Te (se) perdre
Ca commence par la perte, sans aucun objet préalable, sans objet qu’on pourrait retrouver ensuite, dans une fuite en avant qui serait un retour au passé. On peut bien sûr rêver à un état antérieur plein, mais où qu’on porte le regard il y a déjà la perte avant toute chose, avant moi. Rien ne peut venir nous rassurer.
Les généalogies sont des échecs, le récit des origines est criminel parce qu’il nie toujours d’une façon ou d’une autre que les individus s’originent de quelque manière dans cette perte sans objet. Sans elle l’individuation, son processus qui est devenir, ce flux qui ne s’arrête pas, ce que certains nomment la conscience et que je voudrais plutôt rapprocher de la peau qui ne cesse de s’effriter, de nous quitter, ne tiendrait pas la course d’une existence.
Ce n’est pas une quelconque poésie apophatique de la perte absolue. Il faudrait pouvoir en parler en l’asséchant, en la rendant blanche, neutre et monotone: simplement battement de coeur, battement de coeur. En art on peut choisir, je crois un peu naïvement, la production des formes, croire qu’on va faire émerger du nouveau et dans ce cas on est jamais très loin de l’expression de soi, d’un soi dans lequel viendrait s’originer cette forme. On peut aussi, avec le risque d’une vacuité, se donner des formes qui sont déjà là, données, ready made, et y chercher non pas ce qui s’y donne mais ce qui dans cet objet réputé normal se retire d’avance, avant même que ne soit donné cette normalité de l’objet, dire donc la perte comme ce qui produit. Un vide qui ne retire rien et qui en excédant notre pouvoir de propriété signale notre pauvreté, le fait que nous sommes en panne: déplier et multiplier les possibilités d’une forme, témoigner du vide qui la structure et la rend perceptible.
Tout est devant soi, ouvert.