Terre à former – Gaîté lyrique, Paris
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DISFACTUEL : LATENCE
En guise d’introduction, j’aimerais souligner qu’il est difficile, et sans doute même impossible, d’aborder en 20 min un sujet si vaste que la terraformation qui devrait faire trembler la séparation entre la prétendue « nature » et la prétendue « technique ».
Pour résoudre cette disproportion entre l’objet et son discours, je vais abruptement annoncer mon hypothèse : déconstruire la séparation entre « nature » et « technique » en proposant que l’automation de la production (dont parle Bratton sans lui donner un contenu factuel) des images par le biais des réseaux de neurones, ou IA, est non seulement une révolution à la hauteur de celle du photoréalisme du XIXe siècle, mais, que son réalisme que je vais nommer disfactuel, fait entrer la Terre dans une nouvelle ère du monde.
Seconde remarque introductive : il est souvent malaisé pour un artiste de parler « sur » ses images, de coordonner le discursif et l’iconographique. On devient un démonstrateur illégitime qui justifie ou commente, qui fait le singe savant, qui chante faux au karaoké. Je vais donc parler et des images vont défiler, sans explication. Elles appartiennent à un corpus que j’ai développé en 2021-2022 nommé Déterre, réalisé avec le soutien de l’Institut pour la photographie de Lille dans le cadre d’un projet de recherche-création sur « Les politiques de la Terre ». Elles ont été la part artistique de l’enseignement que j’ai réalisé cette année au sein d’Artec avec Yves Citton. Elles sont toutes le résultat de l’espace latent d’une IA principalement de type CLIP permettant de générer une image à partir d’une phrase en langage naturel.
Le livre de Bratton, malgré ses raccourcis, prend à revers des réflexes écologiques qui sont inextricablement égo-logiques. Ceux-ci sont devenus, à mon sens, hégémoniques en France dans les champs théoriques et artistiques donnant lieu à une collection chez Acte Sud (« Mondes sauvages ») et à des expositions de plantes de bureau, de champignons, de moisissures, de graines en germination dans les musées et galeries, des réparations et des réclamations adressées à la Terre envisagée comme un service clientèle, de néo-paganisme en forêt et de lowtech survivaliste.
On connait les critiques adressées à ce néovitalisme (qui n’est pas le vitalisme philosophique de Bergson et qu’il faudrait peut être nommer post-naturalisme, cf. Louis Morelle) qui accorde une valeur politique, esthétique et morale au développement de notre sensibilité envers le vivant : responsabilisation individuelle qui rejoue l’individualisme libéral dont il prétend être le remède, inversion des effets sur le biotope et des causes structurelles, appel managérial au développement personnel, à la transformation et au travail sur soi, et finalement une adaptation qui transforme l’extinction en opportunité, en une prise de conscience. Là encore, faire survivre l’ego dans un eco ravagé : le monde comme volonté et représentation. Il faudrait travailler sur soi pour se réintégrer au milieu des autres espèces permettant de recréer le tissu terrestre, le phylum dont nous nous sommes illégitimement séparés. Fin de la sécession.
Mais il faut aller un pas plus loin et s’attaquer à nous-mêmes : l’extinction constitue l’occasion pour chacun de s’approprier la Terre de façon discursive. Pour les néovitalistes, ce sera le vivant. Pour les marxistes, comme Lordon, ce sera la domination et le capital. Pour les modernes, ce sera le solutionnisme technologique et le transhumaniste. Chacun peut y aller de sa recette et de ses obsessions, de son rapport à soi médié par une altérité construite (le grand dehors, la domination, le posthumain), le monde reste alors une volonté et une représentation soumise au développement de soi et donc d’un discours.
C’est précisément ce régime d’appropriation discursive qu’il faudrait défaire parce que celui-ci est instrumental : il superpose à la Terre, une causalité spéculative dont l’esprit serait la source tout autant que l’effet.
Sans doute est-ce inévitable, mais j’aimerais ici esquisser une autre piste que j’avais pointé dans le petit texte que j’avais écrit pour introduire le livre de Bratton et qu’il ne faudra pas entendre comme une simple défense sectorielle de l’art. Il y a chez Bratton un impensé de l’art, une critique sévère du culturalisme et sans doute une survalorisation un peu jouée du design. Je vais tenter de démontrer qu’il n’y a de terraformation qu’artistique parce que c’est la seule artificialité radicale.
