Muer ou la génération métamorphique
Il n’y pas l’identité de l’être à laquelle serait affectée dans un deuxième temps le changement. Il n’y a pas cette infinie nostalgie pour le retour à un état antérieur, stable, sans différence à soi.
L’être est le mal (être).
Il y a le changement puis la constitution des identités à partir d’un effet de socle friable et temporaire. Le changement n’est pas le passage d’un état à un autre état. C’est bien plutôt ces états qui sont un effet d’optique du changement, de sorte que la relation est constitutive des éléments de la relation et on peine à utiliser le langage, empreint d’identité, pour même parvenir à signifier ce qui tente ici de s’éprouver.
L’être humain n’est pas différent et on n’ose plus prononcer son nom car on répéterait encore le fétiche de l’identité à soi. On hésite même prononcer quelque mot que ce soit. Mais puisqu’il le faut, du moins que ce soit dans l’inconsistance conquise et la fêlure.
Parfois, à peine, nous percevons, derrière le tissu des identités langagières, une fêlure du monde. Pas même du monde, de la matière in-forme, d’une matière anonyme qui ne cesse de changer de formes, dont les formes ne sont l’occasion que de ce « change ». Les flux circulent, la matière se libère, une expérience de la métamorphose généralisée à laquelle certaines substances psychoactives nous ouvrent lorsque la granularité dévore toutes choses, une vibration qui effonde la certitude de se tenir sur un sol stable en tant qu’unité corrélationnelle : le soi et le réel, comme autant de fictions.
Dans ce bouleversement, le vif et le mort, l’organique et l’inorganique s’évanouissent avec le langage. Un régime de la matière non-hylémorphique s’esquisse dans la mémoire des machines. Il ne restera plus que des images de ce que nous avons été et de cette empreinte du monde. Ces images n’auront été prises par personne.Elles seront le souvenir d’autres images, mémorisées elles, une accumulation avant l’extinction.
Le calcul statistique des machines ne réalisera donc pas la grande synthèse prévue de l’εἶδος. Il aura produit, contre toute attente, une multiplication infinie des formes, une genèse généreuse dans laquelle chaque image n’est que l’arrêt temporaire du film d’une métamorphose sans borne. Ces images arrêtées témoignent du changement en-deça des effets d’identité, car on ne reconnaît pas leur provenance, poil et plastique, feuille et écaille, on commence à envisager non le mélange, mais le futur de la métamorphose, ce qu’elle a à proposer : une contingence qui ne relève pas simplement de l’incalculable idéal du chiffre, mais d’une expérience sensible, en toute chose, par toute chose. La matière dont nous sommes tissés retourne à son anonymat cosmique, bien avant nous, bien après nous. Nous sommes incréés et notre identité est un effet à lamarge de cette incréation qui est aussi une indétermination, c’est-à-dire une absence de fin.