Quantités
Était-ce Internet, réseau par lequel nous avions appris l’art, qui avait provoqué cette attraction pour la quantité? Internet avait été pour nous un moyen de court-circuiter le milieu traditionnel de l’art. Nous n’avions pas à attendre la décision royale d’un commissaire pour diffuser notre travail auprès d’un public. Nous pouvions décider par nous-mêmes non seulement de créer mais aussi de diffuser. Cette facilité et cette équidistance entre l’acte de production et la diffusion entraîna bien sûr un rythme effréné et la perte de notre qualité. Chaque jour nous mettions en ligne de nouveaux projets, et par la même n’avions plus la singularité, l’unicité, l’événementialité des expositions classiques qui devaient constituer des actes de synthèse, des postures de simplicité, la magie de l’acte. Nous produisions et nous diffusions de travaux comme s’il s’agissait d’articles de blog. D’ailleurs ces travaux n’étaient pas destinés au public traditionnel de l’art, mais à une communauté, à des communautés sur le réseau qui était bien difficile d’identifier, des frères, des amis et ennemis, des anonymes dont nous nous rapprochions un peu plus chaque jour.
Cette quantité de diffusion s’articula à une autre quantité, celle qui nous entourait sur Internet, tous les médias, et puis aussi des bases de données. Nous avons vécu à une époque où le nombre d’images et de sons a littéralement explosé. Nous en avons simplement tenu compte. Il aurait été possible de se recroqueviller dans la position inverse et de tenir coûte que coûte à la singularité, à l’unicité, à la rareté de l’art, mais nous avons fait l’autre choix, nous plonger dans cette quantité, parce qu’elle était nouvelle et que nous savions que par elle quelque chose de nouveau dans l’art émergeait.