La propriété de l’IA / The AI property
Si l’automatisation nous accompagne depuis près de deux siècles, l’industrialisation est un phénomène que nous avons encore du mal à appréhender, tant à chaque époque, de décennies en décennie, de génération en génération, le débat public semble se répéter, le redécouvrir et ne pas s’être fourni des outils pour parvenir à le penser correctement.
Aujourd’hui c’est l’IA, c’est-à-dire l’induction statistique qui mobilise le débat tout comme les métiers à tisser avec cartes perforées mobilisaient les débats du 19e siècle. On aura beau critiquer les modèles larges d’induction statistique pour des raisons épistémiques et estimer qu’il leur manque un alignement anthropologique (ils ne nous ressemblent pas) et instrumental (ils ne produisent pas les résultats souhaités), on s’enthousiasmera de leur progrès rapide, en déclarant qu’il faut à tout prix suivre ce mouvement à moins d’être déclassé, dans l’un et t l’autre cas on aura agité des affects dont la nature est politiquement profondément, réversible et complice. Il faut en ce domaine se méfier des oppositions médiatisées et les analyser comme constituant des complexes de relations qui mettent en scène un discours dans la société.
La question sociale de cette automatisation a toujours été, et continue à être, celle de la propriété des moyens de production. Cette approche peut sembler trop simplement marxiste, mais elle a l’avantage de repérer l’orientation de cette automatisation. En effet, on pourra débattre si celle-ci a une orientation inhérente qui correspond à l’essence de la technique ou si elle est simplement utilisée par des classes dominantes, on en aura pas pour autant fini. La propriété de l’induction statistique, allant des données, à l’espace latent et aux serveurs qui permettent d’effectuer les calculs d’apprentissage, de reconnaissance, d’anticipation, de génération, permet de comprendre à l’avantage de qui ceci va être utilisé.
Il est évident qui si ce sont les entreprises privées qui, comme c’est le cas aujourd’hui, majoritairement, ont la propriété de ses moyens de production de l’induction statistique, alors ceci se fera à l’avantage des propriétaires capitalistes et au désavantage des travailleurs. Car l’induction statistique ne sera alors qu’un moyen de diminuer le coût du travail et le nombre de travailleurs considérés comme des variables et des morceaux dont on peut se passer. Les entreprises privées pour suivre leur objectif propre et si elles ont des conséquences sociales et politiques, n’en ont pas le mandat ou la responsabilité, de sorte qu’elles rentrent en conflit avec ces dimensions et semblent comme les détruire.
Il faut donc communaliser radicalement les moyens de production de l’intelligence artificielle d’une façon qui ne soit pas seulement étatique, car on sait combien cette appropriation des moyens de production bureaucratique peut aussi mener à de nombreux défauts. Il s’agit qu’un immense espace latent, reliant différent dataset et différents apprentissages, soit mis en réseau dans une blockchain permettant à chacun d’identifier, les sources et les calculs. Cette dissémination dans le réseau n’est pas un idéal, rhizomatiques, dont on connaît bien la complicité avec le capital, où les choses seraient partout et nulle part, mais une dislocation de la centralité des autorités permettant à chacun de s’incrémenter et de s’agglutiner aux autres et de faire œuvre commune : la politique comme concaténation.
En ce sens, si l’Europe a échoué à investir massivement dans les systèmes d’induction statistique automatique, et elle croit pouvoir réguler cette transformation, c’est en faisant une erreur de compréhension sur l’industrialisation. Tout se passe comme si au sein des comités européens, l’industrialisation était considérée comme un flux qu’il s’agissait d’aider ou de diminuer grâce aux politiques publiques jouant le rôle de régulateurs. Mais il se passera en ce domaine, ce qui s’est toujours passé, on discutera, on fera des tables rondes, des rapports on estimera un peu naïvement que le temps de la pensée doit être pris parce qu’elle doit précéder l’action pour que celle-ci soit réfléchie, pour qu’enfin. Les évolutions aient eu lieu en dehors de ces espaces et qu’en catastrophe, et parce qu’on a investi très peu dans les infrastructures et la recherche, on se raccroche au wagon au nom de la compétitivité mondiale.