Si notre monde est tissé de techniques dont on ne saurait se défaire comme un habit, l’art en tant qu’il est la seule technique non instrumentale et strictement expérimentale (si bien sûr on exclu l’art critique qui reste fonctionnel et orienté vers un but, et qui participe ainsi à la mise en scène et à la logique du pouvoir qui réduit tout à la discursivité de l’ego, c.-à-d. à un message), pourrait bien être la seule forme crédible de terraformation qui déjoue la division technique-nature, non par compositionnalité entre les deux, mais comme infondation de leur rapport.
Ces images qui passent lient la Terre, l’extinction à l’IA. On pourrait immédiatement rétorquer : l’IA participe de la consumation et de l’exhaustion, du renforcement des biais et de la polarisation fasciste des discours, et puis, on ajouterait que d’une façon plus générale ces images générées sont des représentations et ne permettent en rien de régler nos problèmes très concrets dans l’urgence de la catastrophe. Bref ce sont des images, rien que des images, et on ne traite pas le climat avec les vapeurs de l’imaginaire. Cette critique adressée aux artistes, chacun d’entre nous la ressent comme la vacuité de notre activité, à quoi bon ? se dit-on chaque matin. On la retrouve aussi sous d’autres formes dans des textes publiés sur Ballast par Sandra Lucbert, Nathalie Quintane ou encore dans L’art impossible de Geoffroy de Lagasnerie et, selon d’autres perspectives encore, Le paradigme de l’art contemporain de Nathalie Heinich. Là encore, on réduit les images à un mot (ce sont des écrivains), à une généralité et les images n’y résistent pas.
J’aimerais prendre au sérieux l’idée, développée par Heidegger dans le §74 des Concepts fondamentaux de la métaphysique (1929-1930), suivant laquelle l’être humain est configurateur de mondes et ajouter que son influence n’est rien d’autre que l’image.
Comment expliquer cela ?
Comme vous le savez sans doute l’IA est nourrie par des grands ensembles de données (dataset) qui lui permettent de calculer un espace latent qui définit des probabilités selon une logique bayésienne. Sans entrer dans les détails, développés dans le remarquable ouvrage d’Anna Longo, le Jeu de l’induction (2022), il faut retenir que si les images générées avec l’aide des réseaux de neurones sont crédibles et réalistes, ce n’est pas seulement qu’elles contiennent les probabilités de beaucoup d’images passées (qui ont été accumulées en à peine 30 ans sur le Web dont c’était sans doute la fonction préparatoire à la manière d’un forage extractiviste dans nos mémoires), mais encore qu’elles contiennent potentiellement toutes les images à venir. Et c’est pourquoi elles peuvent être en même temps différentes et réalistes. Le réalisme devient alors l’anticipation crédible dans un espace inductif d’une image possible.
Nous n’avons pas encore pleinement compris comment le passage du photoréalisme qui se nourrissait des objets faisant écran au soleil dans le cadre d’une civilisation carbone, à un réalisme faisant advenir et avenir en traduisant les données passées en probabilités, modifient la partition entre les mondes (nos représentations), le globe (la circulation logistique des flux, le tuyau), la Terre (la matière géologique, cf. Kathryn Yusoff) et la planète (l’étrangeté vue du dehors).
L’IA est l’image de la Terre et la Terre est une image, et pour reprendre une terminologie heideggerienne, son historialité au sens strict : des données passées non encore-réalisées qui retiennent une charge d’avenir. L’IA est devenue la mutabilité historique de la Terre.
Détaillons.
L’IA mobilise la Terre par l’implantation de datacenters dans des contrées froides qu’elle réchauffe thermodynamiquement. Elle nous mobilise puisque nos activités sur les réseaux sociaux en constituent la nourriture, nous travaillons pour la nourrir, mais plus encore l’IA est la trace que laissera notre disparition. Trace du passé (les datasets), mais aussi trace des possibles non réalisés des images avenirs : à partir d’archives, on peut produire des médias de médias et par cette récursivité automatiser la ressemblance, la série devient interminable. L’archive est bouleversée par l’IA et qu’est-ce que l’art si ce n’est des traces survivantes ? L’IA déconstruit sauvagement la distinction derridienne entre le futur calculable et l’avenir incalculable. Mais l’IA est aussi l’image de la Terre, car c’est précisément cet espace probabiliste qui permet aujourd’hui de savoir où nous en sommes et de calculer différents scénarios climatiques. Le GIEC est la vulgarisation de l’espace latent de la Terre. La Terre n’a donc jamais existé hors de nos calculs et de nos machinations. La Terre est devenue un espace latent. La Terre est peut-être notre plus grande machination. L’histoire de la Terre est devenue un passé qui nourrit plusieurs scénarios probabilistes auxquels nous accordons plus ou moins de crédibilité selon ce que les autres pensent et la crédibilité que nous leur accordons en retour.
