L’IA de la fin du monde / The AI of the end of the world

Les débats sur l’IA peuvent sembler vains dans un contexte où les conditions de survie sur Terre deviennent de plus en plus précaires et incertaines. Ne perdons-nous pas un temps précieux à concentrer notre attention sur chatGPT, alors que la logistique dont ce logiciel dépend et jusqu’aux vivants que nous sommes vont bientôt brûler sur cette planète ? On peut alors analyser l’implication de ces machines dans cette extinction parce qu’elles utilisent de l’extraction minéaire, utilisent de l’énergie et participent activement au réchauffement de l’atmosphère.


Mais ce serait vouloir critiquer une fonction instrumentale par une autre instrumentalité et par une pensée de l’utilité anthropologique qui occulte le fait que le projet de l’IA et le projet de transformation de l’environnement terrestre ont un lien très étroit. Pour analyser ce rapport, il faut suspendre nos habitudes instrumentales et ne plus considérer la technique comme quelque chose qui nous est utile et qui est soumise à notre volonté, mais comme l’expression d’un projet métaphysique et une configuration ontologique.


Avec l’IA il s’agit d’externaliser (la croyance que nous avons en) nos facultés humaines. En effet, l’espèce humaine s’attribue à elle-même des facultés telles que la raison, l’intelligence, l’imagination, en excluant de manière plus ou moins variable d’autres entités de ces facultés. Le fondement de cette attribution à soi-même est la croyance en une réflexivité c’est-à-dire en la capacité de l’être humain à pouvoir retourner ses facultés sur elles-mêmes en utilisant ces facultés pour opérer ce retournement. La réflexivité ou la conscience est une répétition qui permet de se saisir soi-même et d’être juge et partie. Il est donc logique que ce mécanisme de réflexivité consciente entraîne un processus de formalisation de ces mêmes facultés et leur externalisation dans la mesure où si la conscience est une attribution, elle projette aussi en quelque sorte au-dehors nos facultés. C’est donc bien la croyance que nous avons dans notre rapport à nous-mêmes qui produit l’externalisation de l’intelligence dans l’artificiel et l’infinitude de la finitude, c’est-à-dire une forme de reproductibilité interspécifique. D’où le caractère absurde de la critique envers l’IA.


D’une façon parallèle, la transformation des conditions d’habitabilité atmosphérique de la Terre n’est pas un accident de la modernité, mais constitue une conséquence de son projet fondamental que Heidegger avait analysé sous la forme de l’Arraisonnement. Il faut prendre garde à ne pas faire de ce philosophe un critique bucolique de la technique, car sa position était infiniment plus ambiguë. Cet Arraisonnement, qui considère toute chose comme étant utilisable sous la forme de l’énergie et de la consumation, est fondé sur la manière dont nous concevons ce qui est réel en Occident au fil d’une histoire enchâssée d’époque en époque, d’étape en étape, parce que l’être humain est configurateur de monde. Bien sûr il faudrait développer.


La relation entre les ces deux projets, celui de l’IA et de l’ Arraisonnement de la Terre dans son utilisation instrumentale et anthropologique est donc déterminée par une certaine répétition qui diffère, par une extériorisation de la représentation qui n’est pas seulement une fantaisie de l’imagination cognitive, mais une transformation bien matérielle, une imagination comme projection matérielle. On comprend dès lors que si ces deux projets sont différents, le premier concerne notre subjectivité tandis que le second concerne l’objectivité, et on peut dès lors émettre l’hypothèse que notre futur sera déterminé de part en part par la relation entre les deux comme étant une nouvelle relation entre le sujet et l’objet en tant que ceux-ci sont toujours des répétitions qui diffèrent, des simulacres à l’œuvre dès l’origine ou plus exactement dès le défaut d’origine. 

Debates about AI may seem pointless in a context where the conditions of survival on Earth are becoming more and more precarious and uncertain. Aren’t we wasting precious time focusing our attention on chatGPT, when the logistics on which this software depends and even the living people we are will soon burn up on this planet? We can then analyze the implication of these machines in this extinction because they use extraction, use energy and participate actively in the warming of the atmosphere.

But this would be to criticize an instrumental function by another instrumentality and by a thought of anthropological utility that obscures the fact that the AI project and the project of transformation of the earth’s environment have a very close link. In order to analyze this relationship, we must suspend our instrumental habits and no longer consider technology as something that is useful to us and subject to our will, but as the expression of a metaphysical project and an ontological configuration.

With AI it is a question of externalizing (the belief that we have in) our human faculties. Indeed, the human species attributes to itself faculties such as reason, intelligence, imagination, excluding in a more or less variable way other entities from these faculties. The foundation of this attribution to oneself is the belief in a reflexivity, i.e. in the capacity of the human being to be able to turn over his faculties on themselves by using these faculties to operate this reversal. Reflexivity or consciousness is a repetition which allows to seize oneself and to be judge and party. It is thus logical that this mechanism of conscious reflexivity involves a process of formalization of these same faculties and their externalization insofar as if the consciousness is an attribution, it also projects our faculties outside in a way. It is thus well the belief that we have in our relation to ourselves that produces the externalization of the intelligence in the artificial and the infinitude of the finitude, that is to say a form of interspecific reproducibility.

In a parallel way, the transformation of the conditions of atmospheric habitability of the Earth is not an accident of modernity, but constitutes a consequence of its fundamental project that Heidegger had analyzed in the form of the Arraisal. We must be careful not to make of this philosopher a bucolic critic of technology, for his position was infinitely more ambiguous. This Arraisonnement, which considers everything as usable in the form of energy and consumption, is based on the way in which we conceive what is real in the West in the course of a history embedded from era to era, from stage to stage, because the human being is a world configurator. Of course it would be necessary to develop.

The relation between these two projects, the one of the AI and the one of the Arraisonnement of the Earth in its instrumental and anthropological use is thus determined by a certain repetition that differs, by an externalization of the representation that is not only a fantasy of the cognitive imagination, but a very material transformation, an imagination as material projection. We understand then that if these two projects are different, the first one concerns our subjectivity while the second one concerns the objectivity, and we can then hypothesize that our future will be determined from part to part by the relation between the two as being a new relation between the subject and the object insofar as these are always repetitions that differ, simulacra at work from the origin or more exactly from the defect of origin.