Pour développer une politique de l’intelligence artificielle à un niveau européen, il faut mieux comprendre l’industrialisation, et la question de la technique qui n’est pas le moyen de certaines fins anthropologiques, mais un phénomène sédimenté et complexe, structuré historiquement, dépendant et indépendant, autonome et hétéronome, sur lesquels nous avons un impact et qui a un impact sur nous. Dès lors, la pensée théorique détachée du développement pratique a un intérêt limité. Car cette manière de faire reproduit sans le savoir, la structure de la volonté de puissance dont elle prétend pour autant se distinguer. La seule politique publique de l’intelligence artificielle consiste à allier action et réflexion à travers l’expérimentation. Cette dernière est une prise de risque, elle est une aliénation qui peut selon son usage envers des classes sociales reproduire et accentuer la domination ou bien être un moteur d’émancipation. L’expérimentation prétend justement suspendre l’instrumentalité et la volonté, et développer une relation réciproque entre l’être humain et le dispositif technique.
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If automation has been with us for almost two centuries, industrialization is a phenomenon that we still have difficulty understanding, so much so that in each era, from decade to decade, from generation to generation, the public debate seems to repeat itself, to rediscover it and not to have provided itself with the tools to be able to think about it correctly.
Today it is AI, that is to say, statistical induction, that is mobilizing the debate, just as looms with punched cards mobilized the debates of the 19th century. One may criticize the broad models of statistical induction for epistemic reasons and consider that they lack an anthropological alignment (they do not resemble us) and an instrumental one (they do not produce the desired results), or one may be enthusiastic about their rapid progress, declaring that one must follow this movement at all costs, unless one is downgraded. In either case, one will have stirred up affects whose nature is profoundly political, reversible and complicit. It is necessary in this domain to be wary of the mediatized oppositions and to analyze them as constituting complexes of relations that put in scene a discourse in the society.
The social question of this automation has always been, and continues to be, that of the ownership of the means of production. This approach may seem too simply Marxist, but it has the advantage of identifying the orientation of this automation. Indeed, we can debate whether this automation has an inherent orientation that corresponds to the essence of technology or whether it is simply used by dominant classes, but we will not be finished. The property of statistical induction, from the data, to the latent space and the servers that allow for learning, recognition, anticipation and generation calculations, allows us to understand to whose advantage this will be used.
It is obvious that if it is the private companies that, as it is the case today, in majority, have the property of its means of production of the statistical induction, then this will be to the advantage of the capitalist owners and to the disadvantage of the workers. For statistical induction will only be a means of reducing the cost of labor and the number of workers considered as variables and pieces that can be dispensed with. Private companies, in order to follow their own objective and if they have social and political consequences, do not have the mandate or the responsibility, so that they come into conflict with these dimensions and seem to destroy them.
It is therefore necessary to radically communalize the means of production of artificial intelligence in a way that is not only state-owned, because we know how much this appropriation of bureaucratic means of production can also lead to many defects. It is a question of an immense latent space, linking different datasets and different learning, being networked in a blockchain allowing everyone to identify the sources and the calculations. This dissemination in the network is not an ideal, rhizomatic, whose complicity with capital is well known, where things would be everywhere and nowhere, but a dislocation of the centrality of the authorities allowing each one to increment and to agglutinate to the others and to make common work: the politics as concatenation
In this sense, if Europe has failed to invest massively in automatic statistical induction systems, and it believes it can regulate this transformation, it is by making a mistake in understanding industrialization. It is as if, in the European committees, industrialization was considered as a flow that had to be helped or reduced by public policies playing the role of regulators. But what will happen in this field is what has always happened: discussions will be held, round tables will be held, reports will be produced, and it will be considered, somewhat naively, that the time for thought must be taken because it must precede action so that the latter can be reflected upon, so that finally. The evolutions have taken place outside of these spaces and that in catastrophe, and because we have invested very little in infrastructures and research, we cling to the wagon in the name of global competitiveness.
In order to develop a policy of artificial intelligence at a European level, it is necessary to better understand industrialization, and the question of technology, which is not the means to certain anthropological ends, but a sedimented and complex phenomenon, historically structured, dependent and independent, autonomous and heteronomous, on which we have an impact and which has an impact on us. Therefore, theoretical thinking detached from practical development is of limited interest. For this way of doing things reproduces, without knowing it, the structure of the will to power from which it claims to be different. The only public policy of artificial intelligence consists in combining action and reflection through experimentation. The latter is a risk-taking, it is an alienation that can, according to its use towards social classes, reproduce and accentuate domination or be a motor of emancipation. The experimentation pretends precisely to suspend the instrumentality and the will, and to develop a reciprocal relation between the human being and the technical device.