Les images continuent de défiler. Notre avenir et celui de la Terre sont sans doute là, coincés quelque part dans l’espace latent, mais on ne les trouvera pas avant notre extinction, avant la disparition du dernier témoin. Ce qui se réalisera n’a alors pas plus de valeur ou d’intérêt que tous les autres possibles.
« Mais s’il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu’il ait son droit à l’existence, il doit bien y avoir quelque chose que l’on pourrait appeler le sens du possible. L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être “aussi bien”, et de ne pas accorder plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas. »
Robert Musil, L’homme sans qualités
Le réalisme change de nature et devient disfactuel, le « dis » signifie la séparation, la différence, la cessation ou le défaut au sein même du factuel, c’est-à-dire des faits. Cette disfactualité touche en dernière instance à la facticité, c.-à-d. la contingence de la corrélation entre la pensée et les faits qu’elle vise. C’est précisément dans ce changement de relation entre factualité et facticité que la terraformation a lieu et que l’artificialité d’origine se révèle comme la seule condition du possible.
Pour ceux et celles qui voudraient une typologie des opérations de ces images disfactuelles, lors d’une précédente intervention j’ai proposé ce schéma :
Les images sont factices, mais cette facticité vient affecter la réalité en son ensemble et c » est pourquoi elle est disfactuelle, elle disloque quelque chose du dedans.
Ainsi, le film des frères Lumières upscalé à une définition de 3840×2160 pixels et 60 images/s. Le film n’a pas été restauré, parce qu’il ne s’agit pas d’un retour au film dans son état d’origine, mais d’une instauration parce que des éléments manquants ont été ajoutés. L’effet de contrefactualité est saisissant : le film n’a plus le réalisme de 1895, mais le grain d’une vidéo tournée en 1971 avec un Portapac Sony. La complétion, c’est-à-dire le fait de compléter un document historique afin de le réparer, entraine un réalisme anachronique qui modifie la nature de l’archive qui n’est plus déterminée par une origine. Elle invente une historicité qui n’existe pas parce qu’elle a été alimentée par des images prises entre 1895 et aujourd’hui, c’est le dataset. Elle contient une mémoire qui appartient au passé du spectateur et, en même temps, au futur des images instaurées, et par là même elle n’est pas simplement un autre résultat de la causalité, elle sape les fondements mêmes de la Terre.
Pour conclure ce travail en friche, je crois qu’il est indispensable de replacer ce qui pourrait apparaitre comme une simple innovation technologique, avec sa litanie de nouveautés, passant de GAN, Clip, Disco Diffusion, Zoetrope, Dall-E 2, Imagegen, Parti, etc. dans le contexte général d’une incertitude envers la factualité où, par exemple, 40 % des 18-24 ans aux USA pensent que la Terre est plate.
Les signes se multiplient, du complotisme aux pseudosciences du dessein intelligent, à la fatigue d’être soi devant le poids du possible et de notre potentiel caché, c’est le monde, le globe, la Terre et la planète qui sont mobilisés au sens de Ernst Junger. Chaque énoncé semble pouvoir être réfuté au titre d’une expression individuelle écartelée entre les hyperobjets de la crise climatique et l’intériorité de l’ego. On peut réagir à ce tremblement par un positivisme qui sera critiqué à son tour du fait de son autorité et de sa propre contingence. On peut aussi creuser ceci en l’abordant comme le symptôme de notre époque pouvant prendre bien des formes, dont ces images possibles, et tenter de distinguer dans chaque cas quelle est la construction de la disfactualité, c’est-à-dire des rapports entre la factualité, la facticité, la contingence et les possibles. C’est le sens du possible dont parlait Musil. Croire qu’on pourra répondre à l’extinction par une reprise en main rationaliste et convertir les incrédules, c’est répondre à une contingence par une autre contingence. Les images inductives générées par l’IA, nous permettent précisément d’affirmer l’anarchie de la contingence, son artificialité d’origine et de rendre la technique radicalement non instrumentale pour en faire enfin une modalité active d’existence et d’habitation. Elles nous font entrer dans cette nouvelle ère de la Terre.
