Quelque chose en plus, rien de plus
La détermination d’une ontologie hiérarchique, c’est-à-dire le fait d’accorder à certains éléments de la réalité une valeur supérieure à d’autres (Dieu, l’être humain, la nature, etc.), et fondée sur un système de valeur qui s’il peut varier dans son contenu reste structuré par des effets de langage et d’autorités. Le problème n’est pas le langage des valeurs comme tel mais plutôt le fait qu’il se masque comme valeur, alors même qu’une valeur et l’expression d’un corps qui dit sa singularité, le fait qu’il perçoit et qu’il agit indifféremment d’autres corps.
En critiquant le fait que le langage des valeurs avance masqué, on doit parvenir à construire une ontologie plate ou neutre dans lequel non seulement il n’y a pas de hiérarchie mais de surcroît dans lequel la phrase « tout se vaut » n’a aucun sens. Car pour dire cette phrase encore faudrait-il avoir une valeur, que cette notion est encore un sens. Tout se vaut signifie encore qu’il y a non seulement une totalité mais une détermination de la valeur est donc une échelle des valeurs. La platitude ontologique doit défaire jusqu’aux automatismes du langage qui fait que nous organisons le monde qui nous entoure selon un certain ordre et selon une certaine découpe.
Une fois que nous sommes arrivés à une vision claire de l’ontologie plate il devient donc possible, et seulement à partir de ce moment-là, non pas de hiérarchiser mais de donner un sens aux différents modes de production humaine. Car si le monde est plat alors le simple fait d’ajouter quelque chose à ce monde, un quelque chose qui ne ne vaut pas plus que tout autre chose, à un intérêt. Ceci peut avoir lieu dans le domaine scientifique, artistique, théorique, ou tout autre domaine. Cette production supplémentaire n’a pas un privilège supérieure sur les autres éléments de l’ontologie. Le fait qu’elle soit artificiellement produite, volontairement produite, accidentellement produite, n’a absolument aucune importance. Sa qualité n’a aucun impact. La seule chose qui importe est sa quantité, c’est quelque chose en plus, une unité irremplaçable.
Ainsi la production artistique, si on parle de celle-ci, peut-être pensé sous un nouvel angle. Produire de l’art ce n’est pas faire oeuvre de synthèse, d’unification, c’est-à-dire de valeur. C’est simplement produire quelque chose qui sinon n’aurait pas lieu. Comme le pensait Deleuze quand une oeuvre d’art n’a pas lieu, elle ne manque pas parce qu’elle ne répond pas à un besoin préalable, à une demande, à un réseau instrumental d’utilisation. Il y a dans la production artistique quelque chose qui relève seulement de la quantité, un élément de plus, rien de plus.
Savoir se suffire absolument de cette vision, sans rechercher un système de valeur globale, autoritaire, qui permettrait de donner un sens à l’ensemble des activités, c’est non seulement défaire quelque chose qui structure habituellement le langage, mais c’est aussi se donner la possibilité d’une joie, d’une légèreté, d’une insouciance : l’oeuvre d’art qui présuppose la rupture possible du cours habituel de la nature. Quelque chose en plus, rien de plus.