life as an artist consisted of going abroad to work: residencies, exhibitions and conferences. I moved from one country to another with ease, feeling the interplay of differences, loving this shift in my daily life. Living elsewhere, because existence is not identity. The journey marked anonymity.
I remember all the logistics I used to use when I was sensitive to it, airports and planes, transport of goods, containers and all the energy for computers, video projectors and screens, vibrating lights in the space, cleaning, etc. I remember that I had a lot of fun and I was very happy to live in a different place.
I have probably only ever tried to keep traces of this world that was about to disappear, to make history on the edge of the precipice.
I would like the world to move away, the globalizing world to vanish like a charming memory of human history, that this logistics closes, door by door, window by window, pipe by pipe. That it might be reassigned to other activities. Let it be de-instrumentalized so that another world, a world of substance, can open up again. Let the world no longer be globalized, let it not be in itself, but let it happen.
I don’t know how the counter-investment of desire can be realized for everyone else.
I would like to lose this world in which we lived, and which I liked, without nostalgia, so that the possible becomes possible again and multiplies infinitely, making us live like him.