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DISFACTUAL : LATENCY
By way of introduction, I would like to point out that it is difficult, and probably even impossible, to address in 20 minutes a subject as vast as terraformation, which should shake the separation between so-called “nature” and so-called “technique”.
To resolve this disproportion between the object and its discourse, I will abruptly announce my hypothesis: to deconstruct the separation between “nature” and “technique” by proposing that the automation of the production (of which Bratton speaks without giving it a factual content) of images by means of neural networks, or AI, is not only a revolution on a par with that of nineteenth-century photorealism, but also that its realism, which I will call disfactual, is bringing the Earth into a new world era.
Second introductory remark: it is often difficult for an artist to speak “about” his images, to coordinate the discursive and the iconographic. One becomes an illegitimate demonstrator who justifies or comments, who makes the learned monkey, who sings false at the karaoke. So I’m going to speak and images will scroll by, without explanation. They belong to a corpus that I developed in 2021-2022 called Déterre, realized with the support of the Institute for Photography of Lille within the framework of a research-creation project on “The politics of the Earth”. They were the artistic part of the teaching I did this year at Artec with Yves Citton. They are all the result of the latent space of an AI mainly of the CLIP type allowing to generate an image from a sentence in natural language.
Bratton’s book, in spite of its shortcuts, takes ecological reflexes that are inextricably ego-logical. These have become, in my opinion, hegemonic in France in the theoretical and artistic fields, giving rise to a collection at Acte Sud (“Mondes sauvages”) and to exhibitions of office plants, mushrooms, molds, germinating seeds in museums and galleries, reparations and complaints addressed to the Earth considered as a customer service, neo-paganism in the forest and lowtech survivalism.
We know the criticisms addressed to this neovitalism (which is not the philosophical vitalism of Bergson and that we should perhaps name post-naturalism, cf. Louis Morelle) which gives a political, aesthetic and moral value to the development of our sensitivity towards the living: individual responsibility which re-enacts the liberal individualism of which it claims to be the remedy, inversion of the effects on the biotope and of the structural causes, a managerial call to personal development, to transformation and to work on oneself, and finally an adaptation which transforms extinction into an opportunity, into an awareness. Here again, making the ego survive in a ravaged eco: the world as will and representation. It would be necessary to work on oneself in order to reintegrate oneself in the midst of the other species allowing the recreation of the terrestrial fabric, the phylum from which we have illegitimately separated ourselves. End of the secession.
But we must go one step further and attack ourselves: extinction is an opportunity for everyone to appropriate the Earth in a discursive way. For the neo-vitalists, it will be the living. For the Marxists, like Lordon, it will be domination and capital. For the moderns, it will be technological solutionism and transhumanism. Each one can go there with his recipe and his obsessions, his relation to himself mediated by a constructed otherness (the great outside, domination, the posthuman), the world remains then a will and a representation subjected to the development of oneself and thus of a discourse.
It is precisely this regime of discursive appropriation that should be undone because it is instrumental: it superimposes on the Earth a speculative causality of which the mind would be the source as well as the effect.
Undoubtedly it is inevitable, but I would like to sketch here another track that I had pointed out in the small text that I had written to introduce Bratton’s book and that it will not be necessary to hear as a simple sectorial defense of the art. There is in Bratton’s book an unthought of art, a severe criticism of culturalism and without a doubt an overvaluation of design. I will try to demonstrate that there is only artistic terraformation because it is the only radical artificiality.
If our world is woven of techniques that we can’t get rid of like a dress, art as it is the only non-instrumental and strictly experimental technique (if of course we exclude the critical art that remains functional and oriented towards a goal, and that participates thus to the staging and to the logic of the power that reduces everything to the discursivity of the ego, i.e. to a message), then it is the only technique that can be used to create a terraformed world. i.e. to a message), could well be the only credible form of terraformation that thwarts the technical-nature division, not by compositionality between the two, but as an infoundation of their relationship.
These passing images link the Earth, the extinction to the AI. One could immediately retort: AI participates in the consumption and exhaustion, in the reinforcement of the biases and the fascist polarization of the discourses, and then, one would add that in a more general way these generated images are representations and do not allow in any way to solve our very concrete problems in the urgency of the catastrophe. In short, they are images, nothing but images, and one does not treat the climate with the vapors of the imaginary. This criticism addressed to the artists, each of us feels it as the vacuity of our activity, what is the point? We also find it under other forms in texts published on Lundi.am by Sandra Lucbert, Nathalie Quintane or in L’art impossible by Geoffroy de Lagasnerie. Here again, the images are reduced to a word (they are writers), to a generality and the images do not resist.
