Software, hardware, anyware

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La division entre le software et le hardware remonte aux premières théories cybernétiques et aux discussions sur la possibilité d’une machine universelle. Le projet était alors de rendre indépendant le software du hardware. De nombreuses critiques furent rapidement émisses, tant les fonctions logicielles semblaient dépendantes d’une matérialité que la théorie du signal prenait en compte (feedback).

Les origines de cette division sont plus lointaines encore et semblent plonger ses racines dans la séparation entre l’âme et le corps. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que des évangélistes, comme Ray Kurzweil, ont pour objectif de nous rendre immortel, c’est-à-dire de préserver nos esprits (software) de la dégradation du corps (hardware). Il s’agit de rendre indépendant pour laisser intact.C’est aussi pourquoi le champ artistique a tendance à mettre en valeur l’art du code. Cette indemnité, aussi contestée soit-elle, surdétermine encore pour une grande part notre relation aux technologies et les discours sur l’immatérialité prétendue du numérique.

Notre situation historique n’est plus celle d’une distinction entre le numérique et l’analogique, entre le software et le hardware. Les termes mêmes semblent être obsolètes parce qu’ils séparent ce qui existe de façon continue. Nous vivons au milieu des flux et ceux-ci nous obligent à réformer nos modes de pensée, à ne plus distinguer le séparé et l’inséparé, le discret et le continu, le fragment et le tout, le singulier et la totalité. Ce ne sont pas nos contenus de pensée qui sont affectés, ce sont les conditions de possibilité de la pensée qui sont transformées.

La production artistique actuelle est hantée par la division software/hardware. La méfiance d’une partie du milieu de l’art contemporain vis-à-vis de ces productions est sans doute provoquée par les paradoxes engendrés par cette division, car on privilégie tantôt la matérialité (hardware) tantôt le concept (software), tantôt le mécanique tantôt le libéral. Vieilles dialectiques pour un monde naissant.

Notre situation matérielle n’est plus déterminée par la division de l’analogique et du numérique, car tout est analogique et tout est numérique. Essayez de retirer la matérialité d’un processus informatique, jetez disque dur et fil, vous perdrez tout. Essayez à présent de soustraire du monde l’informatique, la production s’effondrerait, le pilotage des machines aussi, tous les centres de commande deviendraient inutiles. Si les deux sont si intriqués, c’est que la division qui détermine la construction même de ces deux termes occultent un même dispositif. Ce dispositif est logos et matière, inextricablement.

Notre époque est celle de l’anyware, c’est-à-dire de l’indifférence aux médiums, parce que tout est matériel, prolégomènes à un hypermatérialisme. “Any” c’est à la fois tout et rien, c’est une certaine relation entre la totalité et le néant, c’est aussi affirmer que nous pouvons faire usage de tous les matériaux sans distinction disciplinaire, parce que chaque matériau est déterminé par une série de flux qui le lie à d’autres matériaux. Cette série est un logos antérieur à la logique du principe de causalité. Ce qui importe est alors la plasticité du ware en tant que ware.