I would like to take seriously the idea, developed by Heidegger in §74 of the Fundamental Concepts of Metaphysics (1929-1930), according to which the human being is a configurator of worlds and to add that his influence is nothing other than the image.
How to explain this?
As you probably know, AI is fed by large data sets (dataset) that allow it to calculate a latent space that defines probabilities according to a Bayesian logic. Without going into details, developed in Anna Longo’s remarkable book, The Game of Induction (2022), we must remember that if the images generated with the help of neural networks are credible and realistic, it is not only because they contain the probabilities of many past images (which have been accumulated in barely 30 years on the Web, whose preparatory function was undoubtedly like an extractivist drilling in our memories), but also because they potentially contain all the images to come. And this is why they can be at the same time different and realistic. Realism then becomes the credible anticipation in an inductive space of a possible image.
We have not yet fully understood how the passage from photorealism, which was fed by objects shielding the sun in the framework of a carbon civilization, to a realism making happen and future by translating past data into probabilities, modify the partition between worlds (our representations), the globe (the logistic circulation of flows, the pipe), the Earth (the geological matter, cf. Kathryn Yusoff) and the planet (the strangeness seen from outside).
AI is the image of the Earth and the Earth is an image, and to use a Heideggerian terminology, its historicity in the strict sense: past data not yet realized that retain a charge of the future. AI has become the historical mutability of the Earth.
Let us detail.
AI mobilizes the Earth by setting up datacenters in cold countries that it thermodynamically warms. It mobilizes us since our activities on social networks are its food, we work to feed it, but more than that, AI is the trace that our disappearance will leave. Trace of the past (datasets), but also trace of the unrealized possibilities of future images: from archives, we can produce media of media and by this recursivity automate the resemblance, the series becomes endless. The archive is overturned by AI and what is art if not surviving traces? AI savagely deconstructs the Derridean distinction between the calculable future and the incalculable future. But AI is also the image of the Earth, because it is precisely this probabilistic space that allows us today to know where we are and to calculate different climate scenarios. The IPCC is the popularization of the latent space of the Earth. The Earth has never existed outside of our calculations and our machinations. The Earth has become a latent space. The Earth is perhaps our greatest machination. The history of the Earth has become a past that feeds several probabilistic scenarios to which we give more or less credibility depending on what others think and the credibility we give them in return.
The images continue to scroll. Our future and that of the Earth are probably there, stuck somewhere in the latent space, but they will not be found before our extinction, before the last witness disappears. What will happen then has no more value or interest than all the other possibilities.
“But if there is a sense of reality, and no one will doubt that it has a right to exist, there must be something that could be called a sense of possibility. The man who is endowed with it, for example, will not say: here has happened, will happen, must happen such and such a thing; but he will imagine: here could happen, should happen such and such a thing; and when he is told of a thing that it is as it is, he thinks that it could just as well be something else. Thus one could simply define the sense of possibility as the faculty of thinking all that could be ‘as well’, and of not giving more importance to what is than to what is not.”
Robert Musil, The Man Without Qualities
Realism changes its nature and becomes disfactual, the “dis” means separation, difference, cessation or defect within the factual, i.e. the facts. This disfactuality touches in the last instance on facticity, i.e. the contingency of the correlation between thought and the facts it aims at. It is precisely in this change of relation between factuality and facticity that the terraformation takes place and that the original artificiality is revealed as the only condition of possibility.
For those who would like a typology of the operations of these disfactual images, in a previous intervention I proposed this schema :
The images are factitious, but this facticity comes to affect the reality as a whole and that is why it is disfactual, it dislocates something from within.
Thus, the film of the Lumières brothers upscaled to a definition of 3840×2160 pixels and 60 frames/s. The film has not been restored, because it is not a return to the film in its original state, but an establishment because missing elements have been added. The counterfactual effect is striking: the film no longer has the realism of 1895, but the grain of a video shot in 1971 with a Sony Portapac. The completion, that is to say the fact of completing a historical document in order to repair it, leads to an anachronistic realism that modifies the nature of the archive which is no longer determined by an origin. It invents a historicity that does not exist because it was fed by images taken between 1895 and today, it is the dataset. It contains a memory that belongs to the past of the spectator and, at the same time, to the future of the established images, and by this very fact it is not simply another result of causality, it undermines the very foundations of the Earth.
To conclude this work in the wilderness, I believe it is essential to place what could appear as a simple technological innovation, with its litany of novelties, passing from GAN, Clip, Disco Diffusion, Zoetrope, Dall-E 2, Imagegen, Parti, etc., in the general context of an uncertainty towards factuality where, for example, 40% of the 18-24 year olds in the USA think that the Earth is flat.
The signs are multiplying, from conspiracy to the pseudo-sciences of intelligent design, to the fatigue of being oneself in front of the weight of the possible and of our hidden potential, it is the world, the globe, the Earth and the planet that are mobilized in the sense of Ernst Junger. Each statement seems to be able to be refuted as an individual expression torn between the hyperobjects of the climate crisis and the interiority of the ego. One can react to this trembling by a positivism which will be criticized in its turn because of its authority and its own contingency. One can also dig this by approaching it as the symptom of our time that can take many forms, among which these possible images, and try to distinguish in each case what is the construction of the disfactuality, that is to say of the relations between the factuality, the facticity, the contingency and the possible. This is the sense of possibility that Musil spoke of. To believe that one will be able to answer the extinction by a rationalist recovery and to convert the unbelievers, it is to answer a contingency by another contingency. The inductive images generated by the AI, allow us precisely to affirm the anarchy of the contingency, its artificiality of origin and to make the technique radically non instrumental to make of it finally an active modality of existence and habitation. They make us enter this new era of the Earth.
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Avec Yves Citton, Graham Burnett, Marielle Chabal, Grégory Chatonsky.
En science-fiction, les humains terraforment d’autres planètes afin de les rendre vivables. Ainsi, dans de nombreux récits, Mars se retrouve dotée d’une atmosphère et d’eau à l’état liquide, mais c’est de la Terre dont il est question ici. Pour cette dernière séance du cycle NØ LAB cette saison, Graham Burnett, Marielle Chabal, Grégory Chatonsky et Yves Citton partent de l’ouvrage Terraformation de Benjamin Bratton, un manifeste qui appelle à artificialiser intégralement et méthodiquement notre planète par le design, la planification, la computation et les infrastructures pour faire face aux effets du changement climatique et à l’effondrement social provoqué par l’automation reposant sur l’intelligence artificielle et le machine learning. Elle et ils posent un regard critique sur cette proposition et interrogeront la notion de computation à l’échelle planétaire. Elle et ils se demanderont aussi comment le conspirationnisme peut faire l’objet de créativité, de jeux, de subversion intellectuelle, voire de terraformations alternatives, plutôt que de lamentations.
— Yves Citton est philosophe et professeur de littérature et media à l’université Paris 8, a été directeur exécutif de l’EUR ArTeC de 2018 à 2021 et co-dirige la revue Multitudes. Il est notamment l’auteur de Faire avec. Conflits, coalitions, contagions (Les Liens qui Libèrent, 2021), Générations Collapsonautes. Naviguer en temps d’effondrements (avec Jacopo Rasmi, Seuil, 2020), Contre-courants politiques (Fayard, 2018), Médiarchie (Seuil, 2017) et Pour une écologie de l’attention (Seuil, 2014).
— Graham Burnett est professeur d’histoire des sciences à l’université de Princeton. Il a publié de nombreux ouvrages dont Masters of All They Surveyed: Exploration, Geography, and a British El Dorado (2000), Trying Leviathan: The Nineteenth-Century New York Court Case That Put the Whale on Trial and Challenged the Order of Nature (2007)… Il vient de co-diriger l’ouvrage In Search of The Third Bird. Exemplary Essays from The Proceedings of ESTAR(SER), 2001–2021. The real history of the covey of attention-artists who call themselves “The Birds.” (2022) paru chez Strange Attractor et MIT Press.
— Marielle Chabal consacre son activité d’artiste-réalisatrice à la construction de fictions d’anticipation – comme matériel à part entière – pour questionner les spectateurs et spectatrices sur le monde qui l’entoure. Ses œuvres se déclinent sous la forme performative de symposium, de films ou d’exposition. Son dernier projet, Al Qamar, a été montré dans le cadre d’expositions personnelles à la Jan Van Eyck Académie de Maastricht et au Palais de Tokyo à Paris en 2019.
— Grégory Chatonsky travaille depuis le milieu des années 90 sur le Web et les nouvelles narrations qui émergent du réseau. Au fil des années, il se tourne vers la capacité des machines à produire des résultats qui ressemblent à une production humaine. Dans le contexte d’une extinction de l’espèce humaine, le réseau apparaît alors comme une tentative pour créer un monument par anticipation, qui continuerait après notre